E12 Virage Sobriété avec Barbara Nicoloso
Ep. 12

E12 Virage Sobriété avec Barbara Nicoloso

Episode description

Je reçois Barbara Nicoloso, directrice de l’association Virage Energie qui copilote le Réseau Sobriété avec le Cler Réseau. On échange sur la recherche exploratoire que j’ai pu réaliser avec Barbara et Ingrid de Sain-Aubin sur des représentations justes de la sobriété. On échange également sur le projet Infrafuturs sur le futur des réseaux électriques et les paysages de la sobriété, en particulier sur la question des communs énergétiques développés dans le Petit manuel de démocratie énergétique. Enfin, Barbara nous partage son travail sur les différences genrées en matière de sobriété, ou comment être vigilant à ne pas augmenter les inégalités de genre par des politiques de sobriété, en partenariat avec la Green European Fondation, et à paraître dans son prochain livre Gender Power.

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Speaker1 Bonjour je suis Alexis Nicolas, dans ce podcastla sobriété, c'est pas gagné. Et oui, l'attrait pour la démesure affecte avant tout les personnes privilégiées. Épisode après épisode, théorique ou pratique, je mène l'enquête avec mes invités. Bonne écoute !

0:47

Music

0:56

Speaker1 Salut Barbara !

0:57

Speaker0 Salut Alexis !

0:59

Speaker1 Barbara, tu es directrice de l'association Virage Énergie et tu m'as mis le pied à l'étrier dans les prémices de ce podcast. Je suis ravi d'enregistrer cet épisode avec toi.

1:08

Speaker0 Merci de l'invitation.

1:10

Speaker1 Qui es-tu Barbara et que fait l'association Virage Énergie ?

1:14

Speaker0 Alors je suis directrice de Virage Énergie, qui est une association qui va fêter l'an prochain en 2026 ses 20 ans. C'est une association qui travaille sur la transition énergétique à l'échelle des collectivités locales. Donc on s'intéresse à la façon dont on doit faire évoluer notre façon de consommer et de produire de l'énergie pour répondre notamment à l'urgence climatique, mais aussi à l'accondissement des inégalités sociales. Et donc pour ce faire, on fait beaucoup de choses. On fait de la recherche-action, on fait de la formation, de la sensibilisation. On explore en fait ce sujet de l'énergie par les sciences humaines et sociales. Donc on va beaucoup s'intéresser à la façon dont la politique, l'économie, mais aussi la sociologie ou la culture, les imaginaires, les récits peuvent faire évoluer notre rapport à l'énergie.

2:01

Speaker1 Ok, et du coup, dans cette raison d'être-là de Virage Énergie, j'ai fait mon stage de master sur le thème de la sobriété, plus particulièrement. C'est ça qui a été les prémices de ce podcast. Donc, quelle était ton attente pour ce stage et comment avais-tu connu la redirection écologique, en tout cas le master auquel j'ai participé ?

2:18

Speaker0 Oui, c'est donc une idée de stage qu'on a coporté avec le Réseau Cler, qui est un grand réseau national d'acteurs de la transition énergétique, avec qui on coanime depuis 2023 le réseau sobriété, qui est un réseau de professionnels autour des sujets de la sobriété, donc aussi bien sobriété énergétique, hydrique, foncière, enfin vraiment l'ensemble des sobriétés, qui est un réseau qui est soutenu par l'ADEME. Et ça fait plusieurs années qu'on constate les difficultés que rencontrent un certain nombre d'acteurs de la transition, que ce soit des institutions publiques, des associations, des collectivités locales ou des entreprises, à parler de la sobriété et surtout à la représenter. Donner à voir finalement en négatif quelque chose qu'on ne fait pas, ce qui est extrêmement compliqué à la fois dans des éléments de langage, mais aussi dans des représentations graphiques. Et donc, on s'est dit que ça pourrait être intéressant de proposer ça à des étudiants en design, et en particulier en design de l'anthropocène. Et il se trouve que ça fait plusieurs années que je suis lectrice des travaux d'Alexandre Monnin, que j'ai croisé par ailleurs via la fabrique des bizurcations énergétiques. Et donc, quand Alexandre m'a dit qu'il y avait possibilité de faire travailler certains de ses étudiants sur un certain nombre de sujets de la redirection et notamment la sobriété, on a sauté sur l'occasion pour te proposer ce sujet de mémoire.

3:40

Speaker1 Ok, donc oui, pour mettre un petit peu de contexte, donc ce fameux master, c'était le master stratégie et design pour l'anthropocène. Je dis c'était puisque cette année, il n'a pas eu lieu, en tout cas, et dont le directeur était Alexandre Monnin. Alexandre Monnin qui a co-initié avec ses collègues Emmanuel Bonnet et Diego Landivar le mouvement de la redirection écologique, notamment à travers le livre « Héritage et fermeture pour une écologie du démantèlement ». Et donc, je comprends que tu avais croisé. Tu as parlé aussi du réseau sobriété, qui faisait partie de l'initiative, en tout cas du réseau cler. Le réseau de la sobriété, c'est combien d'acteurs, combien de membres dans ce réseau et est-ce que tu as une idée de leur motivation à rejoindre ce réseau ?

4:16

Speaker0 Ouais, début 2025, on est un peu plus de 250 membres. Donc, c'est des personnes individuelles, mais qui sont là à titre professionnel, même si leurs structures ne sont pas, à proprement parler, adhérentes du réseau. C'est vraiment des individus. Donc, c'est un réseau qui est ouvert à tous, qui est gratuit. Et l'objectif, c'est de collectivement monter en compétence sur les sujets de la sobriété, tout en documentant ce qui est en train de se faire aujourd'hui en France. Donc, vraiment, en partant des territoires, parce qu'on est convaincus qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de choses qui se font dans les villes, les intercommunalités, les régions, et puis aussi à l'échelle d'associations ou d'entreprises. Donc, de vraiment donner à voir ce qui est en train de se faire par la production de petites fiches retour d'expérience ou l'organisation de webinaires. Et l'idée, donc, c'est de proposer vraiment ce volet formation, sensibilisation et puis peut-être à terme coproduction de connaissances autour des sujets de la sobriété.

5:11

Speaker1 Tout ça, donc, mis en réseau, partagé, j'ai participé à un webinaire. Donc, notamment, il y a des webinaires qui réunissent les membres et des productions, effectivement, qui sont mises en commun, partagées pour alimenter le réseau Sobriété.

5:23

Speaker0 Oui, c'est ça. Et tout est disponible en ligne. Enfin, l'idée, comme c'est un réseau qui est financé par l'Agence nationale de la transition écologique, l'ADEME, c'est vraiment d'en faire aussi un outil très largement diffusé, appropriable par chacun, chacune. Parce qu'on estime aussi qu'aujourd'hui, en termes de transition énergétique, il y a une urgence, plus que jamais. Mais surtout que par rapport au sujet de développement des énergies renouvelables ou de mise en place de technologies plus efficientes en matière énergétique, la sobriété, donc les changements de comportement individuels et collectifs, reste le parent pauvre. Donc il y a vraiment cet enjeu à outiller, apporter de la méthodologie, apporter de la connaissance à l'ensemble des acteurs qui aujourd'hui en France, qu'ils soient publics ou privés d'ailleurs, travaillent sur ces questions de réduction des consommations de ressources naturelles.

6:10

Speaker1 Et l'origine du stage que tu as lancé, qui a fait que j'ai mené ces travaux-là, c'était donc cette pauvreté sur les questions des représentations de la sobriété. Et donc, on a lancé le travail. Au début, assez vite, je me suis rendu compte que tes attentes étaient de l'ordre graphique et de représentation. Et moi, je n'avais pas les compétences. Donc très vite, c'est super chouette, on a Ingrid de Saint-Aubin qui nous a rejoints en stage pour travailler à trois sur cette thématique. Donc c'est un travail qui a duré quelques mois, huit mois de tête. Dans ce travail-là, parce que toi, t'en connaissais quand même beaucoup sur la sobriété. Moi, je faisais ce master sur la redirection écologique. Qu'est-ce que t'as apprécié ? Qu'est-ce que t'as appris ? Vers quoi ça t'a amené comme connaissance ou comme vigilance ou comme apport, ce travail qu'on a fait tous les trois ?

6:55

Speaker0 Déjà, c'est un travail qui est une recherche exploratoire. L'idée, c'est vraiment pas de se dire qu'à l'issue des rapports, des restitutions qui ont pu être faites, on a épuisé le sujet de la représentation des sobriétés. Il y avait deux volets. Il y avait un volet représentation graphique qui a été porté par Ingrid, qui était étudiante à CY en design, qui a vraiment fait un travail assez colossal d'aller voir dans l'iconographie, dans l'histoire de l'art, la façon dont cette sobriété a pu être représentée et comment aujourd'hui on pourrait représenter cette sobriété de la manière la plus fidèle possible, en donnant à voir vraiment ce qu'elle peut produire. Notamment en termes de co-bénéfices, comme de la convivialité, de la solidarité, et puis également une amélioration de la qualité environnementale. Donc il y a quelque chose qui n'est pas évident, parce qu'on tombe très rapidement dans des clichés autour des représentations écologiques, notamment, je sais qu'Ingrid a...

7:51

Speaker1 Par exemple ?

7:52

Speaker0 Par exemple, l'utilisation de la couleur du vert. Avec Ingrid, on s'est régalé à lire un livre de Michel Pastoureau, qui est historien spécialiste des couleurs. Alors, il a fait des livres sur toutes les couleurs, mais le livre sur le vert nous a particulièrement intéressé. De savoir comment, voilà, aujourd'hui, on se retrouve avec des iconographies très vertes, mais aussi très enfantines, quand on parle de questions environnementales, alors que le sujet est particulièrement grave. Et pour ce qui est de la commande, donc, on a davantage passé. C'était plutôt dans l'histoire des idées, dans l'histoire des mots qu'on utilise. Et notamment depuis tout le monde des années 2020 et encore plus depuis le début de la guerre en Ukraine et la crise énergétique de 2022, comment ce terme de sobriété trouve aujourd'hui une résonance, que ce soit dans les milieux économiques, militants ou politiques, et comment son sens a pu évoluer. Et ça, c'était particulièrement intéressant parce qu'on s'est rendu compte que c'était une notion qui avait beaucoup évolué, qu'en fonction des interlocuteurs, on mettait pas du tout la même connotation derrière ce terme-là et qu'aujourd'hui, forcément, ça avait un impact aussi dans la communication institutionnelle d'un certain nombre de grands acteurs. On peut penser à l'ADEME et aussi à un certain nombre de ministères, de regroupements d'entreprises et puis même d'associations, virages d'énergie en premier lieu, de venir questionner l'utilisation de ce mot, ce que ça veut dire, à quoi ça renvoie et quels imaginaires aussi et récits on peut accoler à ce terme, que ce soit des récits, des imaginaires, très positifs ou très négatifs parce que c'est ça aussi la particularité de ce terme-là c'est qu'il vient embarquer en fonction d'interlocuteur et du spectateur un imaginaire qui ne va pas du tout être le même.

9:34

Speaker1 Et en plus, effectivement, il a évolué, c'est pas le même en fonction des acteurs, et en plus, dans tout ça, tu le mentionnais, avec la guerre en Ukraine et le plan de sobriété lancé par le gouvernement, il y a eu aussi une forme d'institutionnalisation qui a mis sur le devant de la scène ce terme sobriété, sans nécessairement qu'il soit particulièrement traité de façon juste et précise par rapport à des travaux scientifiques. Et c'est vrai que ça a pu provoquer des distorsions jusqu'à même avoir, je me souviens dans les enquêtes auprès de certains membres du réseau sobriété, un certain malaise ou inconfort par rapport aux termes de sobriété, notamment par rapport à certains publics, en précarité en particulier.

10:11

Speaker0 Oui, tout à fait. Ce qui est intéressant, c'est que dans le travail que tu as pu produire, il y a eu à la fois un travail documentaire de recherche. Tu t'es appuyé sur un certain nombre de documents qui avaient pu être produits, je pense notamment aux campagnes du ministère de la Transition autour de la sobriété, mais c'est aussi un travail d'enquête de terrain auprès des membres du réseau sobriété, donc à la fois des gens qui travaillent en collectivité dans des assos des entreprises, et de constater qu'en fonction des personnes, le terme est totalement rejeté ou totalement approprié, qu'on n'y met pas la même chose derrière, qu'il peut y avoir de la confusion entre sobriété et précarité, entre la sobriété et l'efficacité, et que finalement, tout ça, ça peut générer de la confusion et ça peut empêcher un changement de comportement vers des pratiques qui soient moins consommatrices de ressources naturelles. Et c'est particulièrement intéressant, je pense aussi, dans une réflexion plus globale sur la redirection écologique, de voir à quel point des termes, vraiment la langue, des mots, peuvent être des freins au passage à l'acte.

11:13

Speaker1 Donc là, on arrive dans l'espace des imaginaires ou des récits ? Où est-ce que tu en es aujourd'hui, potentiellement dans des récits désirables ou des imaginaires désirables de sobriété ? Quelles sont les inspirations que tu vois émerger, intéressantes, à amplifier ?

11:28

Speaker0 Moi, j'ai de plus en plus de mal avec ce terme de désirabilité. C'est-à-dire qu'on vit quand même dans un monde aujourd'hui qui est assez peu désirable et que le dépassement des limites planétaires qui est en cours va faire que ça ne va pas forcément s'arranger. Par contre, moi, ce que je trouve intéressant, c'est de donner à voir ce que produit la sobriété. Et c'est plutôt ça, en fait, qui est désirable, c'est-à-dire qu'une amélioration de la qualité de l'environnement, de la qualité de vie, je pense que pour une grande partie des êtres humains, c'est quelque chose vers lequel on a envie d'aller. Donc, c'est vrai, l'injonction à tout rendre forcément désirable pour que ça justifie sa mise en place, c'est quelque chose sur lequel aujourd'hui je réfléchis pas mal. Et concrètement, sur la documentation de ce qu'est la sobriété, dans les mois qui viennent, on va s'intéresser, par exemple, au paysage. Donc concrètement, dans l'aménagement du territoire, dans l'urbanisme, à quoi ça ressemble un paysage de la sobriété, en le mettant en miroir avec les paysages de l'ébriété ? Et c'est la parade qu'on trouve à Virage Énergie pour travailler sur ce sujet. C'est de se dire qu'avant de parler de sobriété, peut-être parlons d'ébriété, de tout ce qui aujourd'hui, que ce soit dans nos paysages, mais aussi dans nos comportements, dans nos organisations collectives, témoignent d'une surabondance de ressources et de conséquences, qu'elles soient environnementales, mais aussi économiques ou même physiques, sur le vivant de cette ébriété, et encore au l'air de montrer ce que la sobriété peut générer et en quoi elle peut être plus enviable que cette ébriété. Et c'est en ça qu'avec le paysage, ça nous intéresse de venir aussi documenter comment l'avènement de la société de consommation, qui est aussi l'ère du béton, l'ère du pétrole, est venu construire un monde qui, aujourd'hui, nous paraît avoir été là depuis toujours, alors que pas du tout, et que ce pétrole est venu façonner des territoires, des modes de vie qu'il nous faut aujourd'hui dépasser.

13:21

Speaker1 Mais du coup, quand tu parles de paysages, de sobriété ou d'ébriété, c'est sous forme de reportages, de photos, de dessins ?

13:27

Speaker0 Un peu tout ça. Ça va être un petit peu tout ça, puisque c'est un travail qu'on va mener. Notamment en compagnonnage avec le collectif Paysages de l'aprèspétrole, donc un collectif de paysagistes, urbanistes, architectes mais aussi il y a des sociologues, des philosophes et puis des personnes qui ont plutôt des profils de terrain associatif sur ce que ça voudrait dire de vivre dans des territoires post-pétrole donc de venir décrypter la façon dont les énergies fossiles ont façonné nos paysages et Virage Énergie étant situé dans le nord de la France nous on a un très beau témoignage de la façon dont le charbon à façonner les paysages des bassins miniers. Et l'idée, c'est de venir interroger, je pense, déjà par une approche historique de l'histoire de l'aménagement. On pourrait prendre l'exemple du développement de la voiture individuelle, qui est aussi le corollaire du rêve pavillonnaire. L'impact aussi, par exemple, du remembrement sur les paysages agricoles. Comment ce remembrement est directement lié à la mécanisation aussi de l'agriculture permise par le pétrole. Voilà, donc c'est quelques intuitions qu'on a comme ça pour essayer. Alors, pas vraiment de définir ce que serait un paysage de sobriété, mais au moins de donner à voir la façon dont cette énergie qui nous semble infinie et invisible est finalement extrêmement présente et va venir déterminer aussi bien nos modes de vie que la façon dont les territoires sur lesquels on évolue se présentent. Et ça, ça nous paraît intéressant de passer sur cette approche sensible, parce qu'on voit bien qu'aujourd'hui, utiliser des mots ou utiliser des chiffres, ça ne fonctionne pas.

15:07

Speaker1 OK. Et un projet de recherche que Virage Energie a lancé en partenariat avec Fanny Lopez, l'infrafutur transition infrastructurelle, donc sur la question de fictionner les architectures réseau, est-ce que c'est en lien ou est-ce que c'est deux projets séparés, le projet que tu viens de nous dire ?

15:21

Speaker0 Alors non, c'est deux projets séparés, mais ça a la même philosophie. Donc, le projet Infra-Futur, tout comme le projet sur les paysages de la sobriété, sont deux projets de recherche qui sont impulsés par l'ADEME. Donc, ils s'intéressent aussi à ces sujets-là. Donc, le projet Infra-Futur se développe dans le cadre d'un appel à projets de recherche sur la transition écologique, économique, sociale. Donc, l'idée, c'est vraiment de venir documenter par les sciences humaines et sociales la façon dont la transition écologique, d'une manière générale, Et dans notre cas précis, la transition énergétique se met en place. Et donc, on est dans un groupement de recherche. Donc, on a Fanny Lopez, qui est historienne des infrastructures énergétiques, enseignante à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Malaké. On a également Caroline Galèze, qui elle est économiste et sociologue à l'université Gustave-Effel, qui travaille vraiment sur l'approche transition écologique à l'échelle des territoires. Et puis virage énergie, ainsi qu'Alice Carabédian, qui est philosophe spécialiste de la science-fiction, pour essayer, par le récit, par les transformations des imaginaires, d'imaginer justement comment des sociétés dans lesquelles on consommerait moins d'énergie pourraient faire évoluer leurs infrastructures énergétiques et en l'occurrence leurs réseaux électriques. Donc c'est un travail de recherche qui est à la croisée du génie électrique, puisque l'idée c'est de voir aussi comment techniquement ça peut tenir de l'aménagement du territoire, mais aussi de la littérature, de la philosophie, puisque l'idée, c'est de projeter des récits fictionnés, donc à la fois avec de l'écriture d'histoire. L'écriture de personnages, d'évolution de mode de vie sur des territoires, et puis aussi l'architecture, puisqu'il y aura tout un volet graphique. Et donc tout ça, ça se situe sur deux territoires, en centre-Bretagne, donc dans la communauté de communes du centre-ouest Bretagne, autour de la petite ville de Mélionnec, et puis également dans le Briançonnais où l'idée c'est d'aller voir aussi bien côté breton que côté Haute-Alpes, comment en se situant au bout du réseau national, on appréhende ces questions de transition parce qu'il y a quand même une particularité c'est qu'on est sur des territoires où les infrastructures de production énergétique, et notamment les très très grandes, très structurantes, les centrales nucléaires ne sont pas présentes et qu'est-ce que ça veut dire d'être en lisière de réseau et est-ce que ça change quelque chose sur le rapport à l'énergie.

17:39

Speaker1 C'est super intéressant parce que du coup, c'est aussi aller regarder le réseau par ses marges, par ses bouts. Je n'avais pas du tout perçu ça. Et de voir ce que ça veut dire, en prenant l'hypothèse que des paysages sobres ou des infrastructures sobres énergétiquement, peut-être seraient plus décentralisés, donc ressembleraient davantage à leur bordure et à leur extrémité. Je n'avais pas du tout perçu ça et je trouve ça super intéressant. Et ça me fait penser du coup que dans le livre de Fanny Lopez, A bout de flux, elle pose l'idée l'idée d'archipel, d'explorer davantage l'idée d'archipelisation des réseaux électriques. Et donc de les distinguer plutôt que d'être organisés sous la forme d'un gros système très centralisé, de passer dans une production locale first, enfin locale en premier, et le central ou les grosses infrastructures en secondaire, en cas de secours si nécessaire. Et je trouve cette idée assez intéressante. Est-ce que c'est ça aussi qui va être mis en lumière ?

18:31

Speaker0 Oui, exactement. Il y a un volet du projet sur lequel va particulièrement impliquer le virage énergie, qui pose davantage sur les politiques publiques, les modes de gouvernance. Et on interroge aussi le modèle du municipalisme électrique. Donc l'idée, c'est de se dire qu'aujourd'hui, on a quelques grands opérateurs de réseau à l'échelle nationale, quelques grands fournisseurs, mais que demain, avec le développement des énergies renouvelables, on aurait peut-être davantage de communautés énergétiques. Donc vraiment des citoyens qui reprennent en main leur mode de production et qui interrogent aussi leur mode de consommation. Et que tout ça, ça va recréer des petites communautés, des petites sociétés autour de cette question énergétique qui, de fait, est davantage démocratisée puisqu'on comprend bien le lien entre production et consommation sur des territoires et vraiment très, très localisé. Et ce qui est intéressant, notamment dans le cadre du Centre-Bretagne, c'est la confrontation de plus en plus importante du fait du dérèglement climatique à des tempêtes. Notamment, hiver 2022, la tempête Yarane, pendant trois semaines, le centre-Bretagne n'a quasiment pas d'électricité. Donc, qu'est-ce que ça génère aussi derrière en termes de solidarité ? Comment on pense l'imaginaire de la coupure énergétique, qui est quelque chose qui est, peut-être pas quotidien, mais en tout cas assez régulier dans des territoires ruraux comme en centre-Bretagne, là où quand on vit dans des grandes métropoles, ça paraît très anecdotique, les coupures d'énergie ? Et donc, comment on peut réfléchir aussi cette relocalisation de la production et comment on fait de cette énergie un bien commun partagé, avec derrière aussi cet enjeu de la justice sociale, du prix de l'énergie et de comment on fait pour satisfaire les besoins de chacun, tout en étant dans un respect des limites planétaires et une adaptation au changement climatique.

20:15

Speaker1 Et ça me fait penser, parce qu'à une toute petite échelle, et de ma condition de privilégié, j'ai pu investir sur des panneaux solaires, sur des batteries, et partiellement me déconnecter du réseau. Mais justement, j'ai trouvé assez sain de ne pas chercher une autonomie énergétique à mon échelle, parce que sinon ça nécessite de surdimensionner panneaux solaires, batteries, générateurs de puissance. Et du coup, je trouve que c'était un petit peu une sorte de caprice d'enfant gâté, de vouloir se déconnecter complètement des réseaux électriques, et qu'il y a une vraie logique à cet appel de puissance sur le réseau centralisé pour aller, je ne sais pas, faire du chauffage électrique notamment. C'est très difficile de faire ça, en tout cas, sauf à déployer 8 panneaux solaires sur son toit, mais avec 2, 3, 4 panneaux solaires, c'est difficile d'atteindre une autonomie énergétique. Et c'est, je pense, non souhaitable. Et je trouve que ça, ça fait toucher du doigt, c'est ce que tu disais, par déconnexion d'électricité sur certains territoires, mais aussi consommation électrique à certains moments. Notamment sur mon système, par exemple, j'essaye de consommer l'électricité quand il y a du soleil et d'en consommer moins quand il n'y en a pas. Et ça, ça change les pratiques. Alors là, c'est ultra localisé à l'échelle du ménage, mais ça pourrait être mutualisé à l'échelle du village, à l'échelle du quartier ou que sais-je. Et il pourrait y avoir effectivement une sorte de démocratie communautaire qui se mette en place. Et d'ailleurs, du coup, ça fait le lien. Et je ne l'avais pas vu venir, mais j'ai eu le temps de parcourir Petit manuel de démocratie énergétique, auquel tu as contribué, en tout cas, tu as été interviewé à l'intérieur de ce livre, écrit par la COOP des Milieux. Dans ce petit bouquin, tu parles de la commune, je vais très mal la prononcer, désolé, mais Prats de Mollo, et tu vas peut-être le dire mieux que ça. Et tu dis que ça t'intéresse particulièrement, que tu aimerais aller explorer, donc tu ne connais pas forcément en détail tout ce qui s'est passé là-bas, mais que tu aimerais aller explorer. Est-ce que c'est en lien avec tout ce qu'on est en train de se dire là, ou c'est encore quelque chose de différent ?

21:56

Speaker0 Non, non, c'est totalement en lien. Donc Prats de Mollo, qui est une petite commune dans les Pyrénées, qui justement expérimente ce municipalisme électrique. Il y a une société d'économie mixte qui appartient à la fois à la collectivité, mais aussi à des citoyens qui acquit un certain nombre de moyens de production d'énergie renouvelable. Et donc, l'idée, c'est de manière très, très localisée, faire en sorte que la commune puisse produire une électricité qui serve aux habitants de la commune. Et ça, ça fait partie des expérimentations qui sont documentées depuis maintenant quelques années par la Fabrique des Bifurcations Énergétiques. Qui est la même équipe que celle derrière la COOP des Milieux. D'accord. Et donc, le petit manuel de démocratie énergétique et aussi le témoignage de plusieurs années de travail, d'enquête de terrain un petit peu partout en France autour de cette question de l'énergie comme bien commun et de gestion de cette énergie à l'échelle de territoires qui peuvent être très différents. Ça ne va pas se passer de la même manière dans des centres urbains très denses et dans des petites communes en ruralité de montagne. Donc l'idée, c'est bien celle-là, c'est d'interroger le modèle politique qui est derrière la gestion énergétique, d'interroger aussi les comportements, les modes de vie, et de voir comment on peut arriver peut-être par d'autres formes de gouvernance énergétique à rendre nos réseaux plus résilients. Et on voit bien que des grandes coupures, comme on l'a connu il y a quelques semaines en Espagne, au Portugal, sont des choses qui peuvent exister, que ce soit pour des questions techniques, mais aussi parce que l'énergie est un sujet éminemment géopolitique et qu'aujourd'hui, on sait que les réseaux énergétiques sont la cible quasi quotidienne de cyberattaques, venant notamment de la Russie. Et quand on regarde ce qui se passe en Ukraine, on voit aussi que l'énergie est vraiment un sujet qui est le nerf de la guerre. Et donc, c'est aussi ça qui est intéressant derrière ces travaux, c'est de se dire qu'en interrogeant des modèles politiques, des modèles sociaux. Des modèles écologiques, quelque part, on travaille aussi la résilience de territoire, de communauté et qu'on remet aussi au centre du débat la question des besoins. C'est-à-dire qu'on se dit pourquoi on a besoin d'énergie ? Ce qui semble être une évidence, mais aujourd'hui on a quand même de manière assez globale des débats autour de la transition énergétique qui ne portent quasi exclusivement que sur les moyens de production sans qu'on se pose la question de pourquoi on a besoin de construire 12 centrales nucléaires. Et donc c'est ça aussi qui est intéressant dans ces réflexions. C'est vraiment de repartir des besoins et c'est ça qui est au cœur de la sobriété et derrière essayer de mettre en face les moyens de production qui soient les plus renouvelables possibles.

24:26

Speaker1 Et ce que je trouvais très intéressant aussi de mettre sur le centre la question des besoins, la question des productions, à travers un modèle de gouvernance localisé et territorialisé, c'est que je trouve que ça permet de toucher un peu plus du doigt quand on est impliqué en tant que citoyen dans les espaces de production d'énergie et qu'on voit la quantité d'énergie produite et la quantité d'énergie disponible. C'est plus facile d'aller se poser la question des besoins que quand c'est totalement distant, centralisé, et que c'est qu'un chiffre, voire une facture qu'on reçoit une fois tous les deux mois. et en fait, on ne fait même pas très bien le lien entre nos comportements quotidiens versus la facture qu'on reçoit une fois tous les deux mois. Là où un modèle de gouvernance, où on voit les panneaux solaires, où on sait où ils sont situés, où on sait s'il y a eu beaucoup de nuages, pas beaucoup de nuages, etc. Ça permet de rendre, j'ai l'impression, plus acceptable, plus logique, plus appropriable cette remise en question des besoins ou ce questionnement sur les besoins et les consommations énergétiques.

25:18

Speaker0 Clairement, et c'est en ça que ça touche aussi à la question des imaginaires. Je prends le cas de l'électricité, qui apparaît comme par magie dès qu'on appuie sur un interrupteur. En réalité, derrière, c'est toute une matérialité qu'on a totalement oubliée. Et il y a beaucoup de travaux de sociologues, je pense notamment à Lordaubini, qui documentent ça très très bien et qui montrent que quand on est soi-même producteur de son énergie, son rapport à l'énergie est totalement transformé parce qu'on fait plus attention à la météo. L'exemple que tu donnais tout à l'heure, il y a un cycle jour-nuit, il y a des saisons Et donc, c'est un impact très, très concret sur les usages qu'on va pouvoir avoir à l'échelle du domicile. Et plus globalement, ça pose aussi la question de la solidarité territoriale. C'est-à-dire que l'idée, ce n'est pas d'être en autonomie et surtout pas en autarcie énergétique, parce qu'il y a un certain nombre d'équipements qui sont des biens publics. Je pense à des hôpitaux, à des écoles, à des mairies, qui nécessitent aussi qu'on mutualise une partie de l'électricité et de l'énergie qui est produite. Donc, tout de suite. C'est aussi porter cette réflexion sur qu'est-ce qui compte, qu'est-ce qui est un besoin prioritaire qui satisfait les besoins d'une majorité de la population et comment on s'organise. Et là, on est sur des choses qui viennent aussi interroger de manière très, très forte la démocratie locale, la démocratie participative. Et c'est en ça que ça nous intéresse, nous, à Virage Énergie, qui travaillons beaucoup ces questions de sciences politiques, de sociologie à l'échelle locale.

26:45

Speaker1 Peut-être aussi je vois une autre dimension sur la question du soleil ou de la quantité d'énergie disponible si on est en photovoltaïque, sinon c'est en quantité de vent et énergie produite avec l'éolien. Mais quand on est à l'échelle du ménage ou autre, ce que j'ai vu aussi, c'est des anciens voisins qui avaient mis des panneaux solaires, pareil, qui avaient mis des batteries dans une logique de production énergétique locale. Et une autre question qui émerge, c'est aussi la question de la puissance. Parce qu'on n'est pas capable à l'échelle du ménage, sauf à surdimensionner encore une fois, et en batterie et en panneau solaire, le système. Mais sinon, on n'est pas capable d'atteindre des puissances qu'on peut avoir via le réseau assez facilement. Tout à l'heure, je parlais d'un radiateur électrique. Atteindre un 1500 ou 2000 watts, ça demande tout de suite un système électrique assez complexe et assez riche. Et du coup, je trouve que ça permet aussi d'aller questionner et les besoins et le moment auquel on peut leur répondre et la question de la puissance. A-t-on besoin d'un mixeur de 1200 ou 1500 watts pour faire une soupe ? Ou bien peut-on se contenter de 500 watts ou pas ? Le prix à payer, c'est plus de temps. Avec 500 watts, ce sera un peu plus long d'avoir une soupe bien mixée. Mais peut-être que c'est possible. Donc il y a cette question de quand on consomme de l'énergie, mais aussi combien de puissance on consomme. Ça, c'est une question que j'avais vue apparaître chez mes voisins qui avaient fait cette logique d'appropriation énergétique et électrique.

27:56

Speaker0 Oui, c'est sûr que derrière ces expérimentations, il y a des enjeux d'éducation populaire qui sont énormes, des ordres de grandeur. Le commun des mortels n'a pas conscience de la dépendance dans laquelle on s'est mis avec les énergies fossiles et aussi de la quantité d'énergie qui nous est aujourd'hui disponible. Et c'est vrai que là, c'est intéressant parce que ça permet non seulement de reprendre la main politique, économique sur les moyens de production, mais de se rendre compte aussi à quel point on a basculé dans un régime de surabondance où tout nous paraît tout le temps accessible partout. Et que ça, finalement, c'est quelque chose de très récent dans l'histoire de l'humanité. Et que si on veut que ça perdure, il faut qu'on fasse vraiment attention à la protection des ressources et à la façon dont on les utilise.

28:40

Speaker1 Et c'est vrai qu'il y a une vraie opportunité, on en a parlé avec Maxime Privolt dans l'épisode 4 de ce podcast sur la question de l'éducation populaire que tu viens de mentionner et de retrouver une certaine culture technique parce que c'est vrai que par abondance énergétique finalement on a oublié de se poser la question de comment ces objets techniques marchent, de combien d'énergie et de puissance ils ont besoin, pour réaliser quoi, peut-on avoir besoin de moins, voilà, et toute la question de la sobriété elle se trouve là justement. Et c'est comme s'il y avait besoin d'une certaine culture technique pour réussir à détricoter et à comprendre et à questionner ces besoins. Dans un contexte d'abondance et dans un contexte où cette culture technique n'est plus là ou est très invisibilisée. Du coup, c'est d'autant plus difficile d'aller se poser la question des besoins énergétiques et de les remettre en question.

29:23

Speaker0 C'est clair. Nous, on est convaincus que les low-tech, le bricolage, la bidouille, tout ça, c'est des choses qui sont aujourd'hui indispensables au fonctionnement de nos sociétés qui sont devenues ultra high-tech, et qui sont aujourd'hui totalement déconnectées de la matérialité dont je parlais tout à l'heure. C'est-à-dire au-delà de la question de l'énergie, si on pense aux ressources matérielles nécessaires pour produire, que ce ne serait-ce qu'un ordinateur, un téléphone portable et encore plus grand, une ville, on n'a pas intellectuellement les moyens de penser tout ça. Et encore moins parce qu'aujourd'hui, c'est des aspects qui sont totalement sortis des cursus scolaires et qu'on a voulu aussi faire de ces sujets, des sujets d'ingénieurs et des sujets très masculins qui font qu'une partie de la population aujourd'hui se sent dépassée et très éloignée de ça, alors que ça nous concerne vraiment toutes et tous dans notre quotidien.

30:17

Speaker1 Tout à fait. Eh bien, peut-être deux petites questions avant de terminer. La première, sur la question de la sobriété, quelle perspective tu vois sur le sujet de la sobriété, pour la sobriété en France et au-delà, mais un peu à toutes les échelles, à l'échelle territoriale, entreprise nationale, européenne ou autre. Est-ce que comme d'autres personnes, tu considères que ce terme est galvaudé ou pas ? Quel avenir tu lui vois ?

30:41

Speaker0 Aujourd'hui je vois que ce terme est en train de se transformer alors la sobriété n'est pas morte, on a un certain nombre de dirigeants politiques et économiques qui ont bien compris que faire des économies de ressources, des économies d'énergie c'était aussi gagner en compétitivité et en résilience et je trouve qu'aujourd'hui la notion de sobriété est en train de se métamorphoser en notion de souveraineté et même de protection des populations des consommateurs et Et j'ai envie de dire, pourquoi pas, si au final, on arrive effectivement toujours à réduire nos consommations. Ceci étant dit, on assiste quand même depuis quelques mois à une bascule du monde dans une espèce de dystopie ultra technologique, ultra militarisée, qui fait que ces sujets-là passent au second plan. On vit actuellement un backlash assez important sur les questions écologiques. On parle en plus majoritairement de conflits mondialisés, de réarmement. Et tout ça, bien sûr, va à l'encontre d'une vision d'une société de sobriété. Dans lesquels on ferait vivre des notions de convivialité, d'entraide, de juste satisfaction des besoins. Je ne suis pas certaine que la guerre soit un besoin vital. Donc, ça remet à plat pas mal de choses. Et puis, au-delà de ça, il y a quand même aujourd'hui une très grosse inquiétude du côté des collectivités locales, mais aussi des pouvoirs publics d'une manière générale sur les budgets, et de dire que la sobriété, ce n'est pas gratuit. Alors, certes, ça permet de faire des économies financières, mais il faut quand même des gens derrière pour animer tout ça. Et que malheureusement, c'est peut-être un sujet, mais d'une manière générale, les sujets environnementaux qui est en train de passer en second plan. Ceci étant dit, une crise énergétique comme celle qu'on a connue l'hiver 2022 dans un contexte de tensions géopolitiques très fortes, je pense qu'on va être amené à la reconnaître d'ici quelques années, voire même quelques mois. Actuellement, le prix du baril de pétrole est en train de passer en dessous des 60 dollars, donc ça ne nous aide pas et on voit que le règne des fossiles est loin d'être terminé. Mais c'est clair que la sobriété va revenir sur le devant de la scène à un moment donné donc je ne sais pas s'il faut s'en réjouir mais en tout cas il y a une finitude matérielle qui fait qu'on y reviendra donc en attendant on fait un peu le dos rond et puis on continue de travailler, d'accompagner les territoires qui ont envie de continuer sur ces sujets-là et en ayant des élections municipales l'an prochain on verra aussi à quel point ce sujet trouve sa place dans les programmes et dans les politiques qui seront menées dans les mois et les années qui viennent.

33:07

Speaker1 Oui, localement, et c'est vrai que j'entends aussi beaucoup parler de ça d'un point de vue local, municipal, la question des réductions budgétaires à l'échelle des communes, réelles ou pas, je ne sais pas dire, mais en tout cas j'entends les élus de mon territoire craindre ça et anticiper une contraction, une réduction, ce qui pourrait faire glisser doucement la sobriété vers l'austérité, ou en tout cas se rapprocher de plus en plus sobriété et austérité, et ce n'est pas vraiment la sobriété qui m'attire, qui m'inspire, qui m'invite à cheminer. Un monde d'austérité il va avoir tout son lot d'injustice et de souffrance derrière Mais néanmoins, dans tout ça, dans ces espaces-là, pour les collectifs qui s'en saisiraient, il peut y avoir des opportunités de remettre de la justice sociale, de remettre de l'espoir à l'intérieur de ces délabrements ou défaillances qui pourraient arriver.

33:53

Speaker0 Oui, derrière, c'est encore cet enjeu de la démocratie, c'est-à-dire des élus qui font leur politique tout seuls dans leur coin, forcément, ça risque de ne pas fonctionner. Et au-delà de ça, en fait, aujourd'hui, si on projette un scénario de l'inaction, on va de toute façon rentrer dans une forme d'austérité. On a un certain nombre de régimes démocratiques qui sont aussi en train de devenir de plus en plus autoritaires. Donc, voilà, l'idée, c'est pas de se dire « Ben non, on n'a pas envie d'emprunter le chemin de la sobriété parce que ça va être pire que ce qu'on vit aujourd'hui. » Donc, c'est rien du tout. Et au contraire, en fait, qu'est-ce qu'on a à perdre à essayer une sobriété choisie, co-construite de manière démocratique ? Là aussi, on ne va pas vers ça. On sait très bien qu'à un moment donné, on sera davantage dans des politiques de restriction, pourquoi pas aussi de rationnement. Et qu'on subira. Et que tout ça sera subi, oui, tout à fait.

34:42

Speaker1 Juste une petite aparté sur la question du prix du pétrole. Donc, tu disais que le baril de pétrole est redescendu à l'heure où on se parle en dessous des 60 dollars. Et néanmoins, alors je n'ai pas les sources, je n'ai pas le détail, etc. Mais si, c'est Philippe Gauthier, ma source principale sur le sujet. Mais je sais que le Texas, notamment, qui est quand même connu comme étant un État hautement producteur de pétrole, mais aujourd'hui déploie énormément de panneaux solaires et de centrales de batterie pour une raison économique. C'est-à-dire que c'est moins cher de déployer un système électrique à base de panneaux solaires et de batteries que de nouvelles centrales et productions pétrole. Je suis assez stupéfait dans un contexte d'élection de Trump 2, le Texas berceau de la production pétrolière, avec un baril de pétrole mondial en dessous de 60 dollars. Et pour autant, le Texas choisit quand même le photovoltaïque pour l'instant et continue de déployer à vitesse grand V. Qu'est-ce que ça t'inspire ?

35:35

Speaker0 Ça m'inspire qu'aujourd'hui, les États-Unis sont les plus grands producteurs de pétrole au monde, mais ça ne coûte pas du tout la même chose de sortir un baril de pétrole aux États-Unis qu'en Arabie Saoudite. Et c'est finalement les pays de l'OPEP qui décident aujourd'hui de cette baisse importante du baril de pétrole, ce qui n'est pas forcément bon pour l'économie américaine. Et donc, ça peut s'entendre d'un point de vue économique qu'aujourd'hui, les renouvelables soient meilleurs marchés dans le contexte américain que la production de fossiles. Ceci étant dit, on constate quand même que le gouvernement Trump a mis un moratoire sur le développement des éoliennes, et notamment des éoliennes offshore. Il y a aussi un certain nombre de théories plus ou moins avérées, plus ou moins complotistes, comme quoi les panneaux solaires qui seraient vendus dans le monde aujourd'hui par la Chine, qui est le principal producteur, auraient un biais de conception qui permettrait de déconnecter les panneaux.

36:27

Speaker1 Le fameux switch là,

36:29

Speaker0 Qu'on peut déconnecter à distance.

36:30

Speaker1 Exactement, le fameux switch.

36:31

Speaker0 Voilà, des choses comme ça aussi qui circulent. Et puis, au-delà de ça, on a aussi de plus en plus de travaux prospectifs qui montrent la finitude d'un certain nombre de matériaux qu'on va retrouver dans les énergies renouvelables. Et voilà, je suis pro énergie renouvelable, il n'y a aucun souci, il faut en développer. Mais si on ne se pose pas la question du besoin, à un moment donné, on risque de retomber aussi dans cette surabondance d'équipements matériels, avec des coûts derrière environnementaux et sociaux loin d'être négligeables. Parce que la plupart des matériaux qu'on retrouve dans les composants électroniques, également les cellules qui composent ces appareils-là, bien sûr, ça relève de l'extractivisme. On ne fait pas de l'extractivisme avec des panneaux solaires, il faut des énergies fossiles. Et donc, on ne sort pas du modèle dans lequel on est. Et c'est en ça que ce n'est pas qu'une question de moyens de production. On en revient toujours à ça, c'est pourquoi produire.

37:22

Speaker1 Je voulais revenir sur cette question du genre, parce que c'est une autre chose qui m'a interpellé dans l'interview que tu as donnée dans le petit manuel de démocratie énergétique. Le partenariat que tu as avec la Green European Foundation sur les politiques énergétiques au prisme des questions de genre, tu évoques ce projet dans le livre. Où est-ce que ça en est ? Quel est l'objectif de ce projet-là ?

37:40

Speaker0 Oui, alors ça fait à peu près deux ans maintenant qu'on a été sollicité par la Green European Foundation, qui est la fondation européenne de l'écologie politique. Qui a bien identifié qu'au niveau des politiques européennes, il y avait beaucoup de choses qui se faisaient sur les questions de transition écologique, mais qu'on se posait souvent la question de l'impact que ça pouvait avoir sur les populations les plus vulnérables après coup, et en particulier sur les femmes. Puisqu'aujourd'hui, en Europe, mais c'est aussi le cas en France, les femmes font partie des populations les plus précaires parce qu'elles ont un accès plus limité au marché de l'emploi, qu'elles ont accès aussi à des métiers qui sont moins bien payés, davantage à ton partiel. Qu'elles portent de manière très importante des responsabilités familiales qui entravent aussi leur accès au marché du travail. Et de fait, en étant les populations les plus précaires, elles sont aussi les plus impactées par des politiques qui ne seraient pas conçues en ayant une attention particulière au fait de s'inscrire dans une transition juste, donc de ne laisser personne sur le bord de la route et de permettre surtout à des personnes qui aujourd'hui ont des difficultés économiques d'arriver à sortir de ces difficultés-là. Et au-delà de ça, ce qu'a constaté aussi la Green European Foundation, c'est qu'un certain nombre de mouvements politiques identitaires d'extrême droite se saisissent de plus en plus des enjeux de féminisme en posant une vision des choses qui est « Oui, mesdames, on va s'occuper de vous, on va s'occuper de votre sécurité, on va mettre des caméras partout, et puis on va surtout arrêter tous ces méchants migrants qui vous agressent et qui vous violent, pour le dire de manière assez rapide. » Et ça, en fait, c'est aussi extrêmement inquiétant. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a beaucoup d'études sociologiques qui montrent que les femmes peuvent avoir davantage tendance que les hommes à voter pour des partis écologistes, mais qu'elles sont aujourd'hui de plus en plus susceptibles aussi de se tourner pour des questions de sécurité vers des mouvements d'extrême droite. Et donc, l'idée, c'est vraiment d'essayer de documenter la façon dont on pourrait faire en sorte que les politiques de transition écologique contribuent à réduire les inégalités de genre. Je prends un exemple. Une des politiques de sobriété les plus communes qu'on a vues au cours de l'hiver 2022-2023, ça a été l'extinction de l'éclairage public la nuit. Beaucoup de communes se sont dit « on fait des économies d'énergie, on a besoin de faire des économies financières, on éteint ». Sauf qu'on sait très bien que la perception de la nuit n'est pas la même entre les hommes et les femmes, et que ces politiques-là ont pu susciter chez certaines femmes, notamment d'un certain âge, un sentiment d'insécurité dans l'espace public, Et donc, des femmes qui ont arrêté de sortir, qui ont arrêté d'avoir des activités sociales la nuit parce qu'elles ne sont pas en sécurité. Et au-delà des femmes, ça a aussi impacté des piétons, des cyclistes, des publics qui se sont sentis vulnérables du jour au lendemain dans l'espace public. Et donc, ce qui est intéressant, c'est de voir comment on peut trouver un juste milieu et se dire que, oui, c'est bien, il faut mettre en place des politiques d'extinction nocturne. Mais il y a peut-être des endroits qui nécessitent d'être encore illuminés. Il y a peut-être des précautions, de la sensibilisation à faire pour que ça bénéficie de manière la plus juste à l'ensemble de la population. C'est un exemple parmi d'autres, mais ce qu'on voit, c'est qu'aujourd'hui, d'une manière générale, les politiques publiques de transition sont totalement aveugles aux questions de genre. Aujourd'hui, 60% des personnes en situation de précarité en France sont des femmes. Donc, quand on fait des politiques de lutte contre la précarité, c'est des politiques qui sont destinées majoritairement à des femmes. Et pourtant, ça, ce n'est pas du tout intégré dans la façon dont on élabore ces politiques. Souvent parce que les dirigeants politiques sont eux-mêmes des hommes. Donc voilà, il y a un certain nombre de sujets à venir décortiquer. Et puis également de se dire que le rapport à l'énergie n'est pas le même entre les femmes et les hommes parce que la situation économique n'est pas la même. On a pas mal d'études, je pense notamment au Gender Gap Report, qui est un recensement des différences qui peuvent exister aujourd'hui entre les empreintes carbone des hommes et des femmes. Et quand je dis ça, ce n'est pas une généralité, c'est-à-dire que l'idée, ce n'est pas du tout d'essentialiser des hommes très polluants et des femmes très sobres, pas du tout. Mais c'est-à-dire qu'on constate quand même qu'en vivant dans des sociétés patriarcales dans lesquelles on a socialement construit des normes de genre, où on associe la masculinité à la puissance, à la vitesse. Également à un certain succès économique. On a des comportements qui sont majoritairement adoptés par des hommes qui sont beaucoup plus émetteurs en gaz à effet de serre et consommateurs d'énergie que ceux des femmes. Que ce soit le rapport à la voiture, à l'automobile, le rapport aussi à l'alimentation avec des régimes beaucoup plus carnés. Enfin bref, on a plein de choses aujourd'hui qui documentent ça. Et donc si on veut se positionner dans une transition énergétique qui soit juste, Donc vraiment, qu'ils fassent le moins de perdants possible. On ne peut pas ne pas se poser cette question de l'impact sur le genre. Et donc, c'est pour ça qu'on travaille à Virage Énergie sur ces sujets et d'autant plus dans une perspective d'être dans une société de sobriété. L'idée, ce n'est pas de se dire que si demain, on se remet tous à faire notre potager, nos vêtements et à être autonome, ce soit principalement sur les femmes que tout ça repose.

42:42

Speaker1 Et donc, ça va faire l'objet d'un livre, c'est ça ?

42:45

Speaker0 Ça fait l'objet donc déjà d'une note qui a été publiée sur le site de la Green European Foundation et ça va faire l'objet d'un essai qui devrait être publié été 2025 au plus tard à l'automne 2025, qui revient sur ces enjeux. Sachant que par ailleurs, on n'est pas tout seul dans notre coin à réfléchir à ces sujets. Je pense à une sociologue américaine qui s'appelle Cara New Daggett, qui a publié il y a quelques années un petit ouvrage sur la Pétromasculinité. On a beaucoup aussi d'associations féministes qui réfléchissent à la façon dont on peut faire des liens entre le climato-scepticisme, la défense des énergies fossiles et puis également le retour en force des mouvements masculinistes. Et puis au-delà de ça, ça pose une vraie question de l'implication des femmes dans les métiers de l'énergie, dans les communautés énergétiques, et comment ce sujet qui aujourd'hui est présenté comme très technicien, très masculin, on ne va pas se mentir, peut redevenir un vrai sujet de débat public, de démocratie, accessible aux femmes, que ce soit dans la compréhension des enjeux, mais aussi dans les rôles, qu'ils soient politiques ou économiques, au sein du secteur de l'énergie.

43:51

Speaker1 En tout cas, je suis très curieux de lire cet essai puisque ça fait vraiment écho aux questions que je me posais en fin de rapport et de travail que j'ai fait avec Virage Énergie sur la question d'aller à la racine de la sobriété. Et si la sobriété, c'était non pas la remise en question des besoins, mais la remise en question des privilèges. C'était un de mes questionnements d'ouverture qui n'est pas tranché, qui n'est pas fini, qui est à creuser. Et qui est notamment comme ça que je commence chaque épisode de podcast. Dans mon introduction, je me présente en étant homme cis, hétéro. Et je dis que pour moi, la sobriété, ce n'est pas gagné. justement en faisant écho à ces statistiques non pas en m'essentialisant mais bien entendu par rapport aux stats et à la sociabilité que je peux avoir en tant qu'homme dont j'hérite plus ou moins consciemment et que j'ai pu plus ou moins déconstruire ou questionner, etc. Et c'est hyper intéressant ce travail que tu abordes sous la question du genre et pas que, bien entendu, il y en aurait d'autres à intégrer de privilèges à l'aune de la sobriété.

44:41

Speaker0 Bien sûr.

44:42

Speaker1 Merci beaucoup Barbara, à la fois pour les mois écoulés ensemble à travailler, à dépiauter, à relire, à interroger, à se challenger. Merci aussi à Ingrid. À l'occasion, je l'inviterai aussi pour discuter et échanger. Et puis, hâte de lire ce prochain livre. Tu as un titre, d'ailleurs, pour ce livre ?

45:01

Speaker0 Gender Power.

45:02

Speaker1 Gender Power, of course.

45:05

Speaker0 Voilà, il y a le sens power, puissance, à la fois politique et électrique, énergétique qu'on a en anglais, qu'on retrouve un peu moins en français. Oui, il sera disponible en français en anglais. L'idée, c'est qu'il soit largement diffusé au niveau européen, puisque la Green European Foundation est une fondation européenne. Donc, il sera disponible en téléchargement libre sur Internet, puisque financé par l'argent public européen et donc non commercialisable. Et c'est très bien, parce que ça diffuse les idées.

45:31

Speaker1 Excellent. Merci encore, Barbara.

45:33

Speaker0 Merci beaucoup, Alexis.

45:34

Music

45:43

Speaker1 J'espère que cet épisode vous a plu. Grâce à ces partages d'écoutes et de réflexions, de discussions authentiques, de doutes, de contradictions et de joies simples du quotidien, j'espère vous donner envie de mener votre propre enquête pour construire collectivement une alternative aux exploitations en tout genre.

45:58

Music

46:12

Speaker1 Je remercie Emeric Priolon pour notre amitié de plus de 40 ans qui réalise l'habillage et le montage sonore de ce podcast, Ingrid de Saint-Aubin pour son aide sur l'habillage visuel, Barbara Nicoloso, directrice de Virage Énergie pour sa commande de la