Music Musique
Speaker0 Hétéro, la sobriété, ben c'est pas gagné. Et oui, l'attrait pour la démesure affecte avant tout les personnes privilégiées. Épisode après épisode, théorique ou pratique, je mène l'enquête avec mes invités. Bonne écoute.
Music Musique Salut Jérôme.
Speaker0 ...
Speaker1 Salut Alexis. Merci.
Speaker0 Alors Jérôme, on s'est rencontré pendant mon année de Master Stratégie et Design pour l'Anthropocène, dirigé par Alexandre Monnin, que j'avais reçu d'ailleurs dans un précédent épisode du podcast. Nous avons plus particulièrement fait connaissance pendant les deux dernières journées de la redirection écologique et on a notamment échangé sur le thème de la sobriété, puisque toi aussi tu t'intéresses au sujet. Donc en effet, tu as monté une formation pour les entreprises sur le thème de la sobriété, on en parlera, et tu t'intéresses à la question des modes de vie et projets de société permettant une sobriété systémique. Tu es aussi un des co-auteurs du livre « La redirection écologique des entreprises » qui est sorti récemment.
Speaker1 Oui, on est sur mars 2025.
Speaker0 Mars 2025, donc tout frais, tout récent. Et tu as fait plein d'autres choses que ce que j'ai présenté. Là, j'ai présenté ce qui fait qu'on est rentré en contact et qu'on a échangé. Et du coup, en se côtoyant, j'ai constaté qu'on avait pas mal de points communs. Bon, d'abord, le master, de fait, a fait la première promo, j'ai fait la quatrième. Puis ensuite, je qualifierais notre intérêt sur la sobriété avec une entrée plutôt par les chiffres, par les modèles, par les rapports. Et peut-être en lien avec nos formations, que je vais qualifier de supérieures. Toi, tu as un doctorat, puis un post-doc en océanographie. Moi, j'ai fait un diplôme d'ingénieur. Voilà, on a quelques points communs et peut-être quelques points de désaccord et on va en discuter ensemble pendant cet épisode, plus particulièrement parler de sobriété et d'entreprise, ça te va ?
Speaker1 Très bien Très bien,
Speaker0 Ma première question pour toi c'est comment tu es arrivé à la sobriété, quel a été ton chemin notamment professionnel mais peut-être aussi personnel et peut-être tes difficultés ou tes déclics pour cheminer jusqu'à la sobriété ?
Speaker1 Comme on l'a vu quand on a préparé ce podcast ensemble, tu m'as aidé à révéler des choses que je n'avais pas vues dans mon propre parcours. C'était très intéressant, j'avoue que je n'avais jamais pris ce recul. Je vais faire la version courte parce que j'ai 50 ans, donc ça commence à faire un petit cumul d'expériences. Mais en gros, comme tu l'as très bien indiqué, à la base j'étais physicien, puis j'ai obtenu un doctorat en océanographie physique, plutôt orienté sur les régions climatiques. Et donc, pour donner un ordre de grandeur, j'ai commencé ma thèse en 1997. Donc, les sujets du changement climatique étaient déjà au cœur de tous ces sujets, surtout quand on parlait de l'Arctique. Donc, je suis plutôt sensibilisé au sujet du changement climatique depuis très longtemps. Pendant mon post-doc en Belgique, par exemple, j'étais avec la délégation belge à la COP numéro 9 en 2003, qui s'est tenue à Milan. Voilà, juste pour dire que cet élément de base scientifique, puisque tu l'as pointé, il y a clairement un fond scientifique dans ma formation. Et là depuis très longtemps dans ma vie. Après être revenu en France, avoir fait un post-doc supplémentaire au CNRS sur Paris, j'ai quitté le monde académique, j'ai rejoint une première toute petite entreprise qui faisait de l'océanographie, de la simulation numérique, etc. Que j'ai quitté au bout de trois ans et j'ai pris le poste de directeur général dans une entreprise à l'époque qui s'appelait Non-Fiction, qui fait des critiques d'essais littéraires et je m'occupais du pôle développement durable. Puis ils m'ont proposé le poste de directeur général. Donc c'était plutôt culturel, intellectuel. J'ai fait ça pendant un an et en fait, on l'a transformé en association parce que c'était très dur de trouver un modèle économique. Je te parle de 2008-2009 à cette époque.
Speaker0 Et non-fiction, non-fiction.fr, c'est encore un site qui est disponible. Qui existe complètement.
Speaker1 Donc, c'est une de mes petites fiertés. C'est que non-fiction.fr... Pas 20 ans, mais 18 ans plus tard, elles existent toujours. Et il y a donc des milliers et des milliers de critiques d'essais que j'utilise toujours. J'en sois les newsletters et ça m'est très utile parce qu'ils me font un défrichage sur plein de sujets. Et il y a toujours des gens qui écrivent que j'avais embarqué à l'époque, comme Hicham Stéphane a fait ça, un philosophe qui parle de deep ecology et qui m'avait fait découvrir énormément de choses à l'époque. C'était passionnant pour ça intellectuellement. Et j'avais même fait écrire un article à Valérie Masson-Delmotte à l'époque dans les tout premiers éléments. Donc, une belle expérience. Et puis après ça, j'ai monté une autre société en 2009 dans la foulée de non-fictions qui s'appelait Mister Ecologie et qui était un site de e-commerce, de produits, d'économie d'eau et d'énergie. Et en fait, cette envie de monter ce site m'était venue par la découverte du scénario Negawatt. Donc, Negawatt est relativement bien connu aujourd'hui, surtout dans les milieux, on va dire, écologiques, puisqu'il travaille depuis plus de 20 ans maintenant sur la notion de transition d'abord énergétique. Ils ont élargi de plus en plus, mais ils parlaient surtout d'énergie à l'époque. Et donc, en 2007, je me suis retrouvé au moment des élections présidentielles dans une conférence où, si on était 20 ou 30 dans la salle, c'était le bout du monde. Et Negawatt présentait son scénario, en parlait, avec les trois grandes composantes qui étaient l'efficacité énergétique, l'utilisation de renouvelables et la sobriété.
Speaker0 Et qui sont toujours d'ailleurs, puisque je crois que ça reste encore les trois piliers, si je ne me trompe pas.
Speaker1 Tu as tout à fait raison, j'utilisais le passé pour dire qu'ils ont une constante depuis 20 ans, c'est qu'ils ont toujours été là-dessus. Un élément par contre qui m'est revenu et que j'ai revu dans un poste quelque part il n'y a pas longtemps, c'est qu'à l'époque on parlait de diviser les émissions de CO2 par 4. On parlait du facteur 4. Bon, aujourd'hui on est plus sur un facteur 5 ou 6 parce qu'on prend de plus en plus de retard. Mais donc j'ai découvert un peu tout ça et ça a été une révélation sur l'énergie. Je connaissais encore peu ce sujet à l'époque et l'eau où on avait toujours un petit peu en l'air, cette idée que l'eau était un élément précieux. Mais les deux combinés, j'ai eu cette épiphanie en me disant c'est vraiment les sujets clés dont il faut s'emparer. Donc je vendais toutes sortes de produits, des choses qui sont aujourd'hui des communs qu'on retrouve partout. Les économiseurs d'eau que vous avez au bout de vos robinets n'étaient pas systématiques à l'époque dans les robinets, donc je vendais ce genre de choses c'était le passage des lampes à filaments vers les lampes LED et non pas encore les LED c'était le début des LED et j'ai oublié le nom pour te dire c'était pas des halogènes Qu'on est en train d'écarter d'ailleurs aussi pour basculer encore plus vers les LED et autres systèmes de ce type je vendais les vélos électriques aussi à cette époque c'était le début il y avait même quelques entreprises françaises dont certaines je crois existent toujours Et j'ai fait ça pendant trois ans, mais comme j'aime bien le dire souvent, quelle idée de vouloir économiser l'eau et l'énergie en 2009, autant attendre 2020-2025 et avoir des vrais problèmes. J'étais là peut-être un petit peu trop tôt, donc ça marchottait, mais je ne gagnais pas d'argent, je n'en perdais pas, mais c'était un peu limite. Et donc j'ai un peu laissé tomber ce projet trois ans plus tard et j'ai monté une autre société avec un ancien collègue de la première startup en océanographie. On a monté Open Océan, qui était une société de conseil en océanographie plutôt pour les projets d'énergie renouvelable en mer. Donc on leur permettait de faire une pré-étude de site sur les vagues, les vents, les courants pour connaître les caractéristiques historiques. Et on avait développé un logiciel en ligne. J'ai fait ça pendant dix ans, jusqu'à 2019, où la société Open Océan a été intégrée dans un grand groupe. Et je n'ai pas vraiment le profil de travailler dans un grand groupe. Si tu vois mon parcours, je n'ai jamais eu de patron. Je ne me sens pas vraiment à l'aise dans ce milieu. J'ai pris mon envol et c'est là où j'ai fait le master dans la première promo stratégie et design d'anthropocène.
Speaker0 Mais du coup, dans ce que tu nous as décrit, j'ai entendu peut-être des choses autour de l'optimisation énergétique, des choses autour des énergies renouvelables. Il y a ton autre boîte, mais du coup, la sobriété dans tout ça ?
Speaker1 Et bien, comme je te l'ai dit aussi quand on avait discuté, c'est aussi le moment en 2006 où j'ai acheté le Paris de la décroissance de Serge Latouche. Le bouquin venait de sortir. Je l'ai toujours et je vois mes notes dessus, les surlignages que j'avais fait à l'époque. Et pas complètement convaincu encore par cet élément-là. Et donc, ça faisait quelques années et je vais dire bien cinq ans, presque dès le début d'Open Océan, où je sentais qu'il y avait une brique qui manquait dans ma réflexion. Et le terme de renoncement qu'a utilisé Alexandre Monnin dans son interview à Uzbek&Rica, publié en mars 2020, si je ne me trompe pas, a été un flash. Mais clairement, un flash à ce sac où je me suis dit, mais c'est ça. On ne va pas pouvoir se contenter d'utiliser ce qu'on a et qu'on connaît bien, c'est-à-dire optimiser les systèmes et faire des énergies renouvelables, même si en France, la culture énergie renouvelable n'était pas énorme par rapport à peut-être quelques pays scandinaves, mais c'était du déjà-là, en fait. Et le renoncement est quand même quelque chose qui est peu là, même si, comme l'explique Alexandre des fois, pour des raisons capitalistiques et financières, on renonce et on ferme. Mais ce n'était pas cette motivation-là, puisque l'idée, c'était de prendre en compte l'état de dégradation qu'on faisait subir à notre système Terre, mais aussi peut-être retrouver un équilibre. Et pas seulement renoncer pour protéger, mais renoncer pour même avoir du bien vivre. Et tout ça combiné m'a fait faire un bond en avant d'un seul coup. En fait, je pense que tout était là et ça a été juste ouvrir les vannes. Et tout est devenu cohérent dans mon esprit sur l'importance de toutes les composantes. Mais le poids que j'avais envie de mettre sur celle qui était peut-être la plus difficile parce que la plus nouvelle, qui était la composante sobriété. Et bien là, une nouvelle excitation intellectuelle avec ce déblocage qui m'a amené derrière à réfléchir post-croissance, décroissance et autres. Sur les aspects économiques.
Speaker0 Et donc, malgré ton doctorat plus post-doctorat, t'es retourné sur les bandes de l'école pour faire un master, donc c'est très rigolo, et je retrouve des résonances avec ton cheminement. Pareil, sur cette question aussi d'optimisation, c'est vrai que, c'est pas trop daté, mais dans ces années-là, sur les 2005-2009, ben oui, cette question d'énergie renouvelable était là, oui, cette question d'optimisation, d'efficacité était là, j'ai pu m'en emparer d'une façon ou d'une autre, plus avec ma casquette ingénieur, mais c'est vrai que la question sobriété, renoncement, en tout cas, moi, à mon échelle, elle a été très difficile aussi à appréhender. Je veux dire, c'était un concept, c'était une théorie presque avant de l'appréhender. Moi, je l'ai appréhendée plutôt dans ma vie quotidienne, en fait, en me rendant compte, par exemple, en comparaison avec ma compagne, au quotidien que j'avais des réflexes à aller du côté de, je ne sais pas, trouver la super VMC, hyper bien optimisée, super technologique, très bon rendement, donc vraiment sur l'efficacité énergétique, quoi. Et là où elle avait un rapport plutôt bon, ben, qu'est-ce que j'ai, qu'est-ce qui est disponible comme matériaux, comme trucs, et comment je peux faire avec, comment je peux bricoler, comment je peux bidouiller.
Speaker1 Déjà low-tech, oui.
Speaker0 Oui, voilà, déjà low-tech, qui ne se revendiquait pas low-tech, qui ne se revendiquait pas écolo, qui ne se revendiquait pas de la sobriété même. Et moi, ça, c'était une vraie claque d'expérience, de construire cette maison bioclimatique avec mon regard d'ingénieur au quotidien et de voir les frictions dans les réflexes ou les habitudes ou les pratiques de ma compagne. Et c'est vrai que c'est là-dedans que ça m'a sauté à la figure, ce concept ou cette idée, mais plus en pratique, pas en théorie et de comprendre en quoi c'était difficile pour moi d'y accéder ce que je dis notamment dans l'introduction de chaque épisode, et donc c'est là aussi où je trouve des ressemblances finalement dans ton parcours et dans le mien et du coup qui t'a amené donc à faire ce master et à publier donc récemment ce livre, oui je tiens dans mes mains mais vous ne le verrez pas, le livre La redirection écologique des entreprises donc tu es co-auteur, donc il a été écrit avec Jérôme Jérôme Cuny c'est toi pardon, avec sinon virgule, Jeanne Baverey Margot Boitel et Raphaël Garnier. Exactement.
Speaker1 Alors, je te ferai un mini détour vraiment très rapide. C'est que j'ai publié un autre livre avant ça. Qui est venu de mon mémoire de master, puisque comme moi tu as dû écrire un mémoire, toi tu l'as écrit sur la sobriété, moi je l'ai écrit pour des raisons personnelles, par des rencontres, sur la réindustrialisation dans le cadre des limites planétaires. Et par rebond, par connexion, il se trouve qu'on m'a présenté à quelqu'un qui écrivait dans la collection Fake Not, Isabelle Brockman, et elle m'a proposé d'écrire un peu dans la lignée de ce que j'avais écrit dans mon mémoire sur la réindustrialisation dans le cadre des limites planétaires, ce qui m'amenait nécessairement à me poser la question de quoi produire, quoi fabriquer et donc le livre se termine d'ailleurs sur des encouragements à la sobriété de consommation donc il y avait une certaine continuité donc ce livre là est sorti en octobre 2022 et après j'ai eu envie en 2024 de lancer ce livre sur la redirection écologique des entreprises sachant que toutes les personnes que tu as nommées ont fait partie du master et dans ma promo, puisque donc Jeanne Raphaël et Margot sont designeuses de formation et étaient avec moi dans la promo 1 du master. Et le cabinet Sinon Virgule a été monté par trois personnes, dont Joseph Sournac, qui était aussi dans ma promo, ainsi que Johan Brazy et Luca Deutsch, qui a participé particulièrement à l'écriture avec Joseph du cabinet Sinon Virgule. Mais donc c'est beaucoup de gens du master que nous avons suivis tous les deux.
Speaker0 Ok, donc je comprends qu'en fait c'est aussi une continuité avec ton précédent livre, c'était l'écriture de ce livre, que tu voulais l'écrire à plusieurs, et peut-être ce qui peut m'intéresser, c'est les motivations à te lancer dans cette aventure, parce que j'imagine que c'est pas rien quand même, moi j'ai jamais écrit de livre et je suis pas sûr de le faire, mais j'imagine que c'est pas rien, c'est du boulot, c'est de l'énergie, etc. Donc qu'est-ce qui t'a motivé, et plus particulièrement dans la foulée, c'est quoi la place de la sobriété dans vos propositions, dans ce livre ?
Speaker1 L'idée du livre, en fait, elle venait, et quelque chose qui va résonner en toi, c'est que le concept de redirection écologique, que tu as déjà développé en podcast, en discutant avec Alexandre Monnin, il y avait quand même une Un petit manque, pas une frustration, mais un petit manque de méthodologie, on va dire, très ancrée. Ce qui était normal, le mouvement de pensée était encore relativement jeune, s'explorait et se déclinait aussi entre le quotidien des citoyens, les collectivités territoriales et les entreprises. Et la réflexion était en cours. Et peut-être à nouveau mon côté scientifique que tu as pointé. J'ai pas absolument besoin de méthode mais de temps en temps quand c'est confus dans ma tête j'ai besoin d'organiser un petit peu Et donc à un moment j'ai commencé à dessiner mais ça ressemblerait à quoi un processus d'accompagnement d'une entreprise du début à la fin dans l'esprit de la redirection écologique est arrivée bien sûr la phase de sensibilisation sur le fait qu'il faut beaucoup plus prendre en compte d'où les gens viennent ce qui est un point qui a beaucoup été oublié pendant trop longtemps à faire de la communication de masse ou de la sensibilisation de masse pour les citoyens ou pour les entreprises. Derrière le gros sujet qui est une des forces de la redirection écologique et d'où le titre du master qui était stratégie et design. Le design appelant à l'enquête approfondie. Donc c'est toute la deuxième section du livre parce qu'il y a besoin de comprendre dont les attachements qui j'imagine est un concept que vous avez dû bien explorer avec Alexandre qui est un des éléments très très importants je pense de la redirection écologique qui montre un niveau de respect de l'humain que je trouve très, très intéressant dans ce concept. Et puis derrière, quand j'ai commencé à le dessiner, ce petit parcours comme ça, sur un miro, donc un outil de graphique en ligne, je me suis aperçu, et là, on arrive à un embranchement. Parce qu'en fonction de ce qu'on voit dans l'enquête, il va falloir faire des choix. Et le choix de « on prend tout ce qui pollue et on le ferme », tu as parlé d'aspects pragmatiques quand tu t'es retrouvé avec ta maison. Eh bien, si on prend en compte les attachements, si on prend en compte la structure, l'histoire et ce que contient l'entreprise et son potentiel, plutôt écologique disons, qui aura peut-être été révélé par l'enquête, il n'y a pas qu'un seul chemin en fait. C'est pas « tu pollues, tu ne pollues pas », c'est pas binaire du tout. Et c'est là où le plaisir de travailler à plusieurs, c'est qu'on s'est posé en réflexion et on s'est forcé à dire c'est quoi les possibilités. Et on a même essayé, et ça c'est le challenge, de poser des critères. Parce qu'à partir de ce qu'on découvre de l'enquête, à quel moment on décide, l'entreprise peut continuer parce que oui, elle a peut-être un peu un impact environnemental, mais son utilité sociale est tellement forte qu'on ne va pas la fermer. On peut y avoir une discussion sur l'utilité sociale. et si elle a beaucoup d'impact ou pas, ça fait un autre chemin. Et puis certains où on se pose la question, s'il y a une utilité sociale faible et beaucoup d'impact environnementaux, ça nous fera encore un autre chemin. Et arrivait aussi l'idée, avec un certain optimisme vis-à-vis des entreprises, de partir du principe qu'elles ont toujours un potentiel, soit des actifs humains, soit des actifs matériels, qui pourraient lui permettre de se transformer, Je prendrais le cas le pire, si son utilité sociale est relativement faible, c'est-à-dire qu'elle fait, je ne sais pas, des gadgets en plastique, disons. Les goodies qu'on vendait dans les salons, même s'ils ont clairement, ça faisait longtemps que je n'avais pas été dans un salon professionnel, j'y suis retourné. Bon, ils ont pratiquement disparu, mais une entreprise qui fait ça a un savoir-faire, des compétences, peut-être des machines, qui peuvent être utilisées pour autre chose. Donc c'est la désaffectation-réaffectation dont on parle dans l'entreprise et qui est en fait l'idée de rediriger l'entreprise vers une utilité sociale et des impacts les plus faibles possibles écologiquement. Mais il peut y avoir des approches intermédiaires avec des gens qui vont se dire, ok j'ai une forte utilité sociale mais mes impacts environnementaux sont plutôt forts. Peut-être que la sobriété dans mon approche de production, de vente et d'usage du produit serait peut-être pertinente pour quelque part, parce qu'on pourrait réduire ses impacts environnementaux, c'est une autre forme d'utilité sociale, outre l'usage direct de l'objet, c'est aussi participer à la société de manière positive en essayant d'avoir un impact le plus faible possible. Donc c'est un des chemins et c'est là où la sobriété, on l'a quand même mis dans la famille des formes de renoncement, puisqu'on avait parmi les branches, on avait parlé de renoncement fermeture, qui est une des grandes originalités de la redirige sur l'écologie, qui a osé mettre le renoncement fermeture sur la table en disant peut-être qu'il y a certaines structures et peut-être même certaines entreprises qu'on ne pourra pas rediriger, qu'ont des impacts monstrueux et qui n'apportent pas grand-chose dans la société par leur production. Et peut-être qu'il faudra peut-être les fermer avec tout l'accompagnement que propose la redirection écologique en prenant en compte les attachements, les humains et surtout s'écarter de l'approche peut-être un peu trop sauvage des fois de l'approche capitalistique, c'est plus rentable on donne un choc à tout le monde, merci, au revoir donc faisons cet accompagnement en fermeture, bien mais il y a aussi le renoncement sobriété c'est-à-dire on ne renonce pas à tout mais on va peut-être réduire la manière dont on produit la manière dont on vend et le volume n'est plus l'alpha et l'oméga de la manière dont on fonctionne dans l'entreprise.
Speaker0 Si je le reprends un peu, donc la démarche qui est proposée dans la redirection écologique des entreprises, c'est quatre étapes. Une étape de sensibilisation, une étape d'enquête sur les risques, sur les forces, sur les dangers, sur les vulnérabilités, sur les potentialités, sur les attachements. Toujours cette dimension-là. Puis ensuite, une étape un peu d'arbitrage pour faire le point de tout ça et pour cartographier un petit peu ce que tu évoquais. Et ce qui est chouette dans le bouquin, c'est qu'il y a vraiment plein d'outils, plein d'exemples, plein de choses à s'emparer. Puis ensuite, une étape de redirection, la quatrième étape. Donc avec trois chemins, si j'ai bien retenu.
Speaker1 Trois ou quatre, parce qu'il y a aussi celui où une entreprise qui a une très forte utilité sociale et autre, on peut peut-être juste optimiser ce qu'on appellera nous, dans notre langage, la transition écologique. C'est-à-dire qu'on ne va pas changer la finalité, on ne cherche pas à réduire le volume de production ou l'utilité du produit, on va juste essayer d'optimiser parce que la place de l'entreprise a tout son sens, Mais ces impacts environnementaux peuvent sûrement être réduits de manière intelligente. OK.
Speaker0 Et donc, dans cette phase arbitrage, un des quatre chemins possibles pendant cette phase arbitrage, et ce, j'imagine que ça se découpe à l'échelle du produit, pas que de l'entreprise dans son ensemble, ça va se sous-découper dans tout ce travail d'enquête et d'arbitrage. Là, un de ces quatre chemins possibles, c'est ce renoncement sobriété. Et c'est ça, la place de la sobriété en entreprise qui est évoquée dans ce livre.
Speaker1 Tout à fait. Et c'est très intéressant que tu aies pointé l'idée du produit, parce qu'on a beaucoup insisté et un des co-auteurs avait beaucoup poussé cette idée de travailler à différentes échelles pour une entreprise. Ça peut être à l'échelle d'un produit, d'une gamme de produits, d'une business unit, donc un département. Ou peut-être toute l'entreprise. C'est ce qui sera révélé par l'enquête, comme tu le disais très bien.
Speaker0 Peut-être, je verrais trop pédaler un petit peu. Avant de zoomer sur cette question de la sobriété, surtout que vous donnez un exemple dans le bouquin qui donne à voir ce que ça pourrait être, sans probablement être exhaustif. Peut-être, avant d'aller sur ça, je veux remonter un tout petit peu en arrière, puisqu'on a eu un petit débat à un moment sur un sujet. Pendant l'étape de sensibilisation en particulier, donc c'est page 31, il y a un passage qui m'avait marqué, en tout cas qui m'avait attrapé de l'attention. Donc je cite, éviter que des personnalités dans l'action ne se jettent dessus sans engager une réflexion plus ambitieuse. Donc ce que je lisais, c'était l'idée pendant cette étape de sensibilisation de ralentir l'envie de passer à l'action. Et moi, je voyais une hypothèse forte là-dedans, et je veux bien avoir ton avis sur ça. Donc cette hypothèse forte que je crois lire, c'est que la réflexion précéderait l'action, comme s'il fallait temporiser pour bien réfléchir avant de passer à l'acte, à l'action. Et moi, je suis vachement marqué par une proposition, il faudrait Je les invite un jour de l'IDRI, avec la fameuse phrase qui est connue et qui l'a renversée. La phrase qu'on connaît, c'est « quand on veut, on peut ». Ça, c'est le côté individualiste. Si j'ai la volonté, je peux faire, je peux trouver un job, je peux renoncer, etc. L'IDRI, dans un travail que je n'ai pas encore lu en détail, mais propose d'inverser cette formulation en disant « quand on peut, on veut ». Et je trouve qu'elle dit beaucoup de choses. « Quand on peut, on veut », ben oui, si je peux prendre le vélo en sécurité, je vais peut-être avoir plus envie de le prendre que si je ne peux pas le prendre en sécurité. Si je peux installer des choses efficaces pour chauffer mon logement, je vais peut-être plus le vouloir que machin. Et je trouve que cette inversion est hyper pertinente et hyper maligne, et elle représente bien l'inflexion qui me gratte, là, dans la citation que je donnais tout à l'heure. Si l'action précédait la réflexion, qu'est-ce que ça donnerait ? Alors voilà, j'ai envie de te demander, qu'est-ce que tu penses de ce truc qui me gratte, quoi.
Speaker1 Alors, je vais tout de suite, pour pas qu'on déconnecte, revenir à ce qu'on a écrit dans le livre, mais je voudrais réagir aussi sur cette formulation qui, tu as dit, est très pertinente et très intéressante. Alors, pour remettre un tout petit peu de contexte, La phrase que tu as citée venait plutôt vers la fin de la phase de sensibilisation, où clairement on utilise le terme qui est beaucoup utilisé dans la sphère de la redirection écologique, qui est « créer du trouble » dans l'idée de la sensibilisation. Ce n'est pas juste « donner de l'info », mais clairement « créer du trouble », et si je peux me permettre la formulation, « presque un malaise » en réalisant la gravité de la situation et l'ampleur de la transformation nécessaire. Et en fait, cette émotion qui est censée être générée par la sensibilisation peut être si forte qu'on a aussi de manière psychologique voulu prendre en compte et mentionner tout de suite que pour plein de personnes, il faut éviter de les laisser telles quelles en plein champ avec toutes ces informations qui montrent qu'on va monter à plus 3 degrés et que Paris sera invivable et qu'on ne sait pas ce qui nous restera de l'eau et est-ce que les rendements agricoles vont baisser de 5% ou de 20%. Et donc, dans l'idée de ne pas les laisser en plein champ nus, C'était l'idée de ouvrir quelques pistes concrètes d'action pour que tout de suite, si on parle de la théorie en U, on amène les gens plutôt bas pour accepter de remettre en cause leur vie et peut-être la société, mais il faut les amener à les relancer en leur donnant des pistes d'espoir, d'espérance, comme les gens veulent, mais certains n'aiment pas ces mots-là, mais pour se dire, c'est pas fini, c'est-à-dire qu'ils ne deviennent pas fatalistes. Donc c'était ça l'idée de la phrase que tu as indiquée. Mais tu as raison qu'on mettait un bémol, pourquoi ? Parce que par expérience, on l'a vu tous les co-auteurs et d'autres personnes avec qui j'ai échangé, me le mentionnent souvent, c'est dès qu'on va proposer des pistes de solutions qui, les premières, vont être plutôt de l'optimisation, souvent. C'est pas toujours la sobriété qu'on présente en premier, ou le ralentissement, pour être encore plus général. Nos interlocuteurs ont tendance à sauter dessus parce que c'est de l'espoir très concret qui rassure. Donc c'est ça qu'on veut éviter, parce que les approches, on va dire, techniques, classiques, renouvelables, Optimisation, ne suffisent clairement pas, les chiffres le montent à foison, de quel ordre de grandeur, il y a des débats qui sont encore en cours, mais clairement ne suffisent pas. Donc c'était la signification de cette phrase. Mais tu as raison, un des éléments forts de la redirection écologique inspiré par le design, c'est clairement la co-construction, c'est-à-dire ce livre, vous allez voir, certains nous le disent, mais il n'y a rien de tout fait. On vous dit beaucoup, réfléchissez en interne, parce qu'on veut janter nos interlocuteurs dans le grand bain, pour qu'ils fouillent, qu'ils explorent tout de suite, mais qu'ils acceptent de prendre le temps. Pour donner un ordre de grandeur pour rejoindre ça, un autre exemple qu'on a donné pas mal dans le livre, que j'utilise souvent, qui est Nexans, qui n'a pas été un de nos clients, mais qui en a beaucoup parlé, le dirigeant, et qui a même écrit un livre, etc., et qui a fait des choses très intéressantes, ça a été dix ans de préparation avant de vraiment lancer le plan qu'il avait conçu. Dix ans. Donc, oui, se lancer pour réfléchir et être dans le concret est peut-être une forme d'action, Mais accepter que même dans cette forme d'action, du temps sera nécessaire dans tous les cas et le prendre peut être une manière déjà de commencer à se rediriger, d'ailleurs.
Speaker0 Ce que tu évoques là, ça fait écho à quelques expériences que j'ai pu avoir, effectivement. Et moi, ce qui me convainc dans ce que tu dis, c'est que finalement, enquêter est une forme d'action. Donc, ce n'est pas vraiment continuer de réfléchir avant de passer à l'action, mais c'est bien passons à l'action dans l'enquête. C'est juste, peut-être justement cette question d'arbitrage, n'arbitrons pas trop vite, ne décidons pas trop vite quelle action à mener d'optimisation, d'efficacité. Mais c'est ça où c'est intéressant dans votre cheminement et dans la démarche, c'est qu'il y a bien sensibilisation, puis enquête avant d'aller sur l'arbitrage. Et peut-être que cette phase d'enquête, voilà, pour moi, elle a pris 5 ans, 6 ans à mon échelle individuelle, à l'échelle du ménage. Mais pour une entreprise, ça peut peut-être prendre 3 ans, 5 ans, 10 ans, c'est le cas de Nexon. Et c'est pas une attente de réflexion mais c'est une enquête et donc c'est déjà de l'action mais juste de ralentir l'arbitrage de ralentir ce passage à des actions structurantes qui est probablement une, difficulté de certains dirigeants d'entreprise ou responsables d'entreprise qui ont envie, qui sont peut-être attrapés par le temps court et qui voient un problème et ont envie d'aller à une solution ben non, il y a un problème, enquête et la solution peut-être émergera mais elle va prendre du temps avant émerger, c'est ça que je comprends de votre phrase.
Speaker1 Et accepter ce qu'on discute souvent, avec quoi tu es à l'aise, je le sais, parce qu'on a suivi le même master, qui est tout le concept des trois horizons, accepter le temps court, moyen et long, parce que rien n'empêche de lancer des petites actions qui permettent d'engager un peu les gens sur le court terme, d'autres à moyen terme, et les très grosses soient le résultat de ce qui a pu être posé avant, à voir si tu considères que c'est de l'action ou pas, mais Nexan, c'est un des premiers éléments qu'il a fait, c'est lancer des analyses de cycle de vie sur toutes ces gammes de produits. Alors, ça n'implique pas tous les salariés, ce n'est pas transformant, mais c'est révélateur. Et c'est déjà énorme de révéler. Ce qu'il faut réaliser, qu'on est tous en chef d'entreprise, même si on a plein d'aléas, etc., même les aléas classiques sont une routine. Prendre du recul, ça peut paraître surprenant, ça dépend à quel point tes auditeurs sont à l'aise sur le mécanisme d'une entreprise, mais malheureusement, une tendance qu'on voit, c'est que la réflexion à long terme a fortement disparu, d'autant plus dans les petites entreprises qui peuvent toujours être proches de la fragilité, mais même dans les grandes entreprises dont on s'aperçoit qu'elles ont théoriquement les moyens, mais qu'elles ont une réflexion court terme qui les empêche de réfléchir long terme, prendre du recul sur leurs produits, leurs offres, et qui sont juste dans des référentiels de compétitivité pris souvent, et parfois fonctionnalités, et qui réfléchissent le sujet environnemental ou social toujours un petit peu a posteriori, et en commençant par l'enquête, révéler des éléments sur leur entreprise, pour moi c'est déjà une forme d'action qui est tout sauf anodine pour beaucoup d'entreprises, et qui se prennent des claques, et en fait il y a plein d'étapes difficiles aussi, sociologiquement et intellectuellement, et psychologiquement, pour le dirigeant, Ou pour l'entreprise, parce que des salariés découvrant les impacts environnementaux de leur entreprise peut être un choc désagréable.
Speaker0 Ça me fait penser à une autre réflexion qu'on n'avait pas nécessairement préparée, puisque là tu parles des dirigeants, de l'entreprise, des salariés. Je me dis que dans les corps sociaux de l'entreprise, il y a aussi les syndicats. Et moi, de ma propre expérience personnelle, je constate que beaucoup de syndicats, en tout cas historiques, sont attachés à la question des conditions de travail. Et moins de questionner la finalité de l'entreprise qui, elle, était comme si elle était dévolue aux détenteurs, aux actionnaires et à la direction. Et je me dis que finalement, vous ouvrez sans le mentionner puisque c'est moi qui le lis dans tout ça, mais dans cet espace un petit peu d'enquête, justement, je trouve que vous ouvrez aussi une invitation à d'autres corps sociaux de l'entreprise et pas que les dirigeants, pas que les marqueteux, les concepteurs, etc., mais aussi d'autres catégories, d'autres populations dans l'entreprise, dont les représentants du personnel, les syndicats, à aller se poser des nouvelles questions qui ne sont plus que les conditions de travail au sein de l'entreprise. Alors, je dis que c'est ultra réducteur, ils ne font pas que ça, bien entendu, mais néanmoins qui bougent ce curseur et qui amènent des nouvelles questions que peut-être on n'a pas l'habitude ou la pratique de se poser en temps que syndicat. Je me demande si vous aviez pensé au syndicat dans le bouquin ou pas du tout et comment tu vois ça ?
Speaker1 Alors, complètement, on le mentionne très rapidement, mais c'est vrai qu'on l'englobe dans ce qu'on va appeler les parties prenantes, un élément essentiel d'une transformation, mais ils en font complètement partie. Alors, je te rejoins, il y a une évolution. La CGT vient de sortir une boîte à outils d'évaluation qui va au-delà du social et qui prend en compte l'environnemental. Il y a même eu, alors par contre, tu as raison, ce ne sont pas les syndicats historiques, mais il y a même un syndicat qui s'appelle Printemps écologique qui s'est construit sur cette idée qu'il fallait avoir une vision plus large. Mais c'est vrai qu'en étant un petit peu caricatural, les syndicats prenaient pour acquis, on va dire, le productivisme et se concentraient sur comment faire pour que les salariés soient bien traités dans ce système productiviste, sans remettre en cause le productivisme. Mais ils sont un élément essentiel. En fait, d'autant plus sur la redirection écologique qui... Est clairement un peu plus radicale que la transition écologique puisqu'elle va mettre en cause les finalités de l'activité et pas juste les moyens. Nécessairement, tout le monde doit être embarqué et si c'est aussi profond et doit se faire dans le respect des personnes et pas juste comme une décision capitalistique subie par tout le monde et décidée par le haut, il faut embarquer tout le monde. C'est absolument nécessaire et les syndicats, c'est vrai qu'ils sont encore en route même si on écoute par exemple la représentante de la CGT, Sophie Binet, on l'entend interagir avec Jean Covici régulièrement et elle est clairement au fait et on sent que ça prend plus de place. Je l'ai vu aussi avec la représentante de la CFDT. On a senti un saut qui a été fait, mais il est relativement récent. Tu as raison. Il a moins de 10 ans et ils accélèrent et ils essayent d'avancer et c'est indispensable. Tu as raison pour avoir une vision plus systémique. Je rappelle souvent, en fait, le terme de RSE, Responsabilité Sociétale des Entreprises, qui a été, on va dire, la première approche d'objectif de transformation des entreprises pour réduire leurs impacts. Bon, étant donné qu'il est devenu parfois un peu trop souvent une forme de greenwashing, il a fini par avoir un peu moins bonne presse ces dernières années, mais c'est devenu juste de l'exigence et pourquoi pas. Mais je rappelle toujours que le terme est plutôt bien pensé, responsabilité sociétale des entreprises. Le mot responsabilité, c'est reconnaître que mon entreprise ne flotte pas dans les nuages au-dessus du sol. Elle est au sein d'une région, d'une biorégion même, on peut dire pour être un peu plus pertinent, d'un pays et d'une planète où se trouvent plein d'humains. Et prendre ces responsabilités, c'est reconnaître simplement ça. C'est « je suis dans le monde, je ne suis pas hors du monde ». Et le fait de produire et de fournir quelque chose idéalement d'utile à la société ne permet pas tous les droits et ne donne pas tous les droits hors sol. Donc, la responsabilité, on peut dire « ah oui, mais elle serait donc au dirigeant ». Oui, mais donner du sens au travail… Ça nécessite d'avoir une responsabilité en tant que travailleur, quel que soit son niveau hiérarchique dans l'entreprise. Donc, je trouve que ce terme de responsabilité a beaucoup de sens et que plus que jamais, c'est un moyen de refaire sens dans l'entreprise en impliquant tout le monde. Parce que prendre ces responsabilités, je trouve que ça donne du sens.
Speaker0 Voilà Oui, peut-être même que c'est un début de sortie du trouble dont tu parlais, donc de ce moment dans lequel on est perdu on se dit, on voit l'immensité de la tâche à accomplir et dans ce trouble-là commencer à se dire de quoi je suis responsable et où est-ce que je peux prendre mes responsabilités dans cet espace de responsabilité, c'est déjà une forme moi j'ai toujours cette phrase pour faire face aux mauvaises nouvelles, rien de mieux que l'action, et donc prendre ces responsabilités parfait.
Speaker1 Tout à fait Par contre, je modifierais juste un tout petit truc que tu as dit. Je dirais, nous prenons nos responsabilités. C'est une version idéalisée. Mais aujourd'hui, si on veut être cohérent, il faut aussi inclure cet élément-là de réflexion commune et de sens commun de l'activité de cette organisation qui se trouve être une entreprise.
Speaker0 Alors, peut-être un exemple pour concrétiser un petit peu qu'est-ce que pourrait être renoncement sobriété pour une entreprise tu as évoqué déjà Nexan dans le livre est-ce que tu peux nous citer les caractéristiques de ce que tu vois être ce chemin de renoncement sobriété au sein d'une entreprise et peut-être si tu as des idées aussi de ce qui n'est pas développé spécifiquement par Nexan mais qui aurait pu être fait ou qui pourrait être fait dans d'autres contextes nous donner un peu des exemples de ce que ça pourrait être Nexan.
Speaker1 Pour ceux qui ne savent pas, ça fait partie des grandes entreprises françaises ce que personne ne connaît et qui sont conduits mondialement, qui fabriquent des câbles, dont des câbles de télécommunication, mais surtout des câbles électriques, mais des gros câbles électriques, dont des câbles sous-marins, parce que vous avez des connexions électriques qui traversent la Manche, par exemple, entre l'Angleterre et la France. Et le cuivre est un élément essentiel de la conduction électrique, donc essentiel à leur activité. Et bien, il y a 15 ans, le dirigeant a senti, il va y avoir une tension sur le cuivre. Donc, il se dit, il faut tout remettre à plat parce que c'est le cœur de notre activité qui va être remise en cause. Au passage, exactement ce qu'il avait prévu, là, dans les années qui viennent, on a un déficit de production, d'extraction du cuivre qui est en train d'arriver, pour plein de raisons, mais il avait vu juste. Et donc, il a fait un premier élément, je veux placer l'activité de mon entreprise en adéquation avec les capacités du système Terre, mais aussi avec les besoins humains raisonnables. Positionnement, comme je te disais, ils étaient à la fois sur les télécommunications et l'électricité. Ils ont décidé progressivement de s'écarter des télécommunications, pas en disant « c'est inutile », mais ça nous semble une activité moins essentielle que d'électrifier le monde, qui est devenu leur nouveau slogan, « Electrify the world ». Analyse de leur gamme de produits complète en analyse de cycle de vie pour trouver tous les impacts de leurs produits. Hum hum. Et réflexion dès le début sur comment on fait pour avoir à vendre moins de câbles.
Speaker0 Ah, et c'est là où la sobriété est criante. Complètement venue.
Speaker1 Et le directeur général le dit ouvertement, donc il s'appelle Christophe Herguerin, vous chercherez sur Internet, il a écrit un livre assez court qui se lit facilement. La sobriété est devenue le guide de l'organisation de l'entreprise. Il est quand même allé jusqu'à, non seulement écarter un petit peu le sujet des télécommunications, mais ils ont même fait un tour du catalogue chercher les redondances déjà juste pour commencer parce qu'en fait, et ça je l'ai vu dans plein d'entreprises pour répondre à plein de demandes spécifiques, les catalogues gonflent et gonflent et gonflent
Speaker0 En nombre de produits en gamme de produits plutôt.
Speaker1 Des fois c'est des gammes, mais des fois c'est des simples produits qui sont une petite déclinaison de l'autre et on finit par enrichir ce qu'on trouve être une force dans une approche productiviste, parce que je vais répondre à toutes vos demandes. Sauf que les demandes peuvent être toujours ultra spécifiques. Sauf qu'ayant assez interagir avec des entreprises, je sais que c'est ton cas, souvent, les clients peuvent demander beaucoup plus que ce qu'ils utilisent vraiment. Et bien, avec tout ce travail de réflexion, réduction de 30% de la taille du catalogue, déjà. Et là où ils ont une approche assez originale, qu'on a, je pense, peu entendue, c'est qu'ils se sont On dit qu'on veut aussi avoir nos clients, des clients alignés avec notre vision du monde, c'est-à-dire le monde n'est pas infini et il faut que l'usage de l'électricité et donc de nos câbles soit pour des usages pertinents. Donc, en fait, on va aussi trier nos clients.
Speaker0 Ah oui.
Speaker1 Bon, là, je peux avoir des petits désaccords sur l'approche et comment il les fait, puisque, en gros, ce qu'il a fait, c'est pour les clients avec lesquels il sentait qu'ils n'étaient pas alignés nécessairement dans leur objectif d'usage de câbles, il s'est dit, bon, je ne souhaite plus nécessairement travailler avec eux, j'augmente mes prix. Il les a envoyés à la concurrence.
Speaker0 OK.
Speaker1 Donc, voilà. Donc, là, nous, ayant travaillé dans l'esprit de la redirection écologique, en prenant en compte les attachements et la non-violence, etc. Il y a une forme de violence avec laquelle je ne suis peut-être pas complètement aligné.
Speaker0 Et puis, il y a la réflexion en amont qui amène à ces décisions-là, mais c'est par le prisme économique et donc du marché, finalement, que le levier s'opère, alors que la redirection écologique inviterait à prendre d'autres leviers, et notamment de la solidarité et de l'entraide, plutôt que de miser que sur des formes économiques et marchés.
Speaker1 Ou d'une transformation commune, synchronisée entre le fournisseur et le client, Ce qu'ils font avec les clients qu'ils ont gardés, mais juste pour donner un ordre de grandeur à tes auditeurs, ils avaient à peu près 17 000 clients dans leur portefeuille, ils en ont gardé 4 000. Donc c'est une division par quatre de leur portefeuille client. Par contre, ça n'empêche pas qu'avec ces clients, ils travaillent à une transformation puisqu'ils essayent de beaucoup plus créer de liens et être dans la coopération. Un élément technique mais qui est essentiel, comment faire pour récupérer les câbles quand ils sont en fin de vie ou autre, parce que Nexans travaille beaucoup sur le recyclage de ses câbles pour récupérer le cuivre, donc il ne nie pas, comme on disait tout à l'heure, le chemin binaire manichéen on-off, on ferme complètement ou pas, on le voit même là dans la sobriété, où ils font du technique, ils ouvrent en ce moment, je crois, ou à les têtes déjà ouvert, une usine de recyclage de câbles pour récupérer tout le cuivre parce qu'ils voudraient autant que possible ne plus avoir en acheté dans les mines. qui a extrait des mines et raffiné ensuite. Il travaille dans la coopération, il mettait en place des choses, et on parlait tout à l'heure de l'implication des salariés, où il propose à des salariés d'aller voir comment le client utilise leurs produits. Ce qui peut paraître tout simple, mais faites le tour autour de vous, à part les commerciaux ou l'expert technique, mais quelqu'un qui est sur la chaîne de montage, qu'on emmène voir pour qu'il dise, ton câble, il va finir là, nous on l'utilise comme ça, Ça permet aussi dans la conception, dans le moment de la fabrication, en plus peut-être de prendre en compte des apprentissages. Dans l'autre sens, bien entendu, les clients sont invités à l'usine de fabrication pour voir comment le câble est fourni. Et là, on crée un autre type de relation. Donc, réduction du catalogue, réduction du nombre de clients, Créer des liens de coopération et produire, vendre au volume n'est plus leur objectif. Et d'ailleurs on le voit et donc ils compensent par créer plein de services annexes, c'est là où j'ai eu du mal à obtenir beaucoup de détails mais ce qui fait qu'on obtient en général, à la fin, ce qu'on voit dans le livre et que j'ai même trouvé dans les comptes de résultats puisque Nexans c'est une société cotée en bourse, je tiens à le préciser que ce n'est pas une petite PME, donc ils ont une pression d'actionnaire théorique qui est assez forte ce qui m'impressionne d'autant plus sur le soutien que le DG a obtenu dans ce plan radical et les chiffres que j'ai pu voir montrent que le chiffre d'affaires, à partir du moment où ils ont lancé vraiment cette transformation, après des enquêtes de 10 ans autour de 2021, donc c'est assez récent, a vu le chiffre d'affaires continuer à augmenter, mais pas tant que ça, 2-3% par an, ce qui n'est pas une folie dans ce secteur-là. Par contre, leurs marges économiques sur les ventes sont devenues énormes parce que vous avez plus de marge sur des services que sur des produits. Certains pourraient dire, ah oui, mais ce n'est pas complètement de la sobriété. Oui, c'est vrai qu'ils pourraient peut-être renoncer à encore plus de choses, mais ils renoncent déjà énormément et à la fin, ils gagnent plus d'argent.
Speaker0 Donc, ça pourrait lever certains freins, en tout cas pour toute personne qui considère que l'entreprise s'inscrit dans cette question de gagner plus d'argent, ou à minimum, j'aurais envie de dire, gagner suffisamment d'argent pour pouvoir assurer sa responsabilité de payer les salaires, payer les fournisseurs et d'exercer sa responsabilité sociétale d'entreprise dont on parlait tout à l'heure.
Speaker1 Et cet argent peut permettre de financer, par exemple, une usine de recyclage en France. Donc, il peut y avoir une cohérence là-dessus. Bon, après, on pourrait avoir un autre débat. C'est une société cotée en bourse, donc les bénéfices vont faire aussi que des actionnaires vont être rémunérés. Est-ce que c'est absolument indispensable ou pas ? Ça, c'est un autre sujet. Mais là où il m'impressionne, c'est qu'il a théoriquement cette pression. Alors, est-ce que ça fonctionnera sur le long terme ? Je ne sais pas. Mais un élément important qui les aide, c'est l'utilité sociale. Nous avons besoin de remplacer tout notre fonctionnement thermique par de l'électricité. Ils travaillent sur des câbles électriques. Plus que jamais, on a besoin d'eux. Donc, leur positionnement sociétal est assez fort. En tout cas, c'est assez simple, entre guillemets, à dire, oui, on en a besoin. Par contre, c'est vrai, si on peut éviter d'essayer de mettre des câbles trois fois plus gros pour je ne sais quelle raison ou beaucoup plus de câbles, mais on cherche à faire de l'usage pertinent et s'ils rajoutent la sobriété par dessus, ce n'est pas vendre du câble pour vendre du câble.
Speaker0 En dehors de Nexan ou au-delà de Nexan, est-ce que tu as entendu ou est-ce que tu aurais des idées, même sans forcément un exemple derrière, d'action ou de redirection dans ce sens de la sobriété qu'une entreprise pourrait faire ou a fait par d'autres exemples, en complément de ce que tu viens de partager là ?
Speaker1 L'exemple que tu connais, parce qu'on en échange souvent, parce qu'il n'y en a pas tant que ça qui soit aussi fort, c'est l'exemple de Mustela. Pour ceux qui ne savent pas, il y a une entreprise française qui s'appelle Expanscience, qui est basée principalement en France, qui est une grosse PME, qui je crois fait autour de 300 millions de chiffres d'affaires, qui a plusieurs marques, dont une qui s'appelle Mustela, qui fait beaucoup de produits pour les bébés, Et parmi ces produits, ils ont un produit qui sont des lingettes pour bébés. L'usage de ces lingettes est très, très, très populaire. Et Mustela est une des marques les plus connues sur le marché. De la même manière, ils ont enquêté, ils ont regardé, parce qu'ils ont bien compris que c'est un produit jetable par essence. Ils ont essayé, dans l'esprit de transition écologique, de réduire au maximum les impacts de ce produit en enlevant tous les produits chimiques, tout ce qui pouvait être impactant, et essayer de le réduire au maximum. Et ils sont arrivés à la conclusion, on ne peut pas descendre plus bas, sauf quand même qu'on a l'impression de vendre un produit qui remplit des poubelles. Et bien là, ils ont passé un cap de responsabilité en se disant, je ne veux plus vendre ce produit qui remplit des poubelles. La date officielle, c'est 2027, parce qu'ils prennent en compte le temps long, que ce soit la directrice générale, la responsable RSE, le responsable Open Innovation sont très alertes sur les sujets, que ce soit l'économie régénérative, la redirection écologique. Et l'idée qu'on ne ferme pas du jour au lendemain est une évidence pour eux. Outre le fait que ces lingettes représentent pas loin de 30% du chiffre d'affaires de la marque Mustela.
Speaker0 Aussi.
Speaker1 Aussi. Donc se laisser le temps de se rediriger pour trouver comment on va faire par exemple, ils explorent des choses comme concevoir la maison des parents qui existe déjà sous plein d'autres formes, mais eux voulaient en monter une où on pourrait avoir des conseils sur la parentalité, etc.
Speaker0 Souvent de service aussi, on retrouve cette composante-là.
Speaker1 Avec des éléments gratuits, peut-être des éléments payants, enfin ils explorent encore parce qu'il faut compenser. Le commun des mortels se dirait, mais faites-vous, ne résolvez pas le problème, c'est juste que les gens vont acheter chez votre concurrent. Et là, pour moi, on vient au fond du fond du vrai sens de la notion de responsabilité. Ce n'est pas parce que les autres le font que je dois continuer à le faire. Peut-être que mes concurrents vont me prendre mes parts de marché, mais moi, je suis plus à l'aise avec moi-même et le sens de l'activité de mon entreprise en arrêtant ce produit. Alors, on pourrait dire que ça n'est qu'un produit. Ils n'ont pas une réflexion écologique que sur ce produit-là. Elle est généralisée dans Expansion c'est une de leurs marques de fabrique Mais là, ils ont voulu aller encore un cran plus loin, quitte à donner leur part de marché à leurs concurrents.
Speaker0 Merci pour ces deux exemples qui ont des similarités. Je le disais aussi en introduction, tu as monté une formation qui s'appelle Culture Sobriété, si je ne me trompe pas.
Speaker1 Alors, on a fait deux formats. Donc, un format un jour culture, un format deux jours, ébauche de stratégie sobriété. Donc, j'ai construit ça avec Vanessa Vec, qui était aussi dans la promo 1 du Master.
Speaker0 La famille.
Speaker1 Je vous promets, je connais d'autres gens que des gens de la sphère de ce master de stratégie et design, mais il se trouve qu'il y a plein de gens brillants et passionnants qui sont devenus des amis et avec qui j'ai grand plaisir à travailler. Donc avec Vanessa Weck, on a construit cette idée en se disant que les entreprises ne sont pas toujours à l'aise. Donc, première formation, une journée, culture sobriété, où on va parler de l'idée, du concept, un peu de philosophie aussi, pour comprendre que ce n'est pas juste un truc d'écolos pour ennuyer tout le monde. C'est une idée qui traîne dans l'air intellectuellement et philosophiquement depuis des siècles et qui a d'ailleurs été plutôt la norme jusqu'aux années 50. La sobriété, la culture d'être mesurée dans son mode de vie, était plutôt la culture de base de tous les citoyens du monde, jusqu'à ce que la surconsommation soit possible. Et donc là, on va donner les premiers trucs, beaucoup d'exemples de ce qu'on a raconté et des choses qu'on peut retrouver dans notre livre sur une journée pour donner les premières pistes. Et puis, on propose aussi la formation sur deux jours où là, qui va plus être intra-entreprise parce qu'on veut que les gens puissent parler de façon ouverte. Et l'idée, c'est de poser les bases d'une ébauche de plan stratégique sobriété au sein de l'entreprise, qui reprendra beaucoup d'éléments qu'on a discuté aujourd'hui, commencer à revoir le catalogue, commencer à revoir le modèle de vente. Aussi, on n'en a pas beaucoup parlé, mais la façon dont on vend pour s'écarter de la vente au volume, l'économie de l'usage, l'économie de la fonctionnalité, ou louer, et que l'entreprise garde la propriété du produit, etc. Et on essaie de donner ces éléments-là sur deux jours.
Music Musique
Speaker0 Pour terminer, j'aurais envie d'un petit échange avec toi, justement pour creuser ce tiroir là que tu as ouvert sur la question de la responsabilité sociétale de l'entreprise, puisqu'on peut le sentir, en tout cas, c'est vrai que moi, je peux être un peu moins appelé à titre individuel par ces exemples, entreprise par entreprise, c'est vrai que je crois que je suis plus appelé par comment tout ça, ça s'imbrique, et comment tout ça, ça fait société, comment ça questionne, comment ça bouge, les modes de vie, comment on peut, à l'échelle individuelle, y contribuer, mais comment les entreprises jouent un rôle aussi dans tout ça, pour permettre une réflexion de sobriété un peu systémique. Je crois que tu as des projets ou des réflexions en cours que tu as sur ces questions des modes de vie et visant une sobriété systémique.
Speaker1 Donc oui, tout à fait. Alors, je tiens à préciser que même si je t'ai montré ce qu'on va appeler du micro, puisqu'en économie, à l'échelle d'une entreprise, on appelle ça de la micro-économie, un élément qui me tient à cœur, comme toi, c'est de réfléchir aussi en systémique et de réfléchir à toutes les échelles pour rebondir et sortir du triangle de l'inaction. De toute façon, je ne pense qu'il n'y a pas qu'une catégorie de personnes qui vont agir. L'État va devoir réglementer, les entreprises vont devoir prendre leurs responsabilités et la population aussi, cette fois plus par leur consommation. Donc pour moi, tout le monde a rôle à jouer pour atteindre le systémique. C'est il y a 10-15 ans que j'ai vraiment évolué là-dessus, parce qu'obsédé avec le systémique ou la grande échelle, je voyais avec beaucoup de doute toutes les actions ou les transformations, même radicales, comme peut-être vaines, parce que c'est tout le système qu'il faut changer. Sauf que j'oubliais à ce moment-là, parce que je veux garder cette naïveté, mais des fois il faut quand même en sortir, qu'on en est très loin. Et il faut bien commencer quelque part. Je ne cherche pas à dérouler le même discours qu'on tient sur les startups, il faut des early adopters, mais en fait, ça en fait partie aussi. On ne change pas une norme sociale du jour au lendemain. Et si on n'a pas des pionniers qui tentent des choses et qui deviennent à ce moment-là des exemples utiles ou pas à corriger ou pas, mais en fait, la feuille blanche, on change tout du jour au lendemain, je n'y crois pas une seconde.
Speaker0 Ou alors elle peut mener à certaines violences aussi.
Speaker1 Alors est-ce qu'un changement profond de société peut arriver sans révolution ? L'histoire nous montre que c'est rare et où ça bégaye ou etc. Donc je ne le souhaite pas, mais peut-être qu'on n'arrivera pas à éviter un gros choc pour une vraie prise de conscience. Mais si on veut l'éviter, avoir des exemples, appelons même des brouillons, mais que dans dix ans ça sera autre chose que ce qu'ils ont fait aujourd'hui, Ça inspire. Et si on n'a pas ça, on est tout nu. Et en fait, c'est ce que je vois et je pense qu'on arrive dans cette phase-là. Ça fait quelques années que je sens autour de moi pas mal de personnes qui sentent qu'il y a un truc qui ne va plus, que ce soit du côté extractivisme ou que ce soit du côté système capitaliste néolibéral. Maintenant, les gens disent, mais comment on peut faire ? Quand ils arrivent à sortir, d'eux, ce n'est pas possible de faire autrement. Parce que le « there is no alternative » de Margaret Thatcher et que le capitaliste néolibéral a diffusé. Et encore très présent. Il est ancré en nous, au point que, quand on propose une autre façon de s'organiser, les gens peuvent nous reprocher, alors je dis nous parce que ce n'est pas qu'à moi que c'est arrivé, d'être des idéologues, en finissant par oublier que le système dans lequel on vit est toujours fondé sur une idéologie. Et donc j'aimerais, dans un livre, alors je pense qu'il sera plutôt illustré qu'autre chose, essayer de réfléchir très concrètement à comment se réorganiserait la France en 2050 si elle devenait sobre. Et donc, c'est partir de tous les rapports qui existent, entre autres, ceux que beaucoup peuvent connaître, macro. Alors, pas que, parce que l'ADEME, avec ses transitions 2050, a réfléchi sur quatre scénarios, dont le S1, orienté vers la sobriété, forte. Et ils vont dans un niveau de détail des descriptions des modes de vie, de consommation, de production, etc. Ils sont en train de réfléchir à une version 2 des transitions 2050 pour encore affiner. RTE qui gère l'énergie, l'électricité en France a fait différents scénarios dont un sobre il ne l'avait fait pas publier et il a été réclamé et ils l'ont beaucoup plus développé ensuite partir de ça plus certaines idées que j'ai dans mes réflexions sur la post-croissance et essayer de raconter comment les grandes composantes de nos sociétés fonctionneraient que ce soit l'agriculture, l'énergie pour on va dire l'aspect structurel mais aussi le mode de vie la société, ville villes moyennes, parce que j'ai tendance à penser qu'il va falloir désengorger les grandes villes pour retrouver plus de villes de taille moyenne. Je vais dire 300 000, c'est un chiffre qui flotte parfois dans l'air sur l'équilibre idéal, etc. Sur nos interactions, sur qu'est-ce que c'est que le travail à ce moment-là, et proposer des idées qui seront tout sauf parfaites, puisque un truc qui me tient à cœur, c'est que dans l'introduction, j'écris en gros, c'est un brouillon. Prenez-le, déchirez-le, redessinez-le, etc. J'aimerais bien réfléchir même, est-ce que je ne mettrais pas des pages blanches après chaque section pour que les gens dessinent, écrivent, prennent des notes, parce que je veux tout sauf un guide complet. Voilà mon idée. Et regardez, ça pourrait tenir la route, on serait peut-être un peu plus heureux, un peu plus en équilibre avec la nature. Ça permettrait de replacer le mot progrès social et pas mettre que l'adjectif technologique derrière le mot progrès, en se disant, retrouver un équilibre entre nous, parce qu'on sent une polarisation et une violence sourde qui traîne, malheureusement entre nous, pas que, aussi contre les politiques, mais il y a une tension parce que la situation s'empire écologiquement, mais aussi économiquement. Et donc donner aussi, pour rejoindre ce que j'ai dit là, une forme d'espoir où, surtout, ce que j'aimerais, c'est ouvrir les portes de l'imagination. Voilà.
Speaker0 Écoute, un grand merci, Jérôme, pour ces échanges. Moi, ce que j'aime beaucoup, finalement, c'est de continuer à partager ce que je vais qualifier d'expérimentation, pas les brouillons, donc les exemples comme Nexan, les exemples comme Mustela, toutes les entreprises qui se lanceront et à prendre un peu plus au sérieux cette question du renoncement et cette question de la sobriété. Et ça ne veut pas dire pas exemple au sens à suivre, à copier et c'est parfait mais exemple un petit peu comme tu le dessinais dans ton futur projet, des exemples potentiellement à déchirer, à critiquer, à dépasser en t'écoutant là, ce que je me dis vraiment qui est au cœur du nœud là qui continue de me gratter dans ces expérimentations ou dans ces exemples de sobriété en entreprise c'est la question du rapport au travail, de la valeur, de la place du travail de toute cette question de comment le capitalisme a organisé en société ce rapport au travail et la rendue centrale, le travail salarié, j'entends, en effaçant le travail domestique, en effaçant le travail de débrouille, en effaçant tout un tas de subsistances, tout un tas de choses. Donc, de le prendre vraiment comme des expérimentations. Merci de ces partages qui sont inspirants et aussi à dépasser, et aussi à critiquer, et aussi à inventer. Et un grand merci.
Speaker1 Nous sommes encore en chemin. N'arrêtez pas d'imaginer et de rêver. Il y a tout à tester, tout à expérimenter, plus que jamais. Il y a tout à faire, et c'est ce qui est excitant.
Speaker0 Merci beaucoup.
Speaker1 Merci à toi, Alexis.
Music Musique
Speaker0 J'espère que cet épisode vous a plu. Grâce à ces partages d'écoute et de réflexion, de discussions authentiques, de doutes, de contradictions et de joies simples du quotidien, j'espère vous donner envie de mener votre propre enquête pour construire collectivement une alternative aux exploitations en tout genre.
Music Musique
Speaker0 Je remercie Emeric Priolon pour notre amitié de plus de 40 ans qui réalise l'habillage et le montage sonore de ce podcast, Ingrid de Saint-Thomas pour son aide sur l'habillage visuel, Barbara Nicoloso, directrice de Virage Énergie pour sa commande sur la sobriété qui m'a mis le pied à l'étrier, Alexandre Monnin et toute la communauté.
Music Musique