E14 Conspirer pour la sobriété avec Yves Citton
Ep. 14

E14 Conspirer pour la sobriété avec Yves Citton

Episode description

Avec Yves Citton, je poursuis l’enquête débutée avec Alexandre Monnin dans l’épisode 7 sur les différences entre complotisme, conspirationnisme et enquête. Pendant la première moitié de l’échange, Yves nous propose des pistes pour clarifier ce qu’est une enquête, une conspiration et une théorie du complot. Pendant la seconde moitié de l’échange, nous explorons comment conspirer pour la sobriété.

Pendant l’échange, ces principales références ont été citées :

Download transcript (.vtt)
0:00

Music Musique

0:32

Alexis Hétéro, la sobriété, c'est pas gagné. Et oui, l'attrait pour la démesure affecte avant tout les personnes privilégiées. Épisode après épisode, théorique ou pratique, je mène l'enquête avec mes invités.

0:47

Music Musique Bonne écoute ! Salut Yves !

0:58

Yves Salut Alexis !

0:59

Alexis Ravi de t'accueillir au micro du podcast.

1:02

Yves Merci pour l'invitation. Je suis très, très honoré. Je me réjouis de la conversation.

1:06

Alexis Et puis surtout d'avoir répondu oui à mon invitation un peu impulsive après t'avoir écouté au micro de David Dufresne dans son média Au poste enregistré le 12 juin 2025. J'ai vérifié en préparant l'épisode. Tu es Yves Citton. Tu es mon premier invité à avoir sa page Wikipédia. Tu te définis comme graphoman sur ton site Internet. Alors, graphoman, moi, je ne connaissais pas, mais c'est "affecté par une impulsion irrésistible d'écrire". Donc, c'est comme ça que tu te définis.

1:34

Yves J'aime bien écrire. En général, moi, j'étudie le 18e siècle. Donc, des écrivains qui écrivent trop au 18e siècle, on appelle ça des graphomanes. Ils écrivent sur tout et n'importe quoi. Et c'est ma seule spécialité. Donc, j'assume, j'assume.

1:44

Alexis Et en effet, la grosse quinzaine de bouquins que tu as écrits et publiés sont là pour en témoigner. Et en plus d'enseigner la littérature et les médias à l'Université Paris 8, Sur ton site web yvesciton.net, il y écrit « Yves rêve de contribuer un jour à changer ce monde injuste, mais en attendant, il vieillit, essaie de continuer à écrire comme un dingue, à rêver les yeux ouverts et à co-diriger la revue Multitudes ». Tu veux ajouter ou préciser quelque chose ?

2:12

Yves Non, non, que c'est un miracle qu'une revue comme Multitudes continue à exister. Là, on arrive à 25 ans et 100 numéros cet automne 2025. Donc, on est surpris par la durabilité du truc. Et en même temps, on se dit que chaque mois, ça va s'effondrer. Mais on continue. Et il y a plein de choses, j'imagine, dont on va parler, qu'on peut trouver sur le site en ligne et sur CERN, gratuit au bout d'une année, de la revue Multitudes au pluriel.

2:36

Alexis Et j'ai eu l'occasion de parcourir quelques numéros, pas les 100, mais quelques-uns. Et effectivement à chaque fois je les ai trouvés passionnants, à chaque fois il y a des chapitres assez éclairants et assez avant-gardistes, des choses que j'ai découvert après et puis j'ai vu sur Multitudes, c'était déjà sorti depuis quelques temps, donc je trouve ça assez inspirant. Merci. Et si vous ne connaissez pas auditeur-auditrice, allez farfouiller, chercher, d'ailleurs Multitudes et d'ailleurs tous les livres d'Yves Citton que je reçois aujourd'hui. Alors Yves, je t'ai invité dans la foulée de ce que j'ai entendu chez David Dufresne, là, au poste mais aussi en lien avec Alexandre Monnin donc Alexandre Monnin, il est venu dans ce podcast Il y a deux épisodes qu'on a fait avec Alexandre et en particulier dans l'épisode 7 de ce podcast, on a cherché un peu à distinguer enquête et conspirationnisme. C'était un peu le point de départ de notre discussion. Bon, en vrai, à la fin de notre échange, on a surtout exploré ce qui peut favoriser la survenue de théories du complot dans les démarches de transition et de redirection écologique, qui est le mouvement co-initié par Alexandre. Alors, les grandes idées qui sont sorties de notre échange avec Alexandre, en étant un peu synthétique, c'est qu'à trop attendre pour arbitrer, ça augmente la probabilité qu'il y ait des théories du complot qui s'approprient, qu'il y aille sur le chemin de la ville du quart d'heure, d'arrêter de manger la viande. Plus on attend pour arbitrer, plus on augmente le risque de survenue de cette théorie du complot. Ne pas suffisamment prendre au sérieux les attachements et les inquiétudes, ça aussi, ça augmente les risques de survenue de la théorie du complot. D'adopter une posture moralisatrice, ça augmente aussi la possibilité de théorie du complot, de manquer de tact, de succomber à l'injonction de fabrication de récits, ça c'est très présent dans la sphère un peu écolo, fabriquer des récits, créer, il faut des nouveaux imaginaires, des nouveaux récits. Attention à ça, peut-être, en tout cas c'était notre propos avec Alexandre, et enfin, négliger l'enquête sur les situations, et donc de partir d'un point de vue un peu de surplomb, de généralité, de généralisation, ça peut risquer. Tout à fait. Donc l'idée de notre échange, ce serait de prolonger un petit peu cet échange que j'avais eu avec Alexandre.

4:30

Yves D'accord.

4:31

Alexis Avec toi et en particulier en s'appuyant sur ton livre, je crois que c'est ton dernier livre, mais La machine à faire gagner les droites.

4:37

Yves Oui, tout à fait. Donc, il y a tout un chapitre sur le conspirationnisme qui reprend des choses qu'on avait fait dans la revue Multitudes. C'était je ne sais pas quel numéro où on a fait tout un dossier sur conspiration, complot, etc. Donc là, il y a plusieurs travaux récents où j'essaye de comprendre un petit peu ces choses-là et je suis content qu'on en discute. Sur les très bonnes bases que tu as posées avec ta discussion avec Alexandre, et moi aussi je suis un fan d'Alexandre Monnin, donc ça ne va pas aller contre dans ce que dit, mais ça va peut-être éclairer d'autres aspects de ce dont vous discutiez.

5:09

Alexis Ouais, ouais, c'est ça, de le compléter peut-être, donc un coucou Alexandre. Et donc oui, le numéro de la revue Une Multitudes, c'est le 91, moi je l'ai, puisque je l'ai travaillé pour cet épisode, et le titre c'était Conspiration hors complot.

5:21

Yves Voilà.

5:22

Alexis Donc, je te le disais en préparation, mais je le partage avec nos auditeurs et auditrices, donc en lançant ce podcast, mon intention était, par le partage de mes enquêtes avec mes invités qui eux-mêmes et elles-mêmes sont en enquête, de donner envie aux auditeurs et auditrices d'enquêter à leur tour, Une sorte de podcast dont vous êtes le héros sur le thème de la sobriété. Cette idée m'est venue en particulier en observant et en m'inquiétant aussi des effets de la mouvance QAnon, une sorte de complotisme 2.0. C'était une intuition initiale, mais qui est elle-même encore en enquête. Je ne peux pas dire que mon podcast atteigne ça, j'enquête. Et justement, si je t'invite aujourd'hui, c'est pour enquêter sur ça, pour explorer et clarifier et notamment faire la distinction entre enquête et complotisme. Parce que ce n'est pas si facile que ça de le distinguer. On a commencé avec Alexandre à le faire, mais ce n'est pas simple. Donc toi, Yves, quelle première brique de définition tu peux nous proposer pour distinguer enquête et complotisme ?

6:17

Yves Alors peut-être, j'essayerai de travailler avec trois termes qui sont enquête, complotisme et conspirationnisme. Et puis, on va voir comment on peut peut-être se débrouiller avec un triangle plutôt qu'une opposition binaire l'un ou l'autre. Moi, je dirais qu'il faut qu'on s'entende ce que c'est qu'une enquête. Une enquête, alors on a le modèle un petit peu policier avec toute une organisation du forensic, médecine légale pour trouver des empreintes digitales, etc., etc., donc très équipées. On a l'enquête à la Dewey où un public, donc un collectif, même s'il n'a pas de grosse technologie, se pose des questions et utilise une intelligence collective pour faire avancer ses questions. Et là, effectivement, on peut dire que tes auditeurs, ce ne sont pas des détectives policiers. Ils n'ont pas accès à des empreintes digitales. Ce ne sont pas forcément des collectifs. Souvent, quand on est auditeur de podcast, on écoute ça tout seul chez soi et puis voilà. Est-ce que ça veut dire pour autant qu'on ne fait pas d'enquête ? On pourrait avoir une définition tout à fait minimale de l'enquête qui est de se poser une question et de ne pas avoir la réponse déjà écrite dans le cerveau ou dans l'idéologie ou dans la Bible ou je ne sais pas où. Même si c'est dans la Bible, on peut très bien faire des enquêtes dans la Bible. Moi, je suis littéraire, donc moi, je passe mon temps à faire des enquêtes en lisant ce que des gens, pas forcément des dieux, mais des gens ont écrit. Et il y a des enquêtes qu'on peut faire à partir de ça. Mais souvent, dans le monde contemporain, sur les problématiques de sobriété et d'écologie, on se dit que les enquêtes, ce n'est pas seulement de lire des livres parce qu'il y a plein de problèmes avec le fait que tout soit filtré dans des livres, dans de l'écrit, dans des discours humains, mais aussi de regarder autour de soi. Et là, des fois, moi, je fais des enquêtes parce que je suis un peu vieux. Je perds mes clés ou je perds mon téléphone et ça me prend dix minutes pour retrouver mes clés. Et de fait, je fais une enquête. Donc moi, je dirais, je suis sûr que tous les auditeurs, ils font des enquêtes. On fait des enquêtes tout le temps. Après, la question, c'est de se dire quelles sont les enquêtes qu'on fait au quotidien et dont on a besoin, qu'on les fait de toute façon. Et là, ça peut être simplement de se dire, ben voilà, je veux essayer de consommer moins de plastique. Donc, comment je fais pour ne pas prendre des sacs en plastique partout, pour ne pas avoir des yogourts, etc. Et moi, j'ai fait ma petite enquête et j'ai trouvé chez moi, à côté de chez moi, un petit magasin qui vend des yaourts en consignes. Mais ça m'a pris une petite enquête. Donc, je dirais des enquêtes comme ça, je crois qu'on est beaucoup allé faire quand on a une certaine sensibilité écologique. Peut-être ce dont on parle maintenant avec le conspirationnisme, avec tout ceci, c'est des enquêtes qui sont plus structurelles, je dirais plus infrastructurelles, non pas seulement où acheter mes yaourts, mais comment comprendre des mécanismes qui font que la plupart des yaourts arrivent avec du plastique autour de chez moi, et comment s'organiser pour comprendre ça et essayer d'éviter cela. Alors, là, on en arrive à conspirationnisme, complotisme. Je dirais deux choses à ce propos-là. D'une part, il y a un alignement entre complotisme, conspirationnisme et enquête, parce que ce que disent les gens qu'on accuse de complotisme, c'est très souvent, en anglais c'est « do your own research », faites votre propre enquête. Ne faites pas confiance aux autorités en place, ni même aux journalistes, parce que tout ceci c'est une mafia maquée avec l'État profond et tout le monde nous enfume. Donc, faites des enquêtes. Maintenant, ce que disent les gens qui creusent, ce que font les gens qu'on accuse de conspirationnisme, ils s'aperçoivent que leur enquête, elle est très, très superficielle. Tu parlais de QAnon, etc. tout à l'heure. Et moi, je suis littéraire, donc je crois que je suis assez bien placé pour comprendre ce type d'enquête superficielle. Ça consiste à quoi ? Ça consiste à prendre des mots. On a aujourd'hui des dispositifs numériques très puissants pour que ces mots, si je mets un mot dans le moteur de recherche de Google, ça va me donner plein de trucs, que je mets deux mots ensemble, on va me trouver des liens entre ces deux mots. Oui, c'est une enquête, mais c'est une enquête tellement minimale qu'à mon avis, ça ne vaut pas la peine de l'appeler enquête. Ce n'est pas de la recherche, c'est des coïncidences, c'est de saisir des coïncidences au vol ou des corrélations. Et on sait que le monde est plein de corrélations et que les médias numériques sont très forts pour détecter ces corrélations. Je dirais donc, l'enquête a un résultat intéressant à partir du moment où elle permet, par un travail de recherche, de questionnement, de déplacement, de reformulation des questions, d'atteindre à plus que des corrélations, et ça serait des causalités. Et ça, ce n'est pas facile. Pour des choses, c'est très, très compliqué. Il faut des laboratoires de recherche, il faut des millions de dollars ou d'euros pour le faire. Pour plein de choses, ça peut se faire 100 millions d'euros, mais c'est quand même différent d'atteindre à des causalités ou d'atteindre à simplement des corrélations. Et ça, donc, ça serait la première chose pour essayer de définir ce pôle de l'enquête. Et les causalités, on ne sait jamais, c'est toujours des hypothèses de causalité. Toute l'histoire des sciences, on dit qu'à chaque fois, on a une théorie, ça nous fait des hypothèses, ça nous permet de comprendre des choses. Et en comprenant des choses, on comprend des causes. Et en comprenant des causes, on peut un peu mieux contrôler leurs effets. C'est ça qu'on essaye de faire avec la connaissance, avec les sciences, etc. Mais que souvent, ces hypothèses, il faut les corriger ou elles deviennent fausses parce que le monde change, etc. Mais le geste d'enquête, pour moi, ça serait ça. Aller au-delà des corrélations et essayer de faire des hypothèses sur les causes. Et en général, pour ça, il faut creuser un peu. Ça demande du temps. Donc, ça demande une disponibilité. Si je me fais tirer dessus partout, je ne peux pas faire des enquêtes sur l'écologie parce que j'essaye de survivre.

12:08

Alexis Il y a autre chose à faire, oui.

12:08

Yves Voilà, le néolibéralisme transforme nos sociétés en une sorte de terrain de guerre et de compétition permanente. Donc, ça ne nous laisse pas beaucoup de temps pour justement faire des enquêtes sur les causalités profondes. Pourquoi mon pot de yogourt est en plastique, etc. Et pourtant, c'est ce qu'on voudrait faire. Donc, voilà, on a enquête. Maintenant, conspiration et complotisme. Une des choses qu'on a essayé de faire avec ce dossier de Multitudes, et ce n'est pas complètement satisfaisant. De nouveau, c'est une hypothèse de recherche, mais qui fait problème, c'est de se dire on va essayer de distinguer deux polarités. Et les polarités, ça veut dire que ce n'est pas soit blanc, soit noir, tout est gris, mais on peut être plus ou moins du côté gris sombre ou plus ou moins du côté gris clair. Et les polarités, ça serait de se dire nous sommes dans des conspirations et nous faisons des conspirations à partir du moment où nous respirons ensemble dans une activité commune. Et là, on se base de nouveau sur l'étymologie, parce que « conspirare » en latin, « cum » c'est « ensemble, avec », et « spirare » comme « respirer », etc. Mais aussi comme l'esprit. L'esprit, la spiritualité, la respiration, l'inspiration, l'expiration, tout ceci, c'est les phénomènes de respirer. Moi, j'ai envie de dire qu'on conspire tout le temps. Quand, par exemple, pour aujourd'hui, pour qu'on fasse cet entretien, tu m'as envoyé un message, je t'ai répondu, on a décidé d'une heure, on était ensemble au même moment pour commencer la discussion, et ça a demandé un petit effort d'organisation, et de fait, maintenant, on respire ensemble. Voilà, on se parle, on s'entend, ce que je dis affecte ce que tu dis. Donc là, on a fait notre petite conspiration à deux, pour qu'en ce moment même, nous soyons en train de discuter, toi et moi. Et toi, tu fais ta petite conspiration pour après cet enregistrement le mettre en ligne et que tu es quelques centaines de personnes qui se parlent les unes aux autres, donc qui conspirent en se disant « Ah, t'as écouté le nouvel épisode d'Alexis ? Ah, c'est sympa ! » Ou alors il est nul, je sais pas. Et tout ça, c'est des conspirations, donc c'est des conversations, Conspirations, avec quand même une finalité commune. Si tu m'avais dit « Je veux booster la candidature de Marine Le Pen aux élections », ça n'aurait pas conspiré avec moi parce que je n'aurais pas accepté ton invitation etc. Donc c'est parce qu'on a la sobriété, une certaine écologie, une certaine pensée sociale ensemble qu'on est en train de conspirer pour faire ton podcast. Donc ça c'est la conspiration et tout le monde le fait, y compris les fascistes. Les fascistes conspirent, les communistes conspirent, les écolos conspirent, et moi je dirais que l'extrême droite conspire beaucoup mieux que la gauche, et que notre problème c'est qu'on conspire pas assez. On sait pas comment respirer ensemble, vraiment ensemble, pas si tôt qu'il y a une élection, on se met 5 ou 6 partis qui se tirent dans les guiboles et qui n'arriveront jamais au pouvoir, ça, c'est pas de la conspiration, ça, c'est de la bêtise. Bon, maintenant, qu'est-ce que ça serait que le complotisme ? Le complotisme, ça serait quelque chose qui ressemble à ça parce qu'en général, on ne fait pas du complotisme tout seul ou alors on est vraiment paranoïaque et là, c'est même pas perçu. C'est perçu comme une maladie mentale et pas perçu comme un phénomène social. Donc, les complotistes, ils font des enquêtes, mais c'est des enquêtes superficielles, souvent à base de corrélations plutôt que d'explications causales, Ils ont un but commun ou... Et c'est peut-être une des différences, je dirais qu'ils ont des frustrations partagées. Et ces frustrations partagées, elles conduisent à identifier des volontés malveillantes. Et ces volontés malveillantes, il les lie à des identités. Dans l'histoire, ça a été les juifs, ça a été les immigrés, ça a été les jeunes de banlieue, ça a été tout ce qu'on veut. Où on a fait des enquêtes parce qu'on était frustrés, parce qu'il y a du bruit, parce qu'il y a du chômage, parce que les choses sont trop chères, parce qu'il y a de la surinflation. Donc, il y a plein de choses qui causent des frustrations chez nous. Le complotisme, c'est de penser, de faire une hypothèse de causalité. C'est bien une hypothèse de causalité, mais cette hypothèse de causalité, elle a un objet prédéterminé qui est une identité. À l'extérieur, c'est les communistes de l'Union soviétique, c'est l'État de l'autre côté de la frontière, ou alors c'est une population à l'intérieur de nous, l'ennemi intérieur. Et après, tout ce qu'on va faire, c'est de trouver des corrélations qui confirment cette hypothèse de base qui identifie le problème à un ennemi. Je dirais vraiment ça, c'est identifier le problème à un ennemi. C'est ça qui ferait le complotisme. Et après, cet ennemi, dans le complotisme, il est perçu comme tout-puissant, ce n'est pas juste un ennemi. Et tout ce que nous voyons habituellement est contrôlé par eux. Donc ça, ça serait le complotisme. Maintenant, si tu me laisses encore, je fais un tunnel, pardon, je parle beaucoup, mais juste encore, je rajoute un truc et après je te laisse m'interrompre ou revenir, c'est, comme je disais, complotisme, conspirationnisme, c'est pas blanc ou noir, c'est un continuum. L'exemple que j'aime bien prendre, c'est est-ce qu'être critique du capitalisme, anticapitalisme, peu importe, est-ce que c'est du complotisme ou est-ce que c'est des conspirations qu'on a besoin de faire ? Et là, je dirais un peu les deux. C'est un peu au milieu. Parce que d'une part, personnellement, je suis convaincu que toute une série de problèmes qu'on a, écologiques, psychiques, etc., sont dus, de nouveau, à leur causalité profonde. C'est un certain régime de production, de propriété, des moyens de production, De valeurs attribuées aux profits financiers d'entreprises qui méritent d'exister parce qu'elles produisent plus, donc parce qu'elles font du profit, parce qu'elles font monter le PIB, etc. Ça, je suis convaincu que ça, il faut le critiquer, parce que si on ne critique pas ça, on va rester dans les mêmes problèmes. D'un autre côté, il y a un côté complotiste dans certaines veines d'anticapitalisme, en se disant, c'est quelques riches qui contrôlent tout ça. Ils sont omnipotents. Ils nous en fument de façon perpétuelle. Nous sommes les victimes de ceci. Et si on les éliminait, tout se passerait bien. Et c'est quand même pas complètement faux. Parce que quelqu'un comme Elon Musk, Quelqu'un comme Trump, on voit un petit peu maintenant, peut-être encore mieux qu'avant. Avant, c'était les Carnegie, c'était les frics, etc. Dans la fin du 19e siècle et 20e siècle aux Etats-Unis. Aujourd'hui, c'est flagrant qu'il y a quelques Bolloré, il y a quelques noms où on se dit qu'ils contrôlent une quantité astronomique de choses, qu'ils ont véritablement un agenda qui est pour eux, pour leurs actionnaires, pour leurs... et que c'est nuisible ? Et donc, est-ce que critiquer Bolloré, c'est un complotisme parce que ça simplifie la réalité et de fait, Bolloré ne contrôle pas tout et de fait, etc., etc. Ou est-ce que c'est un conspirationnisme de bonne alloi parce qu'il faut s'unir contre certaines formes de pouvoir qui sont quand même liées à des intentions, à des intentions bienveillantes pour leurs petits copains et malveillantes pour nos petits copains à nous. Et donc, c'est pour ça que je veux à la fois distinguer les deux. C'est inévitable et ça peut être très bien d'être conspirationniste. Méfions-nous du complotisme, mais en même temps, méfions-nous des distinctions trop binaires en disant soit c'est l'un, soit c'est l'autre. Je me tais maintenant.

19:29

Alexis Et notamment cette question des mises à l'amende qui ont pris surtout la faveur du Covid. Dès qu'on disait un truc un petit peu en dehors des canons et tout ça, tout d'un coup, on pouvait très vite être conspirationniste ou complotiste. Et ça pouvait même être une attaque ou une façon de silencier quelqu'un pour ne pas débattre. Et là, pour moi, cette limite est problématique. Il y a un endroit où tu écris une citation que j'ai attrapée, je crois que c'est dans ton livre « La machine pour faire gagner les droites ». Il va de soi que les théories du complot à relents antisémites doivent être combattues sans merci, mais non pas parce qu'elles sont complotistes, mais parce qu'elles sont antisémites. Ce qui suffit largement à les condamner. Et j'aime bien cette citation que tu fais parce que ça nous montre là où elles sont dangereuses. C'est pas parce que c'est des théories du complot en tant que telles, mais c'est bien parce qu'elles sont antisémites ou qu'elles attribuent trop de pouvoir et qu'elles condamnent ou qu'elles essentialisent l'ennemi. Et c'est en ça qu'elles sont dangereuses.

20:20

Yves Tout à fait.

20:20

Alexis Cette difficulté-là avec le anticapitalisme, ben voilà, est-ce que c'est du complotisme ou pas ? Et donc, ce n'est pas si simple que ça. Et donc, merci vraiment d'avoir apporté ça. Avec Alexandre, on avait pris l'exemple du livre Manifeste Conspirationniste, qui a été écrit, donc publié anonymement. Et c'était un bouquin dont le but, était de renverser le stigmate. Donc, après l'épisode de Covid, comme justement conspirationniste ou complotiste, c'était dit pour silencier des gens. il y a des personnes qui se revendiquaient. Plutôt d'extrême-gauche, émancipateurs, etc. Et ils avaient envie de se réapproprier le stigmate et de dire en fait, oui, on est conspirationniste et ça marche avec ce que tu disais, en disant je vais le défendre, etc. Moi, je l'ai lu, ce bouquin, et c'était un de nos échanges qu'on a eu avec Alexandre, donc je l'ai lu en détail, et il m'a laissé perplexe pour plusieurs choses. D'abord, il m'a laissé perplexe parce que c'est une enquête, au sens où on en parlait tout à l'heure, c'est une enquête qui est fouillée, qui est documentée, qui est minutieuse, qui est précise, qui s'étale sur des siècles, avec des concepts scientifiques décortiqués, enfin voilà, qui est vraiment bluffante. J'ai appris des trucs, j'ai trouvé ça assez dingue, et sur les endroits où je suis un peu expert, ça correspond à ce que je sais, donc il y a plein d'endroits où c'est juste. Et en même temps, il y a un truc qui m'a laissé pas confortable, c'était... Je voyais pas de doutes, je voyais pas justement d'hypothèses, je voyais des causalités dites, et des fois, relier des faits et se passer de nombreuses années. Je me disais « Waouh, mais comment on fait pour être sûr que sur plusieurs générations, il y a telles personnes qui ont pensé à faire une théorie scientifique qui permettait de valider, de faire passer dans la tête des cerveaux ? » Je trouvais que c'était fort comme hypothèse et je ne voyais pas de doute de cette hypothèse-là et ça m'a mis assez mal à l'aise de lire ça. Et bon, et après, effectivement, il y a aussi le chemin de ce bouquin qui m'a laissé perplexe, puisqu'il est plutôt parti de l'extrême-gauche et il a été finalement acclamé et publié par l'extrême-droite à la fin. Bon, ça m'a mis un peu mal à l'aise, je me suis dit, il y a un petit souci, donc... Et pourtant, le livre essaye de distinguer complotisme et conspirationnisme, et j'ai retrouvé dans Multitudes 91, c'est Ariel Kirou, dans un article, qui parle de ce bouquin-là, et qui rejoint mon propos un petit peu, qui dit que le livre sous-entend l'existence d'un calcul de domination courant sur des générations par une élite parfaitement consciente et organisée pour ses méfaits, là où les mécanismes d'aliénation politique et économique n'ont nulle nécessité d'un quelque plan machiavélic. Donc ça, c'est toujours les propos d'Ariel Echirou. Donc, n'ont nul besoin de ce plan machiavélic pour s'exercer, trop souvent d'ailleurs avec notre sentiment passif. Et ce défaut de lucidité associé au ton péremptoire, voire prophétique du détenteur de la vérité qui est dans le livre, « Transforme l'essai, ce voulant émancipateur, en plaidoyer, parfois réactionnaire. » Fin de la citation. Et là, je me suis dit, ah ben voilà. Donc, merci Ariel Quirou dans Multitudes 91, parce qu'elle a synthétisé, là où j'étais perplexe, où j'étais mal à l'aise avec ce propos-là. Et donc, est-ce qu'on peut continuer ensemble, à la fois relier et distinguer, complotisme et conspirationnisme ?

23:16

Yves Et là, je crois qu'il y a deux mots. Il y en a un que tu as utilisé au début de ton intervention, maintenant, et il y en a un autre, dont je ne me rappelle pas que tu l'as utilisé, mais que j'ai envie de mettre là-dedans. C'est la notion de discrédité et la notion d'autorité. Juste pour revenir au manifeste conspirationniste, moi j'ai une grande tendresse pour cette école de pensée autour de Tarnac, le comité invisible, etc., qui me paraissent donner vraiment des analyses très très puissantes de nos sociétés, en particulier en mettant en lumière les questions d'infrastructures, et qui ont un style aussi. Mais moi qui suis littéraire, je trouve que c'est un style poétique très, très engageant, très mobilisant. Et moi, je prends vraiment ça comme de la poésie. C'est un petit peu la société du spectacle, Guy Debord, etc., qui sont des grands poètes pour moi. Ce style, si on le prend comme un style, comme je le fais comme littéraire, pour moi, ça passe bien. C'est de la poésie. Si on le prend au pied de la lettre, alors l'inconfort que tu as en disant, mais qui ils sont pour croire, savoir que ? Assertif, aussi affirmatif sur des choses. Et pour moi, c'est des constructions de nouveau, des hypothèses qui sont belles, qui brillent, mais qu'il ne faudrait surtout pas prendre au premier degré comme une sorte d'appel à la guerre d'un général qui réunit ses troupes et qui nous dit « vous allez faire ça ». Or, il y a quelque chose de ça quand même là-derrière. Je suis absolument d'accord avec toi. Et donc, pour ça, j'ai envie d'y répondre avec ces questions de discrédit, donc de crédit, discrédit et d'autorité. Comme toi, je pense, Si je me suis intéressé à ces questions de conspirationnisme, c'est d'abord pour réagir à l'anticomplotisme, une sorte d'anticomplotisme. Je n'ai aucune tendresse pour QAnon ou pour toutes ces choses-là. Il me semble que c'est intéressant, mais il me semble que ceux qui dénoncent les complots font partie du problème, tout autant que de la solution. Et là, il y a quelque chose qui est très répandu en France, qui est une sorte de rationalisme. Il y a un livre très beau sur le complot, c'est un collectif italien qui s'appelait Wu Ming, Luther Blissett. Donc, ils sont anonymes, mais ils signent Wu Ming 1. Et là, Wu Ming 1 a fait un très, très beau livre sur le complot. Et ça s'appelle, en français, je crois que ça a été traduit, Le Q comme complot. Donc, la lettre Q comme complot. Parce qu'en fait, il faudrait des heures pour ça, mais ils avaient fait un roman en l'an 2000 qui s'appelait Q. C'était le titre du roman. Et eux, c'était des gens de l'activisme artistique, politique d'extrême gauche dans l'Italie des années 90. Ils avaient fait des trucs admirables comme agitation médiactiviste. C'était aussi des romanciers, donc ils ont publié Q et 15 ans plus tard, ils voient que Q revient dans Q anonyme repris par l'extrême droite et il y a toute une hypothèse qui n'est pas démontrée, mais qui est plausible qu'en fait, leur roman Et rentrer un petit peu dans la soupe qui fait que ça s'appelle QAnon maintenant et que c'est un petit peu leur fiction incontrôlée qui fait retour dans la réalité. Et donc Wu Ming 1 fait un livre qui est paru aux éditions Luxe de Montréal qui s'appelle Q comme complot, que je recommande à tout le monde parce que c'est génial, c'est vraiment génial. Et justement, eux, ils parlent de, je crois, suprémato-rationalisme, comme une sorte de suprématisme blanc, une sorte de suprématisme d'un rationalisme qui dit « la raison, c'est les explications causales, c'est la science, c'est les experts, c'est les universitaires ». C'est notre boulot. Nous, on est les spécialistes des explications causales. Donc nous, quand on dit quelque chose, c'est la vérité parce qu'on a tout ce dispositif de recherche des explications causales. Et tant que vous n'avez pas ça, vous nous écoutez, parce que nous, on sait et vous, vous ne savez pas. Et donc là, il y a un principe d'autorité qui est très différent historiquement du principe d'autorité de l'Église chrétienne, parce que, par exemple, l'Église chrétienne, c'était le pape ou des gens qui étaient inspirés par Dieu qui parlaient. Là, on ne croit plus à ce principe d'autorité-là. Ce n'est pas parce qu'Aristote a dit quelque chose que c'est vrai. Mais on a un autre principe d'autorité qui est une autorité collective au nom de la science, au nom de l'expertise, au nom de la raison. Et à mon avis, c'est un peu mieux que le pape ou que des inspirations de prophétesse. Et en même temps, on sait très bien que dans l'histoire des sciences, les sciences, ce n'est pas la vérité pure qui parle, c'est des institutions, que ces institutions, elles sont financées par certains, Elles sont censurées par d'autres, elles ont des intérêts, elles saisissent les scientifiques au sein de réseaux d'intérêts qui font qu'ils voient une perspective des problèmes et pas forcément les autres. Et ce qu'on appelle complotisme ou conspirationnisme, c'est à mon avis une réaction contre un certain dévoiement de certaines sciences au monde. Et là, pour moi, l'exemple le plus flagrant, c'est l'économie. Ce qu'on appelle la science économique, on a plein de gens qui reçoivent des diplômes de sciences économiques. Le produit national brut, le produit intérieur brut, toutes ces choses-là sont des choses qui sont calculées de façon rigoureuse. Moi, je ne crois pas qu'il y a quelqu'un qui manipule les chiffres de ça. J'ai un cousin qui travaille aux Etats-Unis pour ceux qui font les index des prix aux Etats-Unis et il vient de me dire que sa chef a été virée par Trump parce qu'en faisant leur calcul habituel sur l'index des prix, ils avaient un taux d'inflation qui ne plaisait pas à Trump et Trump a viré la chef. C'est exactement ce que faisaient les soviétiques c'est exactement ce que font les chinois et là on s'aperçoit que que les gens qui calculent l'index des prix ou le PIB fassent leur travail de façon rigoureuse sans qu'un Trump ou un Brezhnev leur disent qu'il faut cuisiner leurs chiffres, ça j'y crois donc en ce sens là c'est rigoureux, c'est raisonnable c'est scientifique, mais La façon dont on calcule quels prix interviennent là-dedans, la façon dont on calcule ce qui est être au chômage, la façon dont on définit tous ces concepts et toutes ces catégories, c'est un certain point de vue sur la réalité. Et lorsque des scientifiques, en particulier les économistes, nous disent c'est la loi du marché, c'est la loi de l'économie et c'est comme ça, je crois que maintenant, on a quand même appris à se méfier de ça et à leur dire les gars, merci pour vos calculs. C'est un élément de la réalité, ce que vous nous dites, mais il y en a plein d'autres et il y en a sûrement d'autres qui sont plus pertinents. Pour nous, c'est évident que des questions d'écologie, des questions de repérer des extinctions dans les milieux vivants, c'est au moins aussi pertinent que le PIB. Et pourtant, ça fait des années qu'on sait comment faire le PIB et comment faire des politiques économiques là-dessus. Et on ne se demande pas trop comment inclure les extinctions du vivant. Donc, tout ça, c'est un très très long détour. Pour dire, on est dans une crise de l'autorité, y compris de l'autorité scientifique. On a besoin d'autorité scientifique, mais elle est en crise parce que des dévoiements comme la science économique ou autre l'ont rendu douteuse. On a raison de se méfier de certains résultats. Et donc, tout ça, ça nourrit un complotisme qui jette le bébé avec l'eau du bain en disant tout ce qui vient de la science, climatique ou autre, tout ça, c'est lié à l'état profond, c'est des gens qui veulent nous enfumer et on rejette tout ça. Donc, il est clair qu'il ne faut pas rejeter tout ça. Il est clair qu'il faut être critique envers certains des résultats. Et en ce sens, c'est donc bien une question de quelles autorités méritent de recevoir notre crédit. Et c'est pour ça qu'on a besoin de faire des enquêtes. Là, on revient à ce qu'on disait tout à l'heure. Il y a des choses qui nous semblent bizarres. Eh bien, faisons des enquêtes et faisons des enquêtes depuis notre perspective à nous, depuis nos terrains à nous, pour voir en quoi peut-être que ce que nous dit la science économique, c'est vrai à un certain niveau macro, mais c'est complètement faux, à un niveau micro. Donc, discrédit, faire crédit à, il me semble que la situation dans laquelle on se trouve aujourd'hui et dont les accusations de complotisme ou conspirationnible sont juste le symptôme, c'est que nous avons acquis des moyens de communication et de diffusion de l'information qui sont sans précédent. Nous avons quand même acquis une capacité d'analyse des données parce que plus ou moins tout le monde a un baccalauréat ou a fait un peu de philo ou de quelque chose qui n'était pas le cas il y a 200 ans. Et donc, tout le monde peut se considérer non pas comme un expert, mais comme ayant les moyens de comprendre quelque chose. Et que ce qu'on vit maintenant, c'est un défasage entre des régimes d'autorité scientifiques, gouvernementaux, qui ne fonctionnent plus en fonction de notre intelligence collective. Notre intelligence collective est plus avancée que simplement le président nous a dit qu'il fallait se serrer la ceinture. Donc, on se serre la ceinture parce qu'il n'y a pas d'alternative, parce que la dette, c'est la pire des choses, ce qui est complètement faux. Donc, on se méfie de ça avec raison. On n'a pas encore assez de moyens pour, en tout cas collectivement, pour faire des enquêtes satisfaisantes. Donc, on est pris là entre les deux et on fait du complotisme. Parce qu'on va se dire, ah, c'est la faute de Bill Gates, ce qui n'est pas complètement faux. C'est la faute de ceci, ce qui a une part de vérité. Et on simplifie. Et pour moi, le complotisme, c'est une simplification à critique, à savoir que comprendre, c'est toujours simplifier. La réalité est toujours infiniment plus complexe que les quelques enchaînements de causalité qu'on arrive à voir. Et simplement, le danger du complotisme, c'est de simplifier en croyant qu'on a tout compris. Et je reviens à ce que tu disais. Lorsque le manifeste anticonspirationniste a ce ton d'autorité qui nous explique que ça fait trois siècles, qu'il y a des gens qui ont prévu qu'on aurait le Covid et puis que ça serait une façon de nous mettre des puces dans le cerveau. Ils ne disent pas ça. Là, je caricature. Ça, justement, c'est ce ton d'autorité qui, d'une part, rassure. Parce que ça serait bien s'il y avait des gens qui savaient. Ça serait tellement rassurant. Moi, je me couche, vous faites le boulot. Demain matin, je me réveille. Et puis, tous les problèmes sont résolus parce que vous êtes des vrais experts. Ben non, c'est nous qui devons faire nos enquêtes. Et personne ne sait comment se sortir de la mouise dans laquelle on est maintenant et de faire face au fait que personne ne sait, que nous avons tous un petit savoir. Comment agencer, harmoniser ce petit savoir local que nous avons, ces grandes idées abstraites que nous avons, qui ne sont pas les mêmes parce que nous avons des perspectives, des situations, des cultures différentes. Tout ça, c'est un problème énorme culturel dans lequel on se trouve maintenant. Faire de l'anticomplotisme, c'est réduire ce problème structurel, c'est faire du complotisme, parce que c'est penser que c'est les complotistes qui contrôlent tout et qui sont la cause de tous les problèmes, alors que c'est un épiphénomène à mon avis.

33:43

Alexis Je trouve que ça clarifie bien ce continuum. Ce n'est pas des oppositions, c'est bien un continuum entre conspirationnisme et complotisme. Ça m'explique aussi pourquoi le livre s'appelle Manifeste conspirationniste et non pas Manifeste complotiste. C'est aussi à assumer. Ça m'explique aussi pourquoi j'étais perplexe et mal à l'aise dans la lecture. Tout ça, on le retrouve avec ce défaut d'aller peut-être par style poétique. Je n'avais pas vu ça. Merci beaucoup pour cette autre lecture. parce que finalement, ça pourrait être un style pamphlétaire dans lequel je pourrais être à l'aise si je savais à l'avance que c'était un style et qu'il ne fallait pas prendre pour vrai et pour vérité absolue avec un grand V les accusations ou les liens qui sont faits mais que c'est juste une proposition de simplification pour rendre les choses digestes à la lecture. Mais donc, j'ai bien aimé cette idée de style poétique, ça m'éclaire. Et en même temps, il y a ce côté d'autorité ou de ton pérentatoire qui a tendance finalement à faire lui-même du complotisme, anti-complotisme et du coup qui reste gênant et pas satisfaisant en tout cas à mes yeux comme proposition et qui m'explique donc cette trajectoire un peu étrange que le livre a eu à mes yeux parce que moi aussi je peux avoir de l'affinité avec l'historique du groupe de Tarnac et du comité invisible, mais là je suis un peu inquiet de ces réappropriations-là et j'aimerais les entendre un petit peu plus sur une non-réappropriation et sur un repositionnement un peu plus clairement de là où ils sont.

35:07

Yves Là, moi, je dirais juste une chose qui a peut-être valeur plus générale au-delà de ce cas particulier, c'est plutôt que de critiquer le conspirationnisme ou la droite ou l'extrême droite, essayons plutôt de nous dire des choses positives ou essayons, nous, de proposer nos solutions. Et je crois que c'est ce que tu fais aussi.

35:28

Music Musique

35:52

Alexis Maintenant qu'on a clarifié les différences entre complotisme et enquête, et du coup qu'on a rajouté ce terme de conspirationnisme et de conspirer, peut-être on pourrait définir la co-enquête comme une conspiration poétique ou une esthétique de l'investigation. Ça, c'est des termes qu'on trouve dans Multitudes 91, ou en tout cas comme une enquête collective pour chercher ensemble et s'entraider et s'inspirer les uns les autres à partir d'affinités communes. Et donc peut-être que cette enquête, co-enquête, pourrait être tout simplement une conspiration. Et alors, j'ai envie de te poser maintenant la question, pour rejoindre mon intention derrière ce podcast, selon toi, comment pourrions-nous conspirer ensemble pour la sobriété ?

36:30

Yves Alors, j'ai envie de reprendre ta question et le temps verbal du conditionnel, pourrions-nous, qui implique que nous ne le faisons pas ? Il y a une référence que j'aime beaucoup dans la littérature contemporaine, qui est quelqu'un qui s'appelle Romain Noël, qui a fait un texte qui s'appelle « La grande conspiration affective ». Et il se trouve que ça correspond complètement avec quelque chose qu'on a fait avec un ami à moi, un artiste qui s'appelle Grégory Chatonsky, où pendant trois ans, on a donné ou quatre ans, je ne sais plus, on a donné ensemble des sortes de cursus d'études pour des gens qui étaient des artistes et des chercheurs sur la terraformation, sur les IA, sur l'aliénation, sur toute une série de choses. Et le conspirationnisme est venu là au milieu et en y réfléchissant, on s'est dit d'abord, on va imaginer ce que nous pourrions faire pour conspirer pour la planète, etc. Et assez vite, on a eu des idées, faire des blockchains, il y a toute une série de choses, de modes d'organisation très, très novateurs, qui vont changer le monde, etc. Et sitôt qu'on avait une idée, forcément, on allait sur Internet, c'était avant l'époque de ChatGPT, ChatGPT vous dit tout, et moi je n'utilise pas ChatGPT, donc moi je vais encore sur le vieil internet, et on s'apercevait qu'il y a des gens qui le faisaient déjà. On n'arrivait pas à avoir un truc, et on était plein, il y avait des artistes ici, et plein de gens, on se disait qu'on était un peu inventifs et intelligents, et sitôt qu'on avait une idée, on était très fiers, on passait l'après-midi à faire nos trucs, ah là ça m'a cassé la baraque, et on revenait la semaine suivante, et il y avait 50 trucs qui étaient déjà faits, qui étaient déjà en train de se faire, qui avaient déjà raté. Et donc, cette grande conspiration affective de Romain Noël, ça part de la prémisse que Nous sommes tous dans un état de désespoir, solastalgie, dépression écologique, etc., en nous disant « il faudrait qu'on fasse quelque chose, en plus on est tous séparés et c'est les fascistes qui arrivent à être ensemble et à conquérir le pouvoir ». On est pris par des affects qui sont à la fois des affects de désirs infinis de transformation sociale et de désespoir plus ou moins aussi infini devant le fait que l'horizon est bouché. Donc, on vibre aux mêmes affects, on respire le même air à la fois d'urgence à agir et de dépression face aux difficultés d'agir, donc l'affect il est déjà commun. Et, sans même qu'on s'en rende compte, on respire ensemble et on en parle. Là, on en parle nous deux, mais il y a des gens qui écoutent. Et puis, ce qu'on dit maintenant, ce n'est pas très original, parce qu'il y a plein de gens qui se disent les mêmes choses plus ou moins. Pas toute la population mondiale, il ne faut pas non plus être naïf, même pas toute la population française ou les pays riches ou de ce que j'aime bien appeler le mode de vie impérial. Je crois que ça nous correspond le mieux. Donc, qu'est-ce que c'est que la grande conspiration affective de Romain Noël ? C'est une soixantaine de pages de théorisation de son état à lui qui s'aperçoit qu'il est déjà en train de conspirer sans qu'il le sache. Et à faire des enquêtes, il faut vraiment que tu le lises parce que c'est exactement là-dessus. Il fait des enquêtes sur des groupes artistiques qui sont en train de conspirer pour la sobriété, le monde sans classe, etc. Toute une série de belles choses. Et ce texte, il est basé sur des enquêtes réelles sur des groupes artistiques qui existent vraiment. Mais il en invente quelques-uns au passage qui pourraient faire ça. Et il se trouve que son livre a eu pas mal d'écho. Et maintenant, il y a des gens qui lui téléphonent pour avoir l'adresse des artistes que lui a inventées. Comme faisant ceci, parce qu'on veut les inviter quelque part. Et c'est un petit peu ce que je te disais tout à l'heure sur Woumi et Q. C'est cette dynamique-là qui a été, début des années 2000 et 2015, avec Q de Wu Ming, roman de fiction d'extrême-gauche qui devient un truc récupéré par ailleurs, il conspirait déjà à ce moment-là. Et donc, cette grande conspiration affective, je dirais qu'elle est déjà là. Elle est en train de se faire. Donc, première chose, associons-nous, Non seulement respirons ensemble, mais écoutons-nous les uns les autres. Ce qu'on ne fait pas, parce qu'on est... Enfin, ce qu'on ne fait pas, je ne sais pas, on le sait tout le temps. Mais on est quand même dans un mode de socialisation qui fait qu'il y a une prime à la parole et pas beaucoup de primes à l'écoute. Et donc, moi, j'ai beaucoup travaillé sur des questions d'attention et autres. Et il me semble qu'un des problèmes, c'est que tous les moyens de communication... Par le fait, ce n'est pas parce que c'est le téléphone portable, c'est le téléphone portable en régime de capitalisme de plateforme qui récompense un certain nombre justement de prises de parole, de scandales, etc. Tout nous pousse à hurler plus fort que le voisin pour exister parce que j'existe si les gens me consultent, me regardent, etc. Et que l'activité d'écoute, c'est ce qui passe un petit peu à la trappe, alors qu'on en a besoin, parce que si personne n'écoute et que tout le monde hurle, ça ne va pas la faire non plus. Donc, première chose, il y a déjà des conspirations écologistes partout. Elles n'ont pas la taille, mais la taille, c'est peut-être justement par manque d'écoute. Et elles n'ont pas l'efficacité qu'il faudrait. Donc, le problème que tu posais, il reste tout à fait légitime. Alors maintenant, qu'est-ce qu'on peut faire avec ça ? Alors, il y a un des mots que j'ai employés tout à l'heure à propos de Wu Ming qui me semble toujours très important. C'est la notion de médiactivisme ou de médiartivisme. C'est ce que tu fais en faisant un podcast. On aurait pu se voir sur un banc et discuter. Là, il se trouve que ça va demander du temps. Tu m'enregistres, il y a quelqu'un qui va faire un montage. Donc, ça demande du temps pour le mettre à disposition des autres. Donc, ça, c'est le premier niveau de rentrer dans les médias. Maintenant, il y a un autre niveau où là, il me semble qu'on n'est pas très bon. C'est le moment du relais. Et là, il y a quelqu'un qui s'appelle Édouard Glissant, qu'on aime beaucoup, qui est à la fois un poète caribéen, à la fois un philosophe, quelqu'un qui a vraiment pensé la créolisation, la coexistence des langues et des cultures, et qui faisait une distinction très belle entre ce qu'il appelait des agents d'éclat et des agents de relais. Les agents d'éclat, comme quelque chose qui éclate ou comme une lumière éclatante, c'est ce qui se voit. Voilà, ça fait saillance attentionnelle, une sirène de pompier, une explosion, etc. C'est un éclat. Et en gros, c'est ce qu'on cherche. On cherche à avoir plein de gens qui nous regardent. On cherche à devenir, ce n'est pas forcément narcissiquement, mais parce qu'on pense qu'on a des bonnes paroles. Et j'imagine que si demain, il y a 5 millions de personnes qui arrivent sur ton podcast, non seulement tu seras très content, toi, narcissiquement, pour te dire que tout le monde t'aime bien, mais c'est ce qu'on veut. On veut que ça se répande et que ça se fasse. Donc, c'est très bien. Mais la dichotomie que propose Édouard Glissant, c'est dire ce dont on a vraiment besoin, c'est des agents de relais, à savoir comment faire justement pour que ces choses circulent. Et la frustration que nous, on a avec Multitudes, on conspire dans notre petit coin avec Multitudes depuis maintenant 25 ans, c'est notre numéro 100, et on s'aperçoit qu'on manque de relais. Parce que plus ou moins jamais personne ne parle de ce qu'on fait en Multitudes, ni dans les journaux comme Le Monde, Libération, etc., ni à France Culture, ni à France Inter. Et là, il y a un niveau de changement d'échelle qui demande des relais. Donc, une des choses que j'ai envie de dire, c'est ces conspirations pour la sobriété On est plein à se demander quel type de yaourts ils font acheter. Très bien, c'est un premier pas, c'est très bien. Ça serait encore mieux si on avait des outils et on commence à les avoir pour qu'on n'ait pas besoin de faire une enquête trop longue pour savoir où est-ce qu'il y a des yaourts en pot à consignes et que ça, on puisse le savoir tout de suite. Et là, il faut reconnaître que les médias électroniques, les réseaux, etc., c'est un truc extraordinaire pour partager l'information. C'est super utile et moi, je ne suis pas du tout technophobe en disant que tout ça, il faut le mettre à la poubelle, il faut revenir à la chandelle. Pas du tout. C'est très utile et ça existe. Il y a plein de sites qui nous aident justement à faire des choix comme ça, qui sont en général plutôt des choix de consommateurs, mais pas seulement. Mais la question suivante, c'est comment faire des relais qui permettent à la fois de s'apercevoir qu'on dit des choses parallèles sans s'écouter et après, et là c'est un petit peu le prochain projet sur lequel moi j'ai envie de travailler, c'est de créer, on peut appeler ça des plateformes, moi j'appelle ça des infrastructures mentales On peut appeler ça des médias, on peut appeler ça comme on veut, peu importe, Qui apprennent à gérer le multiperspectivisme. Et qu'est-ce que ça veut dire multiperspectivisme ? C'est un petit peu en référence à ce sujet tout à l'heure sur la science économique qui traduit tout en termes de PIB. Ce n'est pas faux. S'il y a une décroissance radicale du PIB, ça va faire plein de soucis. Donc là, c'est un facteur de la réalité, mais c'est une perspective. Et je parlais de l'extinction des espèces, c'est une autre perspective, etc. La production de plastique, c'est une autre perspective, etc. Si on veut aider cette grande conspiration affective pour la sobriété à se développer, Ça serait de réfléchir à ce que sont des plateformes, c'est le terme le plus général, Où des perspectives puissent non pas se neutraliser les unes les autres ou s'antagoniser les unes les autres, mais entrer en conversation et si possible se développer. Et là, on voit bien les problèmes qu'on a, ne serait-ce qu'au niveau électoral, pour que des gens qui s'appellent LFI, qui s'appellent socialistes en partie, qui s'appellent écologistes, etc., ou lignes marxistes révolutionnaires, je ne sais plus comment ça s'appelle, Dont les programmes, en gros, sont à 80% alignés, dont certains discours ou certaines catégories analytiques sont peut-être en clash, et donc ça demanderait qu'on en discute. Il y a eu quelque chose qui s'est appelé le nouveau froid populaire, je n'ai pas encore compris si ça existait encore ou si c'était mort, qui en trois jours en gros a pris acte de cette convergence et a fait qu'on pouvait aller ensemble à des élections et on voit qu'on n'est même pas foutu de faire ça, qui serait vraiment la chose de base pour s'unir autour de choses essentielles. Et la prise du pouvoir d'État, d'abord elle est très relative parce que même si on a le pouvoir de l'Élysée et que la bourse est contre nous, ça ne va pas être facile. Donc, il y a plein de choses. Ce n'est pas du tout qu'on va prendre le palais d'hiver et puis la révolution va arriver demain matin. Mais, ça serait déjà un peu mieux s'il y avait un parlement à l'Élysée et pourquoi pas à Bruxelles qui votaient des lois un tout petit peu plus éclairées et un tout petit peu plus qui vont dans l'autre sens. Et ça, ce n'est pas impossible. Ça dépend de plein de choses. Mais en particulier de cette capacité interne à nos conspirations de vraiment respirer ensemble jusqu'à un certain point. Parce qu'il y a plein de choses sur lesquelles on ne sera pas d'accord. Moi, je ne mange pas de viande, donc la plupart des gens que je connais mangent de la viande, d'une part, j'ai envie de leur dire, les gars, arrêtez, parce que ce n'est vraiment pas une bonne idée, on vit très bien sans, et si vous regardez ce que ça fait, ça n'a pas de bons effets. Et en même temps, si je commence à me brouiller avec tous les gens qui mangent de la viande, ça serait complètement absurde. Donc, on peut avoir des perspectives différentes sur manger ou pas de la viande, et pourtant, être ami, être amant, faire plein de choses, y compris de la politique. Et ceci, à mon avis, ça implique de réfléchir à ce qui fait la conspiration au-delà de 50, 100 ou, mettons, 1 000 personnes, qui sont justement ces infrastructures mentales, ces médias, ces plateformes. Et là, on vit dans un régime dans lequel l'antagonisme, ça, c'est ce que j'essaye d'analyser un peu mieux dans d'autres livres, mais l'antagonisme, le capitalisme de plateforme, en vit. Parce que, de nouveau, du point de vue des affects, ça excite certains affects qui poussent nos attentions dans une certaine direction, qui est celle de faire du profit pour ceux qui vendent de la publicité, qui marchandisent nos attentions, etc. Donc là, on peut faire cette analyse-là, ça demande un petit peu de temps, mais on comprend tous intuitivement comment ça marche. Et ça, ça vit de l'antagonisme. Ça vide l'antagonisme. Et donc, il me semble qu'un des défis pour mettre en place ces agents de relais, et que si une conspiration est urgente, à mon avis, c'est à ce niveau-là, ce n'est pas encore une conspiration sur les objectifs. Parce que, de nouveau, les dirigeants du Front de Gauche arrivent en quelques heures à se mettre d'accord sur des objectifs qui ne sont pas satisfaisants, qu'il faudra développer, mais qui sont déjà là à court terme. C'est comment faire que ça tienne et comment se doter des plateformes multiperspectivistes qui nous permettent d'avoir des incompatibilités bouffer de la viande ou pas bouffer de la viande et en même temps de se dire il y a plein de choses qu'on peut faire ensemble même si on n'est pas d'accord là-dessus Merci beaucoup,

48:49

Alexis Je vais essayer de le reprendre un peu avec mes mots, déjà comme je suis un grand feignant, j'adore quand on a eu une question qu'est-ce que ce serait conspirer pour la sobriété, la réponse est, on est déjà en train de le faire je trouve ça génial, merci beaucoup pour cet apport-là. L'autre chose que je retiens, c'est parce qu'effectivement, cette recherche-là de conspirer pour la sobriété, il y avait probablement quelque chose d'un petit peu. Égothique ou égocentrique, comme si je pouvais avoir une nouvelle idée, alors que ça existe probablement déjà, plus que je ne le crois, comme tu le partageais sur certains exemples. Je trouve ça hyper inspirant. Du coup, ça amène à la bascule qui est, je me dis, finalement, peut-être que conspirer pour la sobriété, c'est déjà écouter davantage, s'écouter davantage, écouter encore, rechercher encore, et justement, écouter quoi ? Et écouter tous les endroits, avec tous les espaces d'échange que je peux avoir avec des gens qui sont des amis, des gens que j'apprécie, et pourtant, ils ne sont pas d'accord avec moi sur la viande, ils ne sont pas d'accord avec moi sur l'avion, ils ne sont pas d'accord avec moi sur tout un tas de trucs, et dans un sens comme dans l'autre, on n'est pas d'accord, mais on a quand même ce socle-là, et donc cette écoute, elle est d'aller chercher qu'est-ce qui nous réunit quand même, au-delà de ces désaccords ou de ces clashes, qui mériteront d'être discutés, mais qui ne méritent pas de s'embrouiller, qui ne méritent pas de ne plus être amis, Au contraire. Conspirer ensemble, c'est d'abord s'écouter pour aller chercher, j'ai envie presque de le dire comme ça, s'écouter pour aller chercher ce qui nous réunit plus que ce qui nous sépare, ou davantage ce qui nous réunit plus que ce qui nous sépare, y compris avec quelqu'un qui pourrait se revendiquer électeur d'extrême droite. Moi, je trouve ça passionnant. Je l'ai encore fait hier soir d'aller discuter avec quelqu'un qui pourrait se revendiquer électeur d'extrême droite. Et j'ai trouvé cette personne extrêmement touchante, plein de vulnérabilités, plein d'endroits où je ressens les mêmes injustices. Et pourtant, on ne vote pas du tout de la même façon à la fin, certes, mais je trouve ça plus intéressant de passer du temps à aller s'écouter. Merci pour cette réponse. Je ne m'attendais pas du tout à ce que tu me dises ça, mais donc merci. Il n'y a rien à faire. Continuez, mais peut-être si ce qu'il y aurait à faire, c'est continuer la question de l'écoute et peut-être travailler sur ces questions des relais. Ça, je maîtrise moins et donc je serais très intéressé par tes futurs travaux. Mais tu voulais réagir.

50:50

Yves Oui, juste pour ça, parce qu'il me semble d'identifier des échelles, c'est quelque chose qui est important dans ce qu'on discute maintenant. Et quand je disais oui, ça se fait déjà, c'était un peu faux cul et c'est trop facile de le dire parce que oui, ça se fait et non, ça ne se fait pas. Ça dépend de quelle échelle on repart. Et ce que tu disais maintenant sur la personne avec laquelle tu discutais hier, il me semble que c'est vraiment très important. Il y a le niveau inter-individuel, à savoir qu'on part du principe que nous sommes des individus, que nous pensons de façon un petit peu autonome, que nous avons nos opinions, que nous croyons ceci, que nous ne croyons pas cela ? Et cette échelle inter-individuelle, à la fois, elle est essentielle parce que, voilà, là, je te parle et on a nos singularités. En même temps, on baigne dans des causalités communes et souvent dans des frustrations communes. Et ces frustrations et ces causalités communes, à la fois, on peut se dire qu'elles sont universelles, à savoir ça se réchauffe et ça se réchauffe partout. À la fois, c'est quand même important de dire que tout le monde n'est pas exposé au réchauffement de la même façon. Il y a des gens qui ont l'air conditionné, des gens qui ont pas l'air conditionné, il y a des gens, etc. Et donc là, face à, de nouveau, dans le niveau interpersonnel, quelqu'un qui défend des positions, mettons, fascistes ou d'extrême droite, Remonter aux causes qui poussent les affects à trouver telle solution, et essayer de comprendre ces causes et la production d'affects et pourquoi les solutions peuvent être attirantes, ça il me semble que c'est un devoir intellectuel qu'on a, et que c'est un respect aussi de l'autre, de dire c'est pas parce qu'il est né fasciste ou parce qu'il est né idiot qu'il fait ça, il y a quelque chose qui le pousse à Qu'est-ce que c'est ? J'aime bien parler en termes de perspective. Il est dans une situation existentielle où il voit les choses d'une certaine perspective. Et qu'est-ce qui détermine et sa perspective et sa situation existentielle ? Et là, c'est quand même ce type de raisonnement-là, il me semble, qui caractérise la gauche, qui caractérise le socialisme, dans son sens le plus, pas le parti socialiste, mais le socialisme, en disant que c'est des conditions matérielles et sociales qui conditionnent, pas déterminent de façon stricte, mais conditionnent les façons dont on parle. Et là, il y a un texte qui, moi, je ne sais pas si tu l'as déjà invité dans ton podcast ou si tu pourrais, ça serait « Pour une écologie pirate » de Fatima Ouassak.

53:11

Alexis Ah oui, j'adorerais.

53:13

Yves Voilà, qui me semble quand même très, très intéressante parce que... Elle est écologiste, elle souscrit, je pense, à toutes les choses auxquelles on peut souscrire. Et en même temps, elle a un ancrage fort dans des quartiers défavorisés, dans lesquels le type de discours que toi et moi tenons est inaudible. Et il est inaudible, de nouveau, pour des raisons. Ce n'est pas parce que c'est des fascistes, ce n'est pas parce que c'est des immigrés, ce n'est pas parce que c'est des musulmans, ce n'est pas parce que je veux ça. C'est parce que, dans cette situation-là, il y a d'autres urgences, il y a d'autres limitations, il y a d'autres aspirations parfaitement légitimes qui ne sont pas les nôtres. Et un livre comme Pour une écologie pirate, il me semble que c'est vraiment très important qu'il soit publié, qu'il soit publié à la découverte, qu'on en discute, qu'elles soient invitées à en parler, etc. Parce que c'est exactement de ça qu'on a besoin. Et je dirais plus de ça que de convaincre les fascistes, parce que les fascistes, ce n'est pas la majorité de la population. Il y a un vote qui s'exprime de ce côté-là, mais qui, à mon avis, souvent est un vote justement de frustration, de ressentiment, et on pourrait travailler sur les causes, on pourrait travailler sur toute une série de choses. Ou alors, c'est vraiment des visions du monde qui sont incompatibles avec les autres. Et là, tant pis s'il y a 10% ou 15% de la population. Mais il y a plein d'autres gens qui, finalement, partagent toute une série de valeurs avec nous, auxquelles on n'arrive pas, justement, on n'a pas les relais nécessaires pour que nous, on puisse les entendre. C'est pas seulement qu'eux puissent comprendre notre bonne parole parce que nous, on leur apprend ce qu'il faut faire et puis eux, ils n'ont pas compris. Mais nous, on ne comprend pas non plus. Nous, on n'écoute pas. Il y a un niveau inter-individuel qui est je parle avec ma voisine ou avec quelqu'un que je vois comme ça par hasard après Il y a quand même le niveau politique, je ne sais pas ce que ça veut dire politique, parce qu'on sait que le politique est partout depuis 50 ans. Mais quand même, que moi, j'achète mon yaourt, où est-ce qu'il y a de la consigne ? C'est clair que ça ne va pas changer le monde. Il faudrait qu'on soit des millions à faire ça, et peut-être qu'un jour, on sera des millions. Mais en quelques mois, on peut faire une loi sur les emballages. Il y a un certain nombre de lois qui s'imposent. Et pour moi, un front de gauche, ça veut dire qu'on regarde quelles sont les lois qui s'imposent, pour lesquelles on peut expliquer les choses, pour lesquelles, oui, tous les gens qui font des emballages, il faut qu'on trouve, qu'on leur donne un salaire pendant trois ou quatre ans pour qu'ils fassent autre chose que les emballages, même s'ils ne foutent rien.

55:25

Alexis Une sécurité sociale de la redirection écologique qui serait chère à Alexandre. Voilà, et donc ça.

55:29

Yves Ce n'est pas du tout, mais ce n'est pas de l'utopie. C'est vraiment faisable. On a les moyens, on a l'argent, on a les ressources, on a absolument tout ce qu'il faut pour faire ça. Et ça, ce n'est pas de l'intérêt individuel. Ce n'est pas juste, je parle avec quelqu'un qui est dans le bus parce qu'il vient dans notre quartier. Ça fait partie de ça, ces dialogues et ces conversations, mais c'est vraiment un autre niveau. Et c'est pour ça, tout à l'heure, je parlais de Front de Gauche, je parlais de choses qui sont un petit peu, qui ont l'air un petit peu antiques, parce qu'on a aussi cette idée qu'aujourd'hui, la politique, ça se fait par les réseaux sociaux, c'est des trucs, etc. Mais cette politique antique, elle garde quand même, et je crois qu'elle devra retrouver, une prise sur nos réalités collectives sur laquelle on ne peut pas du tout faire l'impasse. Et une des choses qui me frustre, c'est plein de gens qui ont de nouveau de très, très bonnes raisons pour se méfier du processus électoral, pour le dénoncer comme un piège à cons, ce qu'il est, pour... Etc. Etc. Et en même temps, pour le moment, on n'a pas fait mieux. Et c'est pas demain qu'on va prendre des fourches et puis qu'on va aller prendre l'Élysée avec nos fourches. Donc, qu'il faille travailler à plusieurs niveaux... Toi, t'es pour les fourches, je vois ta réaction. Non, non, au contraire,

56:28

Alexis Même ce qui me venait, effectivement, je réagissais, donc physiquement, vous ne le voyez pas, mais je levais les épaules quand Yves a parlé des fourches. Au contraire, moi, je me méfie beaucoup des fourches, dans le sens où qu'est-ce que ça va donner le « après » ? L'histoire montre que c'est pas forcément toujours très glorieux ce qui va se passer après, donc je peux moi à la fois me sentir proche d'un côté révolutionnaire, et en même temps fortement m'en méfier pour être plus proche d'un côté réformiste, et j'aime bien ce dialogue entre les deux, et je pense qu'aucun des deux fonctionne seul.

56:56

Yves Tout à fait, là, ce qui est de plus en plus convaincant, il me semble, c'est de parler justement d'écologie des luttes, on a besoin de, et des fois il y a des besoins de violence contre les choses, contre les gens, là je suis pas convaincu, là il me semble ce que fait, par exemple, les Soulèvements de la Terre, il me semble que c'est vraiment remarquable, mais vraiment remarquable, et que ce n'est pas en opposition avec des gens qui vont à Bruxelles pour faire passer des lois qui ne passent pas, etc. Que c'est vraiment justement de sortir de ces oppositions. Toi, tu es réformiste, moi, je suis révolutionnaire, tu n'as rien compris, moi, je t'explique. Voilà. Les antagonismes entre nous. Je crois que c'est vraiment de distinguer les antagonismes Entre nous. Et après, toute la question, c'est de voir comment on définit ce « nous ». Et ce n'est pas facile. Mais en même temps, ce n'est pas non plus « rocket science », comme on dit en anglais. C'est assez clair qu'il y a un certain nombre d'agendas qui sont partagés et que donc dans ces agendas-là, on est entre nous et que ça nous dispose ensemble à lutter contre. Alors, est-ce que c'est des ennemis au sens où Elon Musk ou Bolloré seraient mon ennemi ? Oui, pourquoi pas. Mais c'est plutôt des dispositifs de pouvoir, des institutions, des formes de financement, des actions, parce qu'il y a des actions que fait Bolloré qui sont à combattre, etc. Et après, de nouveau, c'est mobilable de savoir dans quelle mesure c'est Bolloré ou si Bolloré n'est pas là il y en a un autre qui va le remplacer et puis ça ne sera pas forcément mieux donc là je crois que c'est important des fois d'avoir des marqueurs pour se dire Bolloré et puis voilà on se bat contre Bolloré et que c'est aussi important de se dire quel est le système qui permet le Bolloré et comment on peut s'attaquer à ce système et donc en ce sens-là Cette écologie des luttes avec des moyens très différents, apparemment incompatibles, mais en fait complémentaires, ça je crois qu'on en est beaucoup à connaître ça maintenant, tout à fait.

58:33

Alexis Et ça rejoint la discussion sur comment conspirer pour la sobriété. On le fait déjà, écoutons-nous davantage et cherchons à identifier ce qui nous rassemble dans ce « nous » à définir, plus que ce qui nous sépare. C'est peut-être effectivement très inspirant sur la suite. C'est rigolo, ça boucle avec le premier épisode que j'ai fait avec Fanny Hugues, dont je t'ai parlé, qui a fait une thèse sur les pratiques de débrouille en milieu de ruralité, et où elle me disait que sur son terrain d'enquête les personnes ne se revendiquaient pas écolo et pourtant, selon moi, sont bien plus avancées que moi-même qui peux me revendiquer écolo sur des pratiques qui seront compatibles avec les limites planétaires et qui sont souhaitables, enviables et désirables pour demain, en dehors de cette question de précarité ou de misère qui peut toucher une partie de la population de son enquête qui là pour le coup n'est pas désirable et dont il faut. Collectivement accepter d'en sortir donc ça reboucle super bien merci beaucoup peut-être un dernier échange que j'aimerais avoir avec toi avant de conclure cet épisode ce serait peut-être de s'appuyer un peu plus sur ton travail dans ton livre La machine à faire gagner les droites et donc pas s'intéresser pourquoi les droites et peut-être moins aussi sur la mécanique sur cette machine sur la description pareil écoutez David Dufresne c'est super bien décrit je vous invite ou lisez le bouquin de Yves Citton si vous voulez Mais donc, de m'appuyer sur ça pour aller vers le côté contre-machination, puisque tu parles à la fin pour essayer d'ouvrir, en fait, au-delà de ce piège de la machine à faire gagner des droites, comment en sortir avec ces contre-machinations. Alors, je ne vais pas toutes les citer parce que tu en cites plein et elles ne sont pas toutes toujours adaptées à ces questions et du podcast et de la sobriété. Donc, je filtre pour notre conversation par rapport au thème du podcast. Et donc, j'en ai pris trois. Et ce que je te propose, c'est que je te les lise. Et puis après, qu'on discute ensemble sur ça pour conclure. Une contre-machination que tu proposes, c'est de ressasser qu'il faut des expérimentations plutôt que des critiques ? J'aime beaucoup cette formulation comme tu la proposes, et c'est pour ça que je prône plus du faire, de l'expérimentation, plus que de dire, et en même temps, dénoncer, ça peut être utile. Donc voilà, mais en tout cas, expérimenter. Une contre-machination visibilise les infrastructures, ça c'est ce dont tu as parlé tout à l'heure, donc on parle des infrastructures, on les met en lumière, on enquête dessus même pour les rendre visibles. Typiquement, qu'est-ce qu'il faut derrière mon smartphone, derrière l'ordinateur, derrière la visio, derrière le podcast, de quoi il y a besoin, derrière tout ça, et ça c'est hyper important. Et troisième extrait que j'ai attrapé, c'est celui-là, qui m'inspire énormément et que j'essaye de m'approprier. Donc je te cite, elle est un peu plus longue. « La puissance du comique doit pouvoir être, entre parenthèses, remise au service des causes progressistes. Une large partie de la gauche écologique est aussi victime de son esprit de sérieux, entre parenthèses, de ses gêniements victimaires, de ses lamentations nostalgiques et de ses tonalités apocalyptiques, fermez la parenthèse. Apprendre à rigoler ensemble est peut-être le premier pas pour réapprendre à respirer ensemble les atmosphères enjouées, expérimentales et expérientielles d'un médiactivisme à réinventer. » Fin de la citation. Alors celle-ci, franchement, ça a fait ma journée, comme on dirait en anglais, j'ai adoré, et depuis, je n'arrête pas d'y penser, parce que c'est vrai que moi-même, je me vois en tant qu'écolo-ingénieur, avoir pris les chiffres, avoir dit « Ah là là là, ça va tout cramer, ah là là là, il faut réduire ça, ah là là là, il faut arrêter de prendre l'avion. » Voilà, je l'ai fait, je continue de le faire, mais j'ai envie de le dépasser, et j'ai envie maintenant de faire vivre un peu l'esprit de rébellion joyeuse, de celles que j'avais quand j'avais envie d'être contre le système, anarchiste, jeune, tout ça. Voilà, cet esprit de rébellion joyeuse, de rester des pirates enthousiastes, des agitateurs taquins, rusés, touchants, vivants, ce que font super bien les soulèvements de la terre aussi, je trouve, dans ce jeu-là. Mais voilà, c'est ça la question que j'ai envie de te poser. Ce serait quoi une contre-imagination à faire gagner la sobriété avec cette dimension en particulier joyeuse, ludique, rebelle, inventive, créative, et qui donne envie à tout le monde d'aller rejoindre et de participer à cette fête ?

1:02:15

Yves Merci beaucoup pour la question parce que, alors d'abord il faut que je rende crédit, on parlait de crédit tout à l'heure, c'est mon ami Jacopo Rasmi qui m'a rendu sensible à ça. Avec Jacopo, on avait fait un livre qui s'appelait Génération Collapsonote, donc c'est quelqu'un qui avait 30 ans, moi j'avais 60 ans, et on a fait un livre ensemble sur ce sentiment qu'on partageait quand même un peu que ça s'effondre à la Pablo Servigne, etc. Et pour prendre un peu de distance face à la façon dont l'effondrement était cadré dans nos sociétés. Jacopo Rasmi, donc R-A-S-M-I, on trouve ça sur AOC, dans différents endroits, où il partait d'effondrement, ça veut dire chute, quelque chose qui s'effondre, c'est quelque chose qui tombe. Et de cette évidence, cette intuition que souvent dans les films burlesques, quand quelqu'un tombe, ça nous fait rire. Et il se trouve que moi, j'ai ça. Ça m'a vraiment embarrassé parce qu'il y a des gens qui tombaient, qui tombent de leur chaise, etc. C'est des gens très respectables et tout. Et plutôt que de leur porter secours, je commence par éclater de rire parce que je trouve tellement drôle que quelqu'un tombe. Et c'est con.

1:03:14

Alexis Ça peut être embarrassant après coup.

1:03:16

Yves C'est complètement embarrassant. Et donc, on était parti de ça et se dire qu'est-ce que c'est que le comique de la chute ? Et là, on peut le documenter dans plein de genres et plein d'époques. Et qu'est-ce que ça serait que de revisiter ces motifs de l'effondrement comme à travers le filtre du comique de la chute. Et là, tout d'un coup, on a vu plein de choses, à quel point on est ridicule. Enfin, plein de choses qu'on fait dans le monde consumériste, lorsque tout d'un coup il y a une panne, à quel point on est... Voilà, il faudrait d'abord se moquer de nous. Et donc, première chose, c'est drôle, on est dans des situations qui, objectivement, font rire. Maintenant, on sait aussi, et ça, ça serait une deuxième référence, c'est quelqu'un qui s'appelle Pablo Stefanoni, qui travaille en Argentine et qui a fait un livre qui s'appelle « La rébellion était le passé à droite », qui prend ce que tu disais, à savoir que beaucoup de gens des générations de la fin du XXe siècle ont identifié le fait d'être rebelles, d'être insoumis, ça s'appelle encore comme ça, de ne pas respecter les bourgeois, les préjugés, etc. De se moquer, de rire de tout, d'être un peu cruel de temps en temps, à une éthique de gauche. Et on rigole ensemble parce qu'on emmerde les prêtres, on emmerde les présidents, on pisse sur les tombes, etc. Et que ça, Stefanoni montre très bien que c'est passé à droite, que c'est l'extrême droite, pas seulement la droite, mais c'est l'extrême droite qui rigole aujourd'hui. Et que ça, c'est un problème. Peut-être que si l'extrême droite attire des désirs, c'est peut-être parce qu'elle fait rigoler. Et là, on avait une discussion il y a 15 jours avec des amis sur des questions liées à ça. Et c'était vraiment de distinguer à l'intérieur du comique il y a un comique, il y a une dérision fasciste, il y a vraiment une dérision un comique qui est depuis ma position supérieure parce que moi je tiens le couteau par le manche je rigole et je vous taquine parce que je sais que c'est moi qui tiens le couteau par le manche que vous ne pouvez rien faire il y a un côté sadique, c'était Judith Butler qui fait des conférences sur les passions sadiques du fascisme et le comique fait partie de ça les blagues

1:05:20

Alexis Misogynes ça pourrait être ça et dites par des hommes, parce qu'à la limite, des blagues misogynes dites par des femmes, c'est encore autre chose, ça renverse un peu les choses.

1:05:27

Yves Et là, c'est tout la droite qui dit « Ah, on ne peut plus rire, on ne peut plus plaisanter, parce que politiquement correct, parce que machin, etc. » N'empêche que, et là, il me semble qu'il y a quand même quelque chose qui permet de faire la distinction entre le rire fasciste et un rire qui serait un rire pour la sobriété, si on reprend cette...

1:05:44

Alexis Spontané ou pour la sobriété.

1:05:45

Yves Alors, spontané, je ne sais pas, parce qu'on peut, si on a l'habitude raciste ou sexiste, ça va être très spontané de rigoler à une blague sexiste. Ça serait plus tôt. Est-ce que je fais partie de ceux dont on se moque ? Est-ce que ce rire, il me rend moi... Alors, ridicule, le mot de ridicule, ridérer, c'est rire. Donc, est-ce que c'est un rire qui révèle une dimension ridicule de mes comportements, de mes identifications, etc. Et ce dont on discutait avec Jacopo Rasmi, c'était ça, justement. C'est que nous, écolos en train de penser que tout s'effondre, On est ridicule tous les jours, toutes les minutes, on fait des trucs ridicules, de contradictions internes, de dissociation mentale et tout ça. Et donc, on pourrait imaginer que la crispation fasciste, ça vient du fait qu'on se rend compte qu'il y a des problèmes et ces problèmes, on ne peut les gérer que justement dans la crispation, en se disant il faut trouver des ennemis, donc c'est les immigrés, donc c'est machin, donc c'est etc. Et que de décrisper un peu la chose en se disant « mais qu'est-ce qu'on est con », ça pourrait faire un exutoire. Et donc là, il me semble qu'il y a quelque chose, de nouveau dans cette intuition de Jacopo, de se dire « revalorisons le comique, le rire, ne le laissons pas en propriété de l'extrême droite, sachons qu'il y a un rire fasciste et que ça, on ne veut pas y toucher, mais qu'il y en a d'autres. » une bonne façon de faire le départ entre les deux, c'est est-ce que je ris de moi, de mes petits copains, de ceux que j'aime, c'est ça, de ceux que j'aime, ou est-ce que je ris de ceux que je domine ? Et ça, ça serait vraiment une distinction qui, me semble-t-il, peut répondre aux critiques « on n'est pas là pour rigoler » ou « le rire maintenant est néfaste », etc. Et en même temps, alors d'abord, nous, se porter mieux, parce que je crois qu'on ne se porte pas très bien, et collectivement, construire une force à partir de ça. À savoir que ce rire de notre propre ridicule, c'est souvent une façon de faire advenir une lucidité un peu supérieure, de nouveau moins crispée, qui reconnaît qu'on fait partie du problème et savoir qu'on fait partie du problème, c'est génial ! Parce que ça veut dire qu'on fait partie aussi de la solution. Si le problème, c'est que Bolloré, qui a tout contrôlé et qui nous tient les mains liées et qui nous met la tête sous l'eau, il n'y a pas de quoi rire, mais il n'y a pas de quoi faire grand chose non plus. Si c'est nous qui sommes assez cons pour donner du pouvoir à Bolloré ou à Trump ou à je ne sais pas qui, eh bien, moquons-nous de notre ridicule. Et à partir de là, comment on pourrait rigoler autrement ?

1:08:11

Alexis Et alors, ça me donne envie de réagir parce que j'aime bien la distinction que tu proposes entre ce rire de domination et ce rire dans lequel je m'inclus, d'autodérision, dans lequel je me moque de moi-même. J'aime bien ça. De s'appuyer sur le rire, mais du second plutôt que sur le premier. Mais là, il m'apparaît peut-être une faille ou une contradiction et j'aimerais te la soumettre. Du coup, c'est... J'apprécie beaucoup Waly Dia. Donc, c'est un humoriste qui était avant chez France Inter, maintenant, qui est relayé notamment par Mediapart, qui fait des petits sketchs assez incisifs. Et donc, il a un humour que j'apprécie beaucoup. Il va commenter sur le politique, sur la droite, sur tout ça. Et de tourner en ridicule, beaucoup tourner en ridicule, les Bolloré, les Macron, les Bayrou, etc., dans leurs lois, dans leurs contradictions, dans l'absurdité. Mais alors, du coup, comment tu fais pour qualifier cet humour-là qui part bien, que j'ai envie de qualifier émancipateur, tu vois, qui pointe bien le ridicule, mais qui pointe le ridicule non pas sur l'autodélication, mais chez l'autre.

1:09:05

Yves Il me semble que je peux répondre à ça, qui serait de dire, quand on rit d'une population que tout un système idéologique désigne comme soit oppressive, soit néfaste, soit diabolique, etc. Puissant, peut-être, ou dominant. Voilà, puissant, etc. C'est une chose, et ça, ça peut conduire à du rire fasciste. Là, moi, je peux très bien me moquer de Bolloré, écouter une plaisanterie sur Bolloré, en me disant que Bolloré, oui, c'est un capitaliste, oui, c'est un type d'extrême droite, oui, je le déteste, et en même temps, c'est un humain comme moi, et en tant qu'humain, si Bolloré était là, je ne pense pas que je le torturerais. Moi, je n'arrive pas à torturer un humain. Donc, si Bolloré est là, en tant qu'il est humain, je vais lui dire qu'il faut qu'il arrête de faire des trucs comme il fait, mais je ne vais pas le torturer. Alors qu'il y a des gens qui n'ont pas peur de torturer, ou quand on rit de le faire, la même si on me disait de le faire, je ne le ferais pas. Donc là, de se moquer de ses adversaires, c'est toujours la question après, adversaires, ennemis, etc. Mais on pourrait se dire qu'on a des adversaires et que ces adversaires, on reconnaît quelque chose d'humain en deux, dont on peut se moquer, comme on peut très bien se moquer de moi en tant que je suis humain, trop humain, etc. Sans que ça soit, sans les diaboliser, les démoniser ou en faire des ennemis à exterminer. Et là, il me semble que ça, je pense qu'on peut, pour moi, ça, ce n'est pas vraiment un trop gros problème. Tapons sur Bolloré symboliquement tant qu'on veut, parce qu'il mérite et que ça fait rire et que ça réduit son pouvoir, et en même temps, sachons qu'on pourrait nous taper dessus aussi parce qu'on est aussi humain que lui et qu'on fait des choses aussi des fois aberrantes, pas forcément avec les mêmes impacts que lui. Donc là, pour moi, ça va.

1:10:41

Alexis Ok. Je voyais quelque chose qui m'apparaissait peut-être comme, mais c'est plus clair en le posant, en le disant. Eh bien, on arrive à la fin de cet épisode qui était plus long que prévu, mais Un grand merci d'avoir accepté l'invitation.

1:10:53

Yves Merci beaucoup à toi.

1:10:54

Alexis Au plaisir de suivre tes prochains livres, tes prochaines propositions, les prochains numéros de Multitudes. Merci.

1:10:59

Yves Et les prochains épisodes de ton podcast. Merci beaucoup. Merci Alexis. À une prochaine.

1:11:04

Alexis Salut.

1:11:04

Music Musique

1:11:13

Alexis J'espère que cet épisode vous a plu. Grâce à ces partages d'écoute et de réflexion, de discussions authentiques, de doutes, de contradictions, et de joie simple du quotidien, j'espère vous donner envie de mener votre propre enquête pour construire collectivement une alternative aux exploitations en tout genre.

1:11:28

Music Musique

1:11:42

Alexis Je remercie Emeric Priolon pour notre amitié de plus de 40 ans qui réalise l'habillage et le montage sonore de ce podcast, Ingrid de Saint-Aubin pour son aide sur l'habillage visuel, Barbara Nicoloso, directrice de Virage Énergie pour sa commande sur la sobriété qui m'a mis le pied à l'étrier, Alexandre Monnin et toute la communauté de la redirection écologique pour leur soutien et leur enthousiasme. Et bien sûr, mes invités, sans qui ces épisodes n'existeraient pas.

1:12:06

Music Musique