Speaker1 Hétéros, la sobriété, ben c'est pas gagné. Et oui, l'attrait pour la démesure affecte avant tout les personnes privilégiées. Épisode après épisode, théorique ou pratique, je mène l'enquête avec mes invités. Bonne écoute ! Salut Isabelle.
Speaker0 Bonjour Alexis.
Speaker1 Merci d'avoir accepté mon invitation. Tu m'avais contacté après les tout premiers épisodes du podcast, c'était il y a plus d'un an maintenant, à l'été 2024, pour me signaler un nouvel ouvrage, le marketing à l'ère de la sobriété, que tu as co-dirigé avec Jean-Baptiste Welté. Pour être honnête, j'avais d'abord été un peu sceptique au regard du livre, notamment le titre, parce qu'à mes yeux, le marketing, c'est un outil pour vendre plus. Alors, j'avais du mal à le concilier avec la sobriété. Mais on va en parler. Mais en particulier, j'ai été inspiré par certains chapitres et celui que tu as écrit, le chapitre 7, dont le titre est « La technologie au service d'une pratique sobre, le cas de la course au large ». C'est de ce chapitre dont on va parler dans cet épisode. Et avant ça, peut-être, peux-tu te présenter brièvement pour nos auditeurs auditrices ?
Speaker0 Avec plaisir. Donc, moi, je m'appelle Isabelle Dabadie. Je suis maître de conférences HDR, habilité à diriger des recherches à l'Université Bretagne Sud. Et je travaille, en tout cas mes travaux de recherche, et porte sur la transformation des entreprises, la transformation des comportements de consommation face aux enjeux environnementaux et particulièrement face aux enjeux climatiques. Et voilà, ça m'amène à explorer les modèles économiques soutenables et notamment les relations entre technologie et sobriété, qui est le sujet que j'ai traité dans ce chapitre.
Speaker1 Et ce dont on va parler là. Et peut-être avant ça, comment avais-tu découvert le podcast Enquêtes de Sobriété, puisqu'il était à peine créé et tu m'avais contacté, je crois, via LinkedIn, si je me souviens bien.
Speaker0 Oui, alors je pense que c'est un post LinkedIn de Nathan, Nathan Ben Kemoun, qui a fait cet épisode que j'avais dû voir passer. Et voilà, on avait, avec Nathan, fait une intervention ensemble en 2019 dans un colloque sur la sobriété numérique. Et voilà, donc je pense que j'avais repéré le podcast à ce moment-là.
Speaker1 OK, donc l'épisode 3 avec Nathan Ben Kemoun, où on parle de suffisance intensive. Donc un coucou à Nathan au passage. Pour rentrer dans le vif du sujet de ce chapitre de la place de la technologie et de la sobriété dans la course au large, pourquoi cette enquête ? Parce que je ne la trouve pas classique, pas commune, elle marque. Pourquoi cette enquête sur la place de la technologie dans la course au large ?
Speaker0 Alors, il y a plusieurs raisons qui m'ont amenée à étudier cette question. En fait, il y en a une assez opportuniste qui est que j'aime la voile, la course au large me fascine. Et c'est toujours sympa quand on fait de la recherche de pouvoir aller l'utile à l'agréable et aller enquêter sur des terrains qu'on aime bien. Ensuite, il y a un point de départ, c'est un choc ou une incompréhension à un moment où je pense que c'était le Vendée Globe 2020. Mais c'est peut-être aussi quelque chose qui était un peu latent. Mais quand je voyais des images du Vendée, qui pour moi est la course à la voile en solitaire autour du monde, une course mythique que je suis depuis que je suis ado et qui est une aventure hors norme avec des navigateurs qui sont des vrais héros, qui font leur tour du monde en solitaire, qui affrontent les éléments. Et des images en 2020 où on voit les navigateurs qui sont sanglés, accrochés dans leur cockpit, qui voient la mer sur des écrans, qui ne peuvent pas sortir du cockpit parce que les bateaux vont trop vite. J'ai ressenti un sentiment d'incompréhension en me disant, mais en fait, c'est quoi ? Est-ce que c'est encore de la course au large ? Et est-ce que cette course à la performance, elle ne vient pas enlever la part de rêve que moi, j'ai toujours associée à la course au large ? Donc, c'est cette contradiction entre une réalité et puis un imaginaire qui était aussi chez moi fortement nourri par tout un tas de lectures, de récits, de navigation. Et puis, par ailleurs, un travail sur les low-tech, une recherche que je faisais sur sobriété, low-tech, etc. On pourra peut-être y revenir. J'ai enquêté un peu et travaillé à Concarneau avec le Low-Tech Lab, avec WeExplore. On pourra en parler aussi. Et à Concarneau, on a ce côtoie au même endroit, le Low-Tech Lab et puis une écurie de course au large. à la pointe de la techno, comme celle de Merconcept, l'écurie de François Gabart. Donc, la coexistence de ces mondes et de ces imaginaires, ça m'a donné envie d'aller explorer ces paradoxes, d'essayer de comprendre ce qui se passe derrière tout ça.
Speaker1 OK. Dans le chapitre aussi, tu définis, moi je ne connais pas du tout le monde de la voile, mais tu définis le yachting et le canotage. Est-ce que tu peux poser des définitions de quelles sont les différences et qu'est-ce que tu as observé et sur quoi tu as enquêté plus précisément ?
Speaker0 Je reviens un petit peu, mais rapidement dans l'ouvrage sur l'histoire de la plaisance, les activités nautiques, alors qu'elle est assez ancienne. C'est développé fin 18e, début 19e. Et à l'époque, on a d'un côté le yachting, c'est plutôt la navigation de plaisance à la voile en mer, et puis de l'autre le canotage, donc tout ce qui est navigation à la voile, à l'aviron sur des plans d'eau intérieurs. Ça fait partie de ce qu'on peut appeler globalement la plaisance. Et c'est une activité qui est restée réservée à une certaine élite, on va dire, pendant très longtemps. Et ça s'est démocratisé seulement à partir des années 60, quand les bateaux sont devenus plus accessibles, quand les gens ont eu des congés, etc. Donc, il y a un certain nombre de conditions qui font qu'à un moment donné, la plaisance s'est développée et puis continue de se développer fortement ces dernières années. Mais tout ça, c'est un peu le même univers. Et d'un autre côté, on a tout l'univers de la plaisance sportive, compétitive, qui va se différencier de la croisière. Et donc, moi, je me suis, dans cette enquête, vraiment intéressée à la pratique compétitive et sportive, qui est un tout petit parti de la navigation à la voile. Mais voilà, cette question de, justement, la technologie dans cette compétition, quelle place elle prend ? Et c'est sur cette partie-là que je me suis penchée en détail.
Speaker1 Et je pense que tu nous as déjà un petit peu parlé, mais quelles étaient tes hypothèses de départ avant de commencer ou tes a priori peut-être ou tes questionnements ?
Speaker0 Oui, alors en fait, il n'y avait pas vraiment d'hypothèses, mais des constats et plein de questions. Un premier constat, c'est le fait que la course au large, elle a été révolutionnée par la technologie. Et assez récemment, en fait, il y a à partir des années 70, on a vu arriver les premiers équipements électroniques, notamment le GPS ou ce genre d'outils, qui ont pas mal changé la course au large. Puis jusqu'à une course à la technologie sur laquelle on pourra revenir, mais aujourd'hui qui se manifeste dans l'architecture des bateaux, dans toute l'électronique qu'il y a autour, dans la data qu'on commence à utiliser de plus en plus. Et en fait, là, ce qui a émergé ces dernières années, c'est une polarisation, ou en tout cas parfois des sentiments mélangés, entre ceux qui pensent que cette course au progrès, elle est bénéfique pour aller vers la performance. La technologie joue un rôle essentiel et c'est une bonne chose. Et ceux qui regrettent peut-être un envahissement par la technologie et puis d'autres qui sont un petit peu entre les deux. Et puis, auxquels s'ajoutent deux autres constats et questionnements, c'est la question écologique. Certains ont commencé à dénoncer, à dire « Ouh là là, mais en fait, c'est un sport qui n'est pas du tout écologique. » Et puis, avec un paradoxe, c'est un sport au contact des éléments et en même temps, on détruit l'océan sur lequel on navigue. Et puis, plus récemment, là, une crise économique qui fait qu'on est aussi dans la course au large, dans un modèle économique qui est un petit peu à bout de souffle. Voilà, des questions. Qu'est-ce qui se passe ? Dans quel sens on va ? Est-ce qu'il y a un sens de l'histoire qui est inéluctable ou est-ce qu'il y a peut-être d'autres voies ? C'est ça que j'ai essayé de comprendre en discutant avec des skippers, avec des professionnels de la course au large aussi, avec des gens qui questionnent tout ça, qui expérimentent d'autres voies.
Speaker1 Moi, je n'avais pas conscience que la plaisance était assez récente, puisque tu nous l'as dit tout à l'heure, c'est dans les années 60 finalement que ça se démocratise un petit peu. Et puis, je n'avais pas non plus conscience de cette place de la technologie, à quel point c'est allé vite, parce que dans ton chapitre, tu évoques assez brièvement l'évolution, en tout cas l'intrusion même, de la technologie dans la course au large. Tu en donnes un peu plus, mais j'en prends deux en exemple. Tu parles d'Eric Tabarly en 1964 dans la Transat anglaise, qui avait son seul régulateur d'allure pour unique technologie. C'était les seules choses qu'il avait, donc pas de GPS, rien d'autre. Et on passe après à Philippe Janteau en 1983 pour son tour du monde en solitaire, qui n'a pas fait un seul point sextant. Donc là, je cite la citation que tu cites de Philippe Janteau. On dira ce qu'on voudra de l'électronique, mais après 47 jours de mer, un atterrissage réussi à 1 000 près, sans aucune visibilité. Ce n'est pas un sextant qui l'aurait permis. Merci Shipmate, tu as fait du bon boulot. Shipmate doit être l'outil qu'il avait utilisé cette année-là. Je trouve ça fou qu'en 20 ans, la course au large aient été à ce point changé. Et du coup, je m'interroge, est-ce que tu parlerais de révolution ? Ça a révolutionné la course au large ? Est-ce que c'est une évolution naturelle et une tendance de fond ? Et puis peut-être aussi préciser qu'est-ce que c'est qu'un sextant pour nos éditeurs-auditrices ?
Speaker0 Alors un sextant, c'est un instrument de navigation qui permet aux navigateurs de connaître leur position en se repérant par rapport au soleil, le jour et aux étoiles, la nuit, de déterminer leur latitude et leur longitude et donc de connaître leur position sans aucun instrument électronique.
Speaker1 Ok, et donc c'est ça qui devient caduc, ou en tout cas qui est remplacé par le GPS, que citait Jean Tau en 1983, c'était ça en fait ?
Speaker0 Exactement, voilà. Et puis il faut savoir que l'utilisation d'un sextant, c'est assez compliqué, ça nécessite de prendre des repères, ensuite d'utiliser des tables, etc., qui permettent ensuite de déterminer sa position. Et ça a une limite principale qui est que quand on ne voit pas le soleil, on ne peut plus déterminer sa position. Donc quand il fait mauvais, on a des marins qui parfois se trouvent dans la capacité de déterminer leur position pendant parfois plusieurs jours.
Speaker1 Est-ce que c'est une révolution ? Est-ce que c'est une évolution ? Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ça ?
Speaker0 Alors, je dirais que c'est plus une évolution qu'une révolution, même si personnellement et puis d'autres personnes aussi avec qui j'ai pu échanger partagent parfois ce sentiment-là que peut-être à partir d'un certain point, est-ce qu'on est vraiment encore dans la course au large ? Est-ce qu'on n'a pas changé d'univers ? Mais voilà, les choses se sont faites progressivement avec Philippe Jantot que tu citais. À la fois, il était dans l'émerveillement de ce que lui proposait, lui amener la techno. Et puis, parfois, il évoque la fierté qu'il a à ne pas se servir des instruments et à savoir réussir tout seul et à se poser aussi la question. Est-ce que ça ne vient pas enlever cette part d'autonomie et de fierté ? Mais ceci dit, les choses ont évolué progressivement avec une technologie qui prend de plus en plus de place, qui change quand même pas mal la pratique. Elle a beaucoup fait évoluer l'architecture des bateaux, les carènes, l'utilisation de foils. Aujourd'hui, on a des bateaux qui volent littéralement, qui ont énormément augmenté les vitesses que les bateaux peuvent atteindre. La technologie est dans tout ce qui est équipement électronique, donc on a effectivement le GPS depuis longtemps, mais tout un tas d'autres équipements qui permettent de régler, d'optimiser leur performance, de collecter tout un tas de données, beaucoup de calculs aussi derrière, et donc une utilisation de plus en plus intensive de la technologie. Ça se traduit à la fois par plus de vitesse, plus de sécurité dans certains domaines, mais aussi de nouvelles fragilités. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, un bateau sans énergie, il ne peut plus avancer. Un bateau sans pilote, c'est la course qui s'arrête. C'est Roland Jourdain, dans une des interviews, qui parlait d'une course dans laquelle un des skippers avait dû abandonner. Alors, il force un peu le trait, mais en disant, voilà, son écran d'ordinateur est en panne et il arrête la course. Et quand on pense que ce sont des bateaux qui coûtent des millions d'euros sur des courses qui, normalement, durent plusieurs mois, voilà, s'arrêter pour une panne d'ordinateur, ça paraît, voilà, un petit peu, comment dire. Une forme de limite de la technologie. Ou en tout cas, alors, j'évoque dans le chapitre le concept de contre-productivité qui est proposé par Ivan Illich, qui dit, voilà, la technologie, elle est bien quand elle nous aide et quand elle nous amène à une meilleure maîtrise des choses. Mais quand, finalement, on perd la maîtrise à cause de la technologie, peut-être qu'on bascule dans la contre-productivité. Et alors, aujourd'hui, il y a cette question-là, elle fait débat. Et peut-être que, voilà, il y a, dans une certaine mesure, un peu deux camps. Il y a ceux qui, et puis, évidemment, tous les intermédiaires entre ces deux camps, mais ceux qui pensent que la technologie, c'est un progrès, ça permet d'aller plus loin et plus vite, et que c'est une course que de toute façon on ne peut pas arrêter. Et voilà, on est dans un monde, dans un univers de compétition, de course, et un coureur et un compétiteur, il va toujours vouloir se dépasser, dépasser le record précédent, et c'est l'essence même de la course, et donc la technologie aide là-dedans, et donc forcément on continue dans cette voie-là. Et puis, il y a ceux qui, alors peut-être avec une pointe de nostalgie, mais qui se disent qu'on a quand même peut-être perdu quelque chose là-dedans. On a perdu du contact avec les éléments. On a de nouvelles fragilités. Et on a des skippers qui, eux, ont clairement pris position, notamment sur la question de l'argument écologique. Un skipper qui s'appelle Stan Turet, qui a écrit un bouquin là-dessus et qui a dit, voilà, moi, j'arrête la course pour raisons écologiques. Il a écrit un ouvrage, Réduire la voilure. Et lui, il se dit qu'à un moment, on est allé trop loin, je vais chercher une autre voie. Et puis après, l'un d'autres qui explore différentes pistes, Roland Jourdain travaille à la fois sur des écomatériaux pour construire des bateaux plus écologiques et puis une réflexion sur les usages. On a aussi ceux qui, tout en étant très dans la techno, se disent que ça fait avancer peut-être des solutions de décarbonation pour le fret maritime. Donc, c'est un progrès qui, par ailleurs, est utile. Voilà, donc il y a tout un tas de questionnements.
Speaker1 Des tensions, des controverses qui ont lieu, qui ont cours. Et c'est vrai que l'espace du bateau, parce qu'il est déconnecté, parce qu'il faut gérer son eau, sa quantité d'eau, sa quantité d'énergie au jour le jour, au quotidien, c'est un espace, un espace-temps qui met vraiment en lumière cette pratique de la sobriété, cette capacité à gérer son stock d'eau, son stock d'énergie au jour le jour, Avec la question du vent qui est là, qui n'est pas là. Sauf qu'aujourd'hui, les bateaux de course, c'est ce que Roland dit dans une des citations dans le chapitre, c'est qu'aujourd'hui, les bateaux de course, c'est devenu presque des avions de chasse où le pilote, à un moment, il est là plus que pour le backup et donc c'est quasiment autonome. Et donc, dans cette course à la performance, ça me fait penser aussi à quand les grands maîtres d'échec un jour se sont fait battre par une intelligence artificielle de IBM. À un moment donné, on s'est rendu compte que cette performance brute de calcul, la machine gagne. C'est comme Usain Bolt au 100 mètres, il se fait battre par une Ferrari sans aucun problème. Donc, c'est vrai qu'on arrive à un moment où cette course à la performance, si on la pousse au bout, les machines battront et nous gagnerons quoi qu'il arrive. C'est déjà écrit d'avance. et donc finalement ça vient bien re-questionner ce que c'est que le bateau, ce que c'est que le sens d'un humain d'être sur le bateau et à la limite faire de la course, on peut faire de la course avec des drones qu'on envoie et puis qu'ils aillent le plus vite mais il n'y a plus besoin de pilotes à l'intérieur c'est vrai que c'est assez particulier quand on regarde cette course à la performance, au final la machine gagnera quoi qu'il arrive donc est-ce qu'elle n'était pas vaine dès le début Et donc c'est intéressant tous ces controverses qui émergent, ça me fait penser à tout ça au passage quand tu me racontes ça mais je t'ai entendu être surprise ou te questionner sur cette place de la technologie par cette proximité géographique du Low-Tech Lab que tu évoquais en introduction et puis les écuries de bateaux de voile. Donc peut-être qu'on peut zoomer maintenant un peu plus sur les personnes et les pratiques qui critiquent cette omniprésence ou qui considèrent qu'on allait trop loin dans cette place de la technologie ? Et qu'est-ce qu'ils proposent aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'ils explorent aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'il y a à l'œuvre dans cette controverse, mais du côté des personnes qui critiquent ?
Speaker0 Oui, OK. Alors, je veux juste revenir quand même sur deux petites choses. Je t'en prie. Dans, effectivement, ce questionnement sur la course à la performance et qui pourrait évincer l'homme de l'aventure. Heureusement, quand même, les règles de course, elles préservent cette part d'aventure humaine. Parce qu'il y a des règles qui font qu'il y a un certain nombre de choses que les skippers doivent gérer tout seuls. Et puis, le skipper au milieu de l'océan, c'est quand même, quand il est au bout du monde, il est tout seul. Et donc, on garde cette aventure humaine, cette prouesse quand même.
Speaker1 On n'en est pas encore à tout remplacer.
Speaker0 Donc, ça, c'est quand même important. Il ne faut pas l'oublier. Et l'autre chose que je voulais dire, en fait, c'est dans les paradoxes que tu as soulignés, mais c'est ça qui fait que je trouve que ce cas de la course à la voile, il est assez passionnant. C'est que le bateau, c'est un laboratoire d'innovation technologique et en même temps un laboratoire de sobriété. Et j'en discutais ces derniers jours avec un des navigateurs qui a gagné le Vendée Globe en 2020, Yannick Bestaven, et qui posait la question, mais qui aujourd'hui est capable de vivre trois mois en autonomie totale. Et il n'y a pas grand monde qui a fait cette expérience et qui l'a réussi. Et donc, on a aussi ce paradoxe entre dépendance et autonomie. En fait, on a une certaine dépendance à la techno et en même temps, on est dans une expérience d'autonomie qui reste assez forte. Donc, c'est intéressant d'explorer ces paradoxes. Alors après, pour revenir sur ceux qui critiquent et quelles sont les propositions. Alors en fait, j'ai évoqué tout à l'heure ceux qui ont dénoncé l'impact écologique de la course à la voile. Il y a eu un collectif qui s'appelle La Vague et qui a dénoncé. Il y a eu une tribune dans l'équipe à un moment où, voilà, j'ai le titre en tête, mais qui dénonçait l'impact écologique de la course au large et qui dit qu'il faut qu'on change les règles du jeu. On ne peut pas continuer comme ça. On ne peut pas détruire l'océan sur lequel on navigue. Donc ça amène à des réflexions sur les règles de classe de bateau, sur les règles de course et avec des courses qui évoluent, notamment certaines qui limitent la construction de bateaux neufs dans les classes pour faire en sorte qu'on ne soit pas dans une inflation permanente au budget et qu'on puisse continuer à faire naviguer des bateaux plus anciens. Par exemple, d'autres courses qui proposent, au lieu de faire des allées simples, des transats où derrière, il faut que les bateaux reviennent en cargo, ce qui a un impact important, même si c'est sans doute pas le plus gros de l'impact. Propose des courses qui vont faire des boucles ou des allers-retours, ce genre de choses. Donc là, il y a une réflexion des acteurs de la course à la voile dans ce domaine-là. Et puis, comme je l'ai un petit peu évoqué tout à l'heure, certains qui vont explorer des nouveaux matériaux. Alors, Oui Explore, c'est l'initiative de Roland Jourdain d'avoir un bateau qui est un ambassadeur qui n'est pas juste là pour dire oui, on peut faire une coque en fibre de l'air, mais qui est plus après un bateau qui est un support de communication pour faire réfléchir sur les usages. Qu'est-ce qu'on veut ? Quel type de navigation ? Plus largement ? Dans quel monde on veut vivre ? Etc. Et donc, on a ces différents questionnements aujourd'hui.
Speaker1 Et tu faisais le lien, je crois, est-ce qu'il y a un lien entre WeExplore et le Low-Tech Lab ou pas du tout ?
Speaker0 Oui, tout ça se retrouve dans la fondation Explore, en fait, qui est un laboratoire un peu d'exploration. Alors, je n'ai plus en tête la manière dont ils se dénoncent, mais ils incubent en fait plein de projets, comme le Low-Tech Lab, comme le projet WeExplore, et puis tout un tas d'expéditions, comme le Nomade des Mers et d'autres initiatives qui font aussi partie de cette galaxie de la Fondation Explore.
Speaker1 Et avant le Low-Tech Lab, avant le Nomade des Mers, j'avais entendu parler du Gold of Bengal, c'est dans We Explore en fait, où c'est à postériori, enfin moi j'avais suivi Corentin de Chatelperron, et donc un petit peu au tout début du Low-Tech Lab, et il sortait, donc avant le Nomade des Mers, il sortait de cette aventure du Gold of Bengal qui était l'idée de créer un bateau 100% composite en jute, qui a été créée en février 2013. Et là, tu cites un bateau ambassadeur. Je me demandais, est-ce que c'est la même chose ? Est-ce que c'est différent ?
Speaker0 L'articulation exacte de l'enchaînement des projets et puis comme leur organisation, je n'ai pas tout le détail en tête. Il y a une continuité dans ces projets, à la fois c'est des personnes qui se connaissent et puis on reste dans la même ligne de questionnement, de remise en question de la technologie, plutôt remise en question au sens dans quel monde on veut vivre, de quoi on a besoin, est-ce qu'on peut faire des choses autrement. En tout cas, dans ce chapitre-là, je n'avais pas tellement évoqué ces projets-là parce qu'on n'était pas dans l'univers de la course au large, mais plutôt à la fois de l'exploration, au sens exploration à la voile, et encore un autre univers. Et puis dans celui de l'expérimentation, qui est encore quelque chose de super intéressant. Et ce que fait le Nomade des Mers ou ce qu'ils ont fait avec le Gold of Bengal, c'est de voir comment on peut faire les choses autrement, en vivant les choses. Et le projet WeExplore, quelque part, c'est un peu la fusion de tout ça. quoi. Le WeExplore, il a fait la route du Rhum, il a fait des courses et il vient se nourrir de toutes ces expérimentations, de toutes ces réflexions.
Speaker1 OK. Et donc, pour reprendre un peu le fil, parce que là, on tisse des liens que tu fais aussi, puisque tu parles beaucoup des low-tech, mais moins du low-tech lab et moins de ces expériences de Nomade des Mers, etc., dans ton chapitre. Mais peut-être pour revenir à ton chapitre et aux personnes ou aux acteurs qui critiquent la place de la technologie aujourd'hui qui aurait pris un peu trop de place, tu parles aussi de deux autres acteurs que je trouve peut-être intéressants à partager et à nommer. C'est la Golden Globe Race de 2018 qui propose des choses et puis aussi il y a la figure de Bernard Moiteussier qui est très présente dans ton je ne sais pas si on le prononce comme ça je ne sais pas si je le prononce bien mais qui est très présente dans ton chapitre tu peux nous en dire quelques mots ?
Speaker0 Oui, alors effectivement, peut-être pour commencer par Moitessier, en fait, c'est une figure emblématique de la course en solitaire autour du monde parce qu'il est connu pour avoir renoncé à terminer le Golden Globe Race. À l'époque, il était en tête de la course et puis il a fait le choix de l'histoire, on ne peut pas savoir s'il l'aurait remporté ou pas, mais il a choisi de repartir autour du monde pour tout un tas de raisons, mais. Il a vécu des choses tellement fortes en communion avec la mer que pour lui, le retour à la civilisation ne lui semblait pas être envisageable. Et donc, il est reparti une deuxième fois refaire le tour du monde après ce qui paraît assez incroyable, quand Quand on sait les épreuves par lesquelles il est passé, par l'aventure que c'était à l'époque de faire ce tour du monde-là, il décide de repartir sans passer la ligne d'arrivée. Et Moitessier, dans son ouvrage qui s'appelle « La longue route », il questionne beaucoup. En fait, il est très critique de la société de consommation, etc. À nombreuses reprises, en fait, quelque part, il plaide. Moi, ce que je trouve intéressant, ce n'est pas seulement le côté critique, mais c'est le côté proposer autre chose. En fait, par exemple, il refuse d'embarquer une radio autour du monde, ce qu'on lui a proposé parce que la course s'appelait à l'époque la Sunday Times Golden Globe Race. Et donc, ce que les médias attendaient, c'était évidemment aussi des nouvelles de la course, une médiatisation, une couverture médiatique, etc. Et on lui demande d'embarquer une radio et en fait, lui ne veut pas embarquer la radio parce que ça pèse lourd et qu'en plus, il sent bien que ça va être un filet à la patte. Et donc, il choisit d'utiliser un lance-pierre et il prend des photos et il écrit son journal et il lance ça avec son lance-pierre sur le pont des navires qu'il va croiser au fil de sa course pour communiquer. Et en fait, lui, il dit voilà, un bon lance-pierre, ça vaut tous les postes émetteurs du monde. C'est tellement mieux de se débrouiller avec seulement les deux mains que le bon Dieu m'a donné et une paire d'élastiques. Et voilà. Et en fait, il est à la fois critique et il propose autre chose. Et on retrouve la même chose chez beaucoup d'autres navigateurs. Donc je cite Jeantot, j'en ai parlé tout à l'heure, mais qui à la fois vante les mérites de la technologie dans certaines situations, mais dit que c'est quand même super aussi de pouvoir se débrouiller tout seul. Et donc, oui, pour le lire, tu parlais de la Golden Globe Race, mais c'est pareil pour moi, ce n'est pas une critique, c'est une autre proposition en fait. Donc cette course qui avait eu lieu dans les années 60 a été rééditée en 2018 par des gens qui se sont dit, on va revenir aux sources de la navigation, de l'aventure la plus pure de la navigation à la voile et on propose une course dans laquelle la règle c'est en fait aucune techno qui n'aurait pas été disponible à l'époque, dans les années 60, à l'époque de la première course. Et donc, ça veut dire à la fois dans la construction des bateaux, mais aussi dans les équipements électroniques. Donc, pas d'équipements électroniques, pas de GPS, pas de radio, etc. Sauf évidemment un kit de sécurité à bord en quatre pépins. Et donc, on est dans une autre envie quelque part et de se dire qu'on reste quand même dans la course, mais un peu différente. Et alors après, peut-être le personnage, on n'en a pas parlé, mais qui pour moi un peu quelque part synthétise un peu toutes ces tensions et les mouvements contraires qu'on va chercher à concilier, c'est Éric Tabarly. Parce qu'Éric Tabarly, c'est un innovateur né. Il était passionné de technologies aussi bien au niveau de l'architecture des bateaux, des premiers foils, de tout un tas de choses qu'il a inventées, qu'il a expérimentées et en même temps... Il était toujours hyper attentif à rester autonome, à rester en maîtrise de sa techno, à choisir dans certains cas de ne pas en utiliser. Il raconte qu'il avait embarqué la radio, lui, pour faire plaisir à sa maman, mais qu'il ne l'a pas utilisé au final. Donc, il crée aussi parfois la surprise en arrivant premier sur une ligne d'arrivée où personne ne l'attendait parce qu'on n'avait plus de nouvelles de lui. Alors là, en l'occurrence, je pense que c'est une panne d'équipement sur la course que je mentionne là. Mais il a cette ambivalence entre, on innove, on trouve des nouvelles solutions, on essaie d'aller plus vite et en même temps, on reste en maîtrise de cette techno. On garde quelque part un libre arbitre, une autonomie. Et après, il faut souligner, il a réalisé des exploits sportifs, il a gagné des transats en réalisant des exploits absolument incroyables. Donc, ça reste un compétiteur né et hors normes. mais avec un discernement important.
Speaker1 Il y a une chose que je n'avais pas vue jusque-là et pourtant qui revient souvent dans d'autres contextes que la course au large, que le bateau. Mais cet arbitrage, puisque tu l'évoquais tout à l'heure dans la réactualisation de la Golden Globe Race 2018 en mode navigation rétro. En tout cas, c'est le terme que tu mets dans ton chapitre, navigation rétro au sens, reprenons les technologies des années 60 pour faire cette course-là. Ce qui me marque là, c'est qu'on prend ce bateau rétro, on fait la course, sauf pour le petit kit de sécurité au cas où. Et je trouve ça rigolo cette tension entre liberté, sécurité cet espace là où rétro et sécurité, donc la technologie à quelques endroits on peut la refuser ou la remettre en question mais en même temps on garde ce kit quand même au cas où il y a un pépin alors qu'en 1960 il n'y avait pas le choix et donc il n'y avait pas ça et donc le risque était pris, y compris il n'y avait pas le kit de sécurité technologique pour appeler en GPS ou je ne sais où pour appeler à l'aide s'il y avait un problème on peut refuser pour remettre en question cette place de la technologie, mais en même temps, pas jusqu'au point de prendre le risque de jouer sa vie. Ben non, la société n'est pas prête à le faire, visiblement. Je ne sais pas si toi, ça te frappe, ça te marque ou si tu le retrouves dans d'autres contextes que la course au large aussi, cette tension ?
Speaker0 Alors, en fait, je pense que c'est des débats ou en tout cas, c'est des questions qui traversent le mouvement des low-tech, mais je pense de manière assez positive. C'est-à-dire que l'idée quand on parle de low-tech, ce n'est pas de refuser la technologie, ce n'est pas de s'opposer à la high-tech, c'est plutôt de questionner la place de la technologie. Moi, j'aime beaucoup la philosophie d'Ivan Illich, qui parle de société conviviale, qui est une société dans laquelle on maîtrise la technologie, on est maître de la technologie, et non l'inverse. Et donc, on se questionne toujours sur est-ce que la technologie me rend plus libre, me rend plus autonome, et si oui, elle est bonne à prendre. Et sinon, effectivement, je me posais la question. Et donc, on ne refuse pas tout. On se demande, voilà, qu'est-ce que je gagne ? Qu'est-ce que je perds ? Et souvent, en fait, quand on parle de technologie, quand on discute avec des skippers, des compétiteurs sur est-ce que cette course à la technologie, elle est inéluctable ou est-ce qu'à un moment, peut-être qu'il va falloir freiner, etc. Certains disent mais non, ce n'est pas possible. En fait, on ne peut pas arrêter la course du progrès, etc. Puis en plus, ce ne serait pas souhaitable. Et puis, on ne va pas revenir en arrière, etc. Puis là, on retrouve un peu, on ne va pas revenir à la bougie, etc. Et en fait, pour moi, la low-tech, ce n'est pas du tout un retour en arrière, c'est un pas de côté. Et en fait, je pense que cette image, elle est importante. On fait un pas de côté. On se dit, voilà, il y a des développements technologiques qui sont utiles dans le domaine de la santé, par exemple. Souvent, quand on parle de low-tech, beaucoup de gens disent, j'aimerais pas aller chez un dentiste low-tech. Voilà, pas d'anesthésie, on va le faire à l'ancienne. Donc voilà, il y a des endroits où évidemment, c'est très bien, c'est utile, c'est souhaitable. Et puis, il y a d'autres moments où finalement, soit parce qu'on considère que peut-être ce que ça nous apporte par rapport à ce que ça coûte. Alors, ça nous coûte à nous ou à la société parce qu'on parle d'impact écologique. C'est une chose, on se dit à un moment, peut-être qu'on pourrait aller plus vite, mais à un moment, non, c'est trop coûteux. Les bateaux aujourd'hui sont faits en carbone, ils ont un poids écologique, puis toute la course qu'il y a autour a un gros poids écologique. Donc, un moment peut se dire, non, on va ralentir. Parfois, ça coûte, je pense, à titre individuel. Et c'est ce que certains disent, comme Roulange-Olin, que je citais dans le livre. Il dit à un moment, on perd quelque chose. Je ne sais pas quoi, mais on perd quelque chose. On perd ce contact avec les éléments. On perd cette liberté. On perd quelque part aussi la coupure. Parce que c'est ça aussi, ceux qui ne veulent pas embarquer des radios à bord. Et même en plaisance, on entend ça. Des gens qui disent, je sais que si j'ai WhatsApp, ce ne sera pas pareil. Moi, ce que je veux, c'est être coupé du monde. Et ce qui semble essentiel aujourd'hui, c'est de se poser la question, qu'est-ce qu'on gagne, qu'est-ce qu'on perd ? À quelles limites on se met ? Et de temps en temps aussi, se mettre des limites, c'est une bonne chose ?
Speaker1 Dans l'exemple que je prenais tout à l'heure, c'était la question de la sécurité. Ben oui, ne nous empêchons pas de sauver une vie si la technologie le permet. Le refuser, ce serait peut-être stupide ou pas, je n'en sais rien. En tout cas, ce qui est intéressant, c'est plutôt de se questionner plutôt que de refuser. Quand j'ai lu ton chapitre, et peut-être c'était par manque d'espace pour écrire, ça restait un chapitre d'un livre, pas un livre en entier. Mais c'est vrai qu'une question qui me venait, c'était, bon ben alors, effectivement, est-ce qu'on va que dans la course rétro ? Donc, dans le refus, moi, je suis reparti avec peut-être une petite crainte de tomber dans une certaine vision un peu rétrograde du monde ou une technophobie, tu vois, qui serait, à mon avis, délétère et pas souhaitable. Et je trouve que la ligne est étroite, tu vois, entre questionner. Ça me fait penser, il y a eu un article de reporter il n'y a pas longtemps, là, dont le titre, c'est « Ces navigateurs redécouvrent les étoiles pour s'orienter ». Et donc il relate toute la question de l'usage du sextant dont on a parlé au tout début, de pratiquer, et donc c'est pas simple. Et puis il y a tout un questionnement des personnes qui le pratiquent en se disant, bah oui en fait on n'en a plus besoin avec le GPS, comme j'entoure en 83, et en même temps de l'apprendre, c'est important de ne pas perdre la compétence. Il y a cette question aussi de ne pas perdre la compétence, comme si la technologie éliminait les compétences qu'on avait. Il n'y a plus besoin de les maintenir et donc on risque de les perdre et de les oublier. Il y a cette envie de préserver cette compétence, de préserver le sens et le lien avec les étoiles, avec les cartes des étoiles, avec la mer. Et puis la question de la sécurité, la question... Donc ce que tu dis, là, dans notre échange, me rassure dans ce pas de côté plus que ce retour en arrière. Parce que finalement à la lecture du chapitre je restais avec ce petit goût, est-ce qu'il n'y a pas un risque à prôner une vision un peu rétrograde et technophobe ?
Speaker0 C'est un des travers, ou en tout cas, c'est une des difficultés auxquelles est confronté le mouvement low-tech, c'est que souvent on l'assimile de par son nom, ce adjectif low qui nous fait penser que voilà, low c'est moins bien que high, et puis l'opposition low-tech high-tech, et donc qui ramène justement à ce côté retour en arrière, rétrograde, puis vouloir arrêter une course de progrès que de toute façon, même si on voulait, on ne pourra pas l'arrêter. Donc, ce n'est pas ça l'idée, en fait. C'est vraiment se mettre dans une position de questionnement, de discernement sur le sens, la maîtrise, l'autonomie qu'on veut avoir. Ce que cherchent les gens qui font ces stages pour y apprendre à servir d'un sexe-cent, c'est se dire, voilà, on n'a pas envie non plus de tout déléguer à la machine. Mais pour autant, on va l'utiliser quand elle est dispo, quand c'est utile. Ça m'amène à une autre idée qui est, voilà, on veut préserver notre autonomie, c'est important. Et à mon avis, on a intérêt à le faire parce qu'il faut aussi qu'on soit réaliste sans être dans une logique survivaliste ou catastrophiste. Mais on voit bien qu'on s'achemine vers un monde dans lequel on aura de plus en plus d'événements un peu imprévisibles, de catastrophes climatiques ou autres qui vont nous amener à des coupures d'électricité. Donc même chez nous, on peut se retrouver dans des situations où il faut encore savoir faire quelques trucs avec ses deux mains ou avec son intelligence. Il y a un côté un petit peu dangereux de se reposer trop sur la techno. Et donc, je pense que c'est important de cultiver cette autonomie aussi. Et j'en ai discuté avec des skippers en disant, mais est-ce que ceux qui disent que c'était mieux avant, est-ce qu'il n'y a pas un petit côté un peu truc de vieux, nostalgique ? Et certains m'ont répondu, si, oui, si, c'est un peu un truc de vieux, vieux, nostalgique. Et j'ai bien aimé l'image qu'on m'a proposée en disant, mais finalement, quand toi tu penses au navigateur, à la barre de son bateau, à braver les éléments et puis à se prendre des paquets de mer, on dit en fait si tu fais la comparaison avec la Formule 1 ou l'aviation on dit en fait le navigateur à la barre de son bateau c'est un peu comme le pilote automobile. Du début de la course automobile ou du début de l'aviation avec son petit casque ses petites lunettes et son écharpe dans le vent l'image romantique, aujourd'hui dans un avion ou dans une Formule 1 évidemment c'est plus possible et donc ça a évolué un bateau qui vole ça reste toujours un bateau. Et donc, OK, dans ce cas-là, j'arrivais effectivement à comprendre un peu ce sens de l'histoire. Et en même temps, je me suis dit, ouais, mais sauf que on ne parle quand même pas de la même chose parce que la Formule 1, l'aviation, ça marche aux énergies fossiles. Et la voile, pour moi, c'est un autre univers, c'est autre chose. Je parlais tout à l'heure de laboratoire de sobriété, mais c'est quand même le sport écologique par excellence. Voilà, on avance à la voile et on est au contact des éléments. Et je me suis dit, oui, la comparaison, elle marche jusqu'à un certain point. Et c'est ce truc qu'on se dit, ok, mais. Parfois, il faut aussi se dire jusqu'où on va, jusqu'où on va, à quel moment peut-être on bifurque, quelles autres voies on explore. Et après, il y a tout un questionnement qui me semble intéressant à poursuivre, qui est en fait une concurrence d'imaginaires. Il y a plusieurs imaginaires, il y a la course, il y a l'aventure, il y a les explorateurs, il y a l'imaginaire de la mer. Il y a des imaginaires qui entrent un peu en compétition dans un monde où l'imaginaire du progrès technologique reste dominant. Et donc, c'est intéressant de voir comment tout ça s'articule. Mais je pense qu'après, à la fin, il faut trouver le meilleur de tout. Là, on voit qu'il est en train de se passer quand même des choses de manière assez significative sur le développement du fret à la voile. Et c'est une bonne chose. Et c'est entre autres tiré par ces progrès-là. Donc, c'est bien aussi. Donc, il ne faut pas tout jeter.
Speaker1 En tout cas, moi, ça fait vraiment le pont avec mes propres enquêtes, mes propres expérimentations de sobriété. Je sais qu'aujourd'hui, par exemple, je vis dans des petites maisons avec une certaine quantité d'eau disponible, avec une certaine quantité d'électricité disponible. Je suis à terre, mais finalement, je reproduis les conditions et volontairement, pour le coup. Donc, je mets volontairement sous contrainte mon espace de vie pour aller pratiquer, explorer cette sobriété à terre et pas en mer. Et en même temps, ce qui m'a donné envie de pratiquer ça aujourd'hui dans mon quotidien, puisque c'est ma façon de vivre, mais ce qui m'en a donné envie, ce n'était pas en mer, ce n'était pas en bateau, mais c'était de partir en van Pendant un moment, de vivre une van life sur 3 à 6 mois. Quand on est un peu en mobilité, on a un stock d'eau à gérer, on a une certaine quantité. Après, il y a les énergies fossiles puisque ça restait du pétrole qui nous faisait avancer. Mais ce fait de vivre pendant un petit moment dans un îlot, là qui n'était pas un bateau, mais qui était un camion en déplacement, je trouve ça assez formateur, à condition de le prendre comme une exploration, comme une expérimentation, comme ce que tu disais tout à l'heure et non pas comme un refus ou comme un retour arrière, mais de se faire ces moments-là. Et j'imagine que partir en bateau, c'est une vraie expérience qui permet à ensuite quand tu reviens à Terre de te questionner sur cette abondance, sur le fait d'ouvrir le robinet, il y a toujours de l'eau qui coule et d'où elle vient, comment elle se gère, où elle s'évacue. Et je trouve que ces expériences-là de vie dans des petits bateaux sont hyper intéressantes et hyper apprenantes pour revivre sur Terre dans des espaces un peu plus sobres. Et en plus, comme tu le disais, il est fort possible qu'avec soit les chocs, les crises, les pannes, les cyberattaques, etc. Que là où on croit qu'il y a de l'abondance, demain deviennent de plus en plus un petit bateau isolé pendant un petit moment parce que tout d'un coup, il n'y a plus d'énergie, parce que tout d'un coup, les pompes d'eau tombent en panne. Et donc, il faudra faire avec. Et donc, toutes ces expérimentations qui auront eu lieu en mer ou sur terre de sobriété et donc d'une certaine autonomie, une certaine capacité à gérer au lance-pierre plutôt que sur les réseaux sociaux, une communication ou autre, ça peut être hyper inspirant, justement, pour les chocs et les crises qui sont déjà là et qui risquent d'augmenter demain.
Speaker0 Mais, ouais, effectivement, c'est intéressant que tu... Voilà, t'évoques l'expérience de vie dans une tiny house, dans une petite maison avec le plus d'autonomie possible. Et en fait, moi, ce que je trouve... Donc, effectivement, le fait de vivre ces expériences-là, c'est super intéressant parce que ça te permet de voir ce qu'on gagne aussi, En fait, je ne l'ai pas dit au début, mais un des points de départ de ma recherche et de mon travail, c'était de se dire, ok, les low-tech, tout le monde dit que c'est un renoncement. Mais en fait, on gagne plein de choses avec les low-tech. Et sans être dans une vision un peu idyllique, utopique de la chose, en fait, il faut qu'on arrive à se décabler de cet imaginaire qui nous fait croire que plus de technologie, c'est mieux, moins de technologie. Et on se prive, etc. Et on découvre des choses. Et en fait, j'avais été hyper intéressée par les expérimentations qui avaient été faites justement par le Low-Tech Lab de Concarneau sur l'habitat Low-Tech. Et en fait, où ils disaient, on a fait une expé, on vit pendant un an dans une tiny house autonome. On s'est dit au départ, oula, on va peut-être devoir, ça va peut-être être compliqué, etc. On va devoir renoncer à un certain confort. Et en fait, ils s'aperçoivent après qu'ils gagnent tellement en liberté, en autonomie et en sentiment de sécurité que finalement. Ils se sentent beaucoup plus en sécurité là où ils pensaient que ça allait générer de l'insécurité. Et c'est là où je trouve super intéressant d'aller... Faire des expériences, et je pense que c'est peut-être la meilleure manière, je ne sais pas si c'est la seule, mais sans doute la seule, en y réfléchissant, de se dire qu'on peut déconstruire nos représentations. Et là, ce qu'on met derrière l'idée de liberté, en fait, ce n'est pas toujours ce qu'on croit. Et là où on pense qu'une tiny house autonome, un van, etc., oui, c'est une contrainte parce qu'on n'a que... Mais en fait, c'est une liberté énorme et c'est une sécurité énorme. Et quand il y a eu des tempêtes en Bretagne et qu'il n'y avait plus d'eau, d'électricité, etc., tous les réseaux étaient en panne pendant un certain temps, eux, ils étaient peinards. Et ils savaient faire. Et donc, là où on croit qu'on est une contrainte, on peut trouver de la liberté. Là où on pense se mettre en danger, finalement, on retrouve de l'autonomie et de la sécurité. Et peut-être sortir de ce truc qu'on nous a mis dans le crâne depuis des décennies, en fait, que la technologie allait rendre notre vie plus confortable. On serait plus en sécurité, etc. Et l'autre expérience, puisque tu disais, c'est des expériences qui font changer nos représentations et qui amènent à des prises de conscience, c'est-à-dire C'est vrai que le bateau, c'est une super expérience pour ça. Et voilà, parce qu'en bateau, on calcule tout, en fait, ce qu'on consomme, mais aussi ses déchets parce qu'on garde tout à bord. Et je me rappelle, ça me fait penser à deux choses, mais Hélène MacArthur, qui est une navigatrice assez incroyable. Je ne sais plus quelle âge elle avait quand elle avait fait Vendée Globe, mais c'était toute jeune, et donc qui avait raconté comment le fait de vivre en autonomie sur un bateau, ça lui avait fait prendre conscience que la planète, c'est la même chose. quoi. Et on a un stock de ressources fini, quand c'est fini, c'est fini. On n'a plus. Et donc ça, cette prise de conscience-là, elle était intéressante. Et l'autre truc qui m'avait amusé aussi, c'était un skipper qui me disait que quand il rentrait, ou je l'ai lu peut-être, je ne sais plus, que quand il rentrait chez lui, il se baladait avec sa frontale dans sa maison, parce qu'en fait, allumer la lumière dans toute une pièce pour aller... C'était juste devenu un réflexe. Et donc, il se promenait avec sa frontale et en fait, c'est hyper pratique. Une frontale la nuit dans une maison, on s'aperçoit bien mieux que d'allumer la lumière. Et donc, en fait, quelque part, on apprend des choses. Alors, malheureusement, on va vite les apprendre quand il y a de l'eau robinée et quand il y a la lumière. Quelque part, l'expérience de la navigation, j'ai des expériences jeunes, de croisière et autres. Et c'est peut-être aussi des réflexes qu'on intègre. Et qui sont intéressants.
Speaker1 En tout cas, ça fait vraiment la boucle avec... Ça m'est revenu le titre de l'épisode avec Nathan Ben Kemoun, c'est « Ce qu'il y a à gagner, à renoncer ». Et c'est exactement ce dont on parlait tout à l'heure. On croyait perdre en sécurité, en fait, on gagne en sécurité, en tout cas pour l'exemple du Low Tech Lab et dans d'autres contextes. Et je trouve que ça, on ne peut pas vraiment l'appréhender intellectuellement ou que juste sur la base d'une discussion, sans cette pratique, sans l'expérimenter. Et comme toute l'ambition de ce podcast, c'est de partager mes enquêtes de sobriété et d'inciter nos auditeurs-auditrices à partir à l'aventure, à partir à l'enquête, enquête de sobriété, que ce soit sur mer, que ce soit sur terre, où ils veulent en tout cas d'expérimenter, de faire des tests, des expérimentations pour réinventer en fait la notion de confort à l'aune de la sobriété et de se re-questionner, comme tu dis, de re-questionner cette place de la technologie, de l'abondance de l'eau, de l'électricité, de l'énergie et de se dire tiens, et si on jouait pendant un mois à vivre dans notre appart, Mais sous contrainte d'électricité, on se donne une certaine quantité de kilowattheures et non pas l'abondance. Et testons, expérimentons, voyons ce que ça donne, comme si on était sur un bateau dans notre appartement. Et qu'est-ce que ça donne ? Et ça peut être son appart, ça peut être sa maison, ça peut être ce qu'on veut. Mais en tout cas, c'est toute l'ambition de ce podcast-là, de se donner envie ensemble. Non, on n'est pas complètement fêlés ou ainsi un petit peu, mais expérimentons cette sobriété dans un quotidien et même dans un temps limité. Parce que parfois, la vie ne le permet pas, mais jouons à ça. Donc un grand merci Isabelle pour avoir fait tous ces ponts et d'avoir ramené cette idée d'expérimentation là à la fin de notre échange. Je trouve ça passionnant. Merci beaucoup.
Speaker0 Merci Alexis.
Speaker1 J'espère que cet épisode vous a plu. Grâce à ces partages d'écoute et de réflexion, de discussions authentiques, de doutes, de contradictions et de joie simple du quotidien, j'espère vous donner envie de mener votre propre enquête pour construire collectivement une alternative aux exploitations en tout genre. Notre amitié de plus de 40 ans qui réalise l'habillage et le montage sonore de ce podcast Ingrid de Saint-Thomas pour son aide sur l'habillage visuel, Barbara Nicoloso directrice de Virage Énergie pour sa commande sur la sobriété qui m'a mis le pied à l'étrier, Alexandre Monin et