Bonjour, je suis Alexis Nicolas. Dans ce podcast, je vous propose de partir avec moi en quête de
sobriété, pour en finir avec la démesure de notre époque et pour vivre dès maintenant dans
le futur. Mais en tant qu'ingénieur, salarié, homme, blanc, cis, hétéro, la sobriété, ben c'est pas
gagné. Et oui, l'attrait pour la démesure affecte avant tout les personnes privilégiées. Épisode
après épisode, théorique ou pratique, je mène l'enquête avec mes invités. Bonne écoute.
Bonjour à vous. Dans ce sixième épisode, je reçois Violetta Ramirez, qui est anthropologue
et réalisatrice de documentaires. Violetta travaille sur la sobriété et la transition énergétique en
France. Elle a réalisé le documentaire Les Nouveaux Modernes, qui suit des personnes engagées dans
des pratiques de sobriété du quotidien. Nous enquêtons ensemble sur ce que pourraient être
ces nouvelles modernités, bien que le terme recouvre une dimension ironique que je n'avais
pas saisie avant notre échange. Nous parlons des questions de mesures et de comptabilité
environnementale, d'adaptation à son milieu, de besoins de cohérence, ainsi que de la quantité
de pièges et de paradoxes qui jonchent nos enquêtes de sobriété. Je m'excuse pour la qualité de l'enregistrement
de la voix de Violetta. Malgré des améliorations au montage, le son est loin d'être parfait.
D'ailleurs, saurez-vous détecter à quel moment l'ordinateur de Violetta a déclenché
son ventilateur ? Si vous trouvez, et si vous voulez me partager vos réflexions, vous pouvez
m'envoyer un email à enquête de sobriété, sans accent et avec un tiret à la place des
espaces, arrobase.pm.me. Bonne écoute !
Salut Violetta !
Salut Alexis !
Nous sommes rencontrés autour d'une table ronde organisée par l'Observatoire de l'Immobilier
Durable le 3 juillet dernier, c'est assez frais. Peux-tu te présenter aux éditeurs
et auditrices ?
Oui, alors je suis Violetta Ramirez, je suis anthropologue, j'ai commencé des études
à l'anthropologie à l'Université de Buenos Aires, je suis argentine. Ça fait 14 ans
que j'invite en France et ici j'ai fait un doctorat en anthropologie visuelle filmique
et j'ai travaillé depuis le doctorat sur des questions de sobriété énergétique et ensuite
j'ai abordé aussi des questions de transition énergétique et actuellement je travaille
sur un peu tous ces sujets mélangés.
Ok, je fais une petite aparté mais j'échangeais hier avec Nathan Benkemoun que j'ai reçu dans
l'épisode 3 et il me disait que vous connaissiez, ça fait des connexions et c'est assez amusant,
on se disait que le monde de la sobriété était un petit monde. Dans le générique du podcast
je pose l'hypothèse que l'attrait pour la démesure affecte avant tout les personnes
privilégiées. Que penses-tu de cette hypothèse et en quoi tu te sens ou tu es concernée ?
Alors oui et non, j'ai aussi constaté que l'attrait pour la mesure intéressait les
personnes privilégiées. Pendant mon enquête doctorale, j'avais justement travaillé sur
un groupe de personnes qui étaient des classes supérieures diplômées et c'est ces personnes-là
qui portaient plus fortement le message de la sobriété, la défense de ces valeurs-là,
etc. Donc moi aussi j'ai vu qu'en fait c'est après avoir vécu dans ces privilèges-là
qu'on peut se permettre aussi de se poser la question de la mesure et de la limitation.
Je ne sais pas si c'était l'essence de ta question.
Si, mais en tout cas c'est intéressant parce qu'on dit un petit peu la même chose dans
le sens où finalement les privilèges, pour les personnes qui ont des privilèges, permettent
en fait finalement de la mesure et d'aller vers de la sobriété. Donc ça me paraît cohérent,
si ce n'est que la démesure d'aller avant cette prise de conscience, avant cette mise en
mouvement. Finalement on pourrait presque dire, puisqu'on va aborder après ton film ethnographique,
le documentaire que tu as réalisé sur les nouveaux modernes. On pourrait presque imaginer,
puisque tu me dis que ce sont des personnes plutôt aisées de classe supérieure que tu
as suivies. Mais ça c'était après leur prise de conscience et avant leur prise de
conscience, elles étaient potentiellement plus affectées par la démesure que d'autres
personnes qui auraient moins de moyens, qui seraient moins privilégiées. Donc j'ai
l'impression qu'on dit la même chose, sauf que toi tu te places dans le après, après
cette prise de conscience, après la mise en mouvement et elles peuvent se permettre, elles
ont les moyens d'eux. Donc j'ai l'impression que ça se rejoint.
Oui, alors encore un résultat de ma recherche. Il y avait un
peu de parcours de solidité, des trajectoires de solidité. Donc des gens qui avaient, on
va dire, vécu dans la démesure et qu'ils décroissaient. Et des gens qui avaient tout
un parcours assez cohérent d'autolimitation. Donc pas toujours, on doit passer par un pic,
une prise de conscience, un arrêt des centres. Mais il y a des parcours assez cohérents,
des choix sobres, on va dire, tout au long de vie. Sûrement influencés par une socialisation
primaire, des dispositions sociales acquises dans l'enfance ou dans l'éducation.
Est-ce que tu appelles socialisation ? C'est cette éducation, c'est les amis, les échanges ?
Les valeurs transmises par les parents, etc. Là, on touche à vraiment tout l'enjeu
de la solidité. C'est son accessibilité. Et du coup, on sait très bien que l'idéal
de la solidité, il n'est pas forcément désiré par les classes populaires qui connaissent
déjà des pratiques sobres, mais par contraintes économiques. Et du coup, c'est difficile
de transformer cet idéal en inaspiration pour les gens pauvres. Et j'ai très bien
compris ça lors que j'ai projeté mon film en Argentine. Et j'ai montré ces pratiques
des solidités techniques qu'on voit dans mon film à des populations. Bon, je n'ai pas
montré ça à des populations pauvres, mais au sein d'un festival de cinéma. Donc, il y a
déjà un public assez aisé pour la population de Buenos Aires. Et les retours que j'avais
du public, c'était oui, nous, on fait ça et on ne se sent pas démarqués ou avant-gardistes
ou dans une culture alternative. On fait comme on peut, on fait avec peu parce qu'on fait
comme on peut, en fait.
C'est très intéressant parce que ça rejoint typiquement le premier épisode qu'on a
fait avec Fanny Hugues qui avait enquêté auprès de personnes précaires en ruralité et justement
qui n'utilisent absolument pas le terme sobriété. Même, ils ne se revendiquent pas écolo,
je crois que c'est aussi ces termes, parce qu'en fait, ils sont dans des pratiques
effectivement qu'on pourrait qualifier de sobres. Mais elle, elle va utiliser plutôt
le terme de débrouille parce que c'est le mot utilisé par ces enquêtés, mais qui
en sont fiers, tu vois, qui ne le subissent pas, qui sont contents de ces pratiques, qui
sont contentes et qui se satisfont de ces pratiques de débrouille. Et au final, ça
pourrait rejoindre ces logiques de sobriété, mais sans relever de la sobriété
parce que la sobriété semble plutôt être accessible, désirable potentiellement, mais
par certaines classes de la population. Et c'est pour ça que j'insiste sur cette
question-là des personnes privilégiées qui ont le plus d'attrait pour la démesure
et donc qui sont plus susceptibles de s'emparer de ces termes de sobriété parce que je
pense que ça peut être un gros risque que des personnes privilégiées qui auraient
fait le chemin d'aller vers la sobriété commencent à le prôner à tout va sur une revendication
morale un petit peu auprès de tous et toutes, sans se rendre compte que ce sont leurs
privilèges qui ont permis aussi d'accéder à cet espace-là et qu'il n'y a pas de
drapeau à acclamer ou de revendication à avoir sur ce terrain-là. En tout cas, c'est
ma proposition et c'est là-dessus où j'aime bien explorer cette question des
privilèges et d'explorer peut-être la sobriété comme étant une remise en question
des privilèges, mais on y reviendra un petit peu plus loin. Donc tu réalises des
films de tes enquêtes ethnographiques, t'en as réalisé plusieurs, et en particulier
peut-être un qui va nous intéresser davantage dans cet épisode, le titre c'est
Les nouveaux modernes, qui relatent la vie de personnes ayant choisi des modes de vie
sobres. La question que j'ai envie de te poser, c'est comment t'es arrivée à
ces sujets-là ? Qu'est-ce qui t'a fait cheminer, aller enquêter et en faire un
film aussi ?
Bon, il y a eu une entrée très pratique dans les sujets. En fait, quand je faisais
mon master en cinéma documentaire, j'ai cherché un sujet d'études et des films,
en fait, parce que la validation du master était par un film. Et à ce moment-là, j'ai
analysé différentes options des sujets. Et parmi ces pistes, il y avait
la rencontre avec un monsieur qui récupérait des invendus du marché de Malakoff, région
parisienne. Il s'assissait d'un économiste que j'avais rencontré par les réseaux de
l'EHECS, de l'École des Hautes Etudes financières sociales, à la retraite. Et il
choisissait de faire son marché dans les poubelles. Il allait à vélo à l'ère de fermeture
du marché. Et il récupérait avec d'autres personnes. Il glanait dans les poubelles du
marché. Et il intervenait juste au milieu, entre la mise dans les poubelles des invendus
par les marchands et la prise des poubelles par les ébouverts.
Et d'ailleurs, on le voit dans les nouveaux modernes. À un moment, c'est bien lui qui est
là.
Effectivement, oui. Donc, j'ai fait sur lui un film qui s'appelle Le Récupérateur,
où on le suit dans ce travail-là. Et il nous explique aussi pourquoi il fait ça. Il
donne à ses actes une justification politique, économique, de lutter contre un système de
surconsommation et de gaspillage. Et le rencontrant en écoutant son discours, en voyant ses gestes,
ses pratiques au quotidien. Parce que ça, c'était l'acte le plus visible. Mais chez lui,
c'était pareil. Il faisait la récup pour absolument tout. Il restait jusqu'à 20h sans allumer ses
lumières.
Ah oui, donc c'était poussé comme pratique.
Oui, c'était très poussé. Et du coup, la rencontre avec lui, ça m'a ouvert à déjà
cet intérêt par les gestes du quotidien. Tu peux passer à côté des gens qui font des
choses de ce type-là sans les savoir. Parce que lui, tu le vois passer à vélo, tu ne te
dis pas qu'il va aller chercher des invendus. Ensuite, en plus, il faisait toute une chaîne
de redistribution parce qu'il a récupéré beaucoup trop. Donc, il livrait à des personnes
de son entourage les consommables.
Oui, et cette séquence-là, on le voit dans les nouveaux modernes. Et j'aime bien parce
que ça donne à voir cette dimension sociale et solidaire, ou de partage en tout cas,
qu'il y a derrière ces pratiques de glanage, d'aller récolter, ramasser les invendus
et qu'ils pourraient partir à la poubelle. J'aime bien cette dimension-là.
Oui, parce qu'à travers ces cas, j'ai compris un peu comment les pratiques, c'est correspondé
aux valeurs. Et du coup, effectivement, cette contestation au quotidien qui fait des actes
de consommation ordinaires, conventionnelles, d'aller au supermarché, aller au marché
et payer, etc., ça correspond, ça met à un acte, une morale, mais une idéologie
aussi qui s'oppose aux valeurs dominantes de la société capitaliste moderne qu'on
connaît. Et effectivement, il propose à travers chacun de ses choix économiques un modèle
alternativement. C'est des mots très grands, mais quand il essaye de créer un réseau de
distribution des invendus qui partent donc des objets, des aliments considérés comme
déchets, un circuit économique et qu'il réqualifie un aliment ou objet consommable
et qu'il instaure toute une chaîne de distribution qui est aussi des soins parce que du coup,
il va livrer chez la voisine et la voisine, elle ne marche plus. Donc, il profite aussi
pour lui donner d'autres coups de main. Donc, en fait, c'est une chaîne de solidarité
aussi qu'il met en place, une économie morale ou d'accompagnement des autres et d'entraide.
Je dois remercier Daniel de m'avoir ouvert cette porte. Cette expérience-là m'a donné
envie de chercher d'autres cas comme lui, maintenant des pratiques invisibles.
En tout cas, à l'échelle de la société.
Oui, à l'échelle de la société, on ne le perçoit pas. Et de comprendre à chaque fois
quelles étaient les valeurs mises en avant par ces personnes à travers ces actes. Et
c'est comme ça que j'ai construit un projet de recherche doctorale, de thèse, en anthropologie,
mais j'étais aussi dans un département de cinéma. L'idée, c'était de faire correspondre
les deux. Donc, je faisais l'anthropologie filmique. L'anthropologie filmique, moi, j'aime bien
la résumée à une enquête filmée. Et du coup, j'ai commencé un projet de thèse
qui a reçu un financement, on va dire, de l'ADEME, de l'agence de la transition écologique,
en 2015. Et l'idée, c'était de construire un peu des portraits comme celui de Daniel.
Donc, je me suis un peu lancée à la recherche des personnes menant des pratiques atypiques.
J'ai raconté à tout le monde ce que je faisais et beaucoup de gens me répondaient
« Ah ben, je connais quelqu'un ». Donc, il y a eu des personnes que j'ai rencontrées
comme ça. Et du coup, j'ai construit un panel biaisé parce que c'était mon entourage
qui m'a donné ces enquêtés-là. Et du coup, c'était beaucoup de personnes, des classes
aisées, un capital culturel assez fort, etc. Mais j'ai aussi circulé dans des milieux
associatifs, militants aussi, pour rencontrer d'autres personnes. Donc, je suis allée à la
recherche des profils qui me parlent. J'avais quand même un peu de critères, c'est-à-dire
que je voulais vraiment toucher à tous les vies du quotidien, les domaines du quotidien.
Donc, la question de la mobilité, la question de la consommation, la question de l'alimentation,
la question du travail, de l'habitat. Donc, j'essayais de remplir un peu les cases en fonction
de tous ces domaines-là. J'avais pas conscience que tu avais en tête d'essayer de représenter
chacune des sphères. Mais c'est vrai que maintenant que tu le dis, on retrouve bien
toutes ces dimensions qui sont un petit peu éparpillées entre plusieurs personnages et
personnes qu'on rencontre à travers ton documentaire. Peut-être qu'on peut préciser
maintenant, si les auditeurs et auditrices veulent le voir, les nouveaux modernes, il est
accessible où ? On peut le trouver comment ?
Il est accessible sur YouTube et il est aussi sur un site qui s'appelle Imago TV, où il
y a des films un peu écolos, engagés, etc. Je conseille d'aller plutôt sur ces sites-là.
Mais il est disponible, je pense qu'on tape sur Google et il apparaît.
Et on le trouve assez facilement, effectivement.
Ok. En tout cas, ce que j'apprécie beaucoup dans ton documentaire, c'est à la fois ton style
de réalisatrice, un style que je qualifie de doux, je trouve qu'il respecte le rythme
des personnes filmées et leurs paroles aussi, d'où se dégage, je trouve en tout cas, une
certaine forme de poésie. Et puis il y a autre chose que j'apprécie beaucoup dans ton
documentaire, c'est son titre, le choix de ce titre, les nouveaux modernes, qui encore
une fois n'utilise pas le terme de sobriété. Je dis encore une fois parce que c'est une
constante avec mes invités. Finalement, j'ai l'impression, depuis le début que j'ai lancé
ce podcast Enquête de sobriété, avec mes invités à chaque fois, ils parlent de sobriété
sans la nommer, en tout cas très souvent. Et d'ailleurs, dans ton documentaire, ce
que j'ai remarqué, c'est que le terme de sobriété n'est presque pas évoqué, sauf
à la toute fin, par le couple qui vit en yourte, là, qui en parle à la toute fin,
il utilise ce terme de sobriété énergétique. Ça me donne une sensation que la sobriété
serait presque trop complexe, trop nuancée, trop riche pour être nommée et définie.
Je sais qu'il y a des définitions, il y a des personnes, des institutions qui s'emparent
cette définition. On va revenir sur cette question de l'institutionnalisation, d'ailleurs,
plus tard dans notre échange. Et donc, j'ai envie de te poser la question, qu'est-ce
que tu penses de ce terme de sobriété, et par rapport à cette difficulté à nommer
et qualifier les pratiques, et aussi comment t'es arrivée à ce titre-là ? Pourquoi ce
choix ? Ça oriente les choses, quoi. Tu dis quelque chose à travers ce titre.
Alors, je vais répondre d'abord sur la question de la sobriété. Comme bonne inquiétrice
anthropologue, j'ai pas donné aux inquiétés la qualification que moi j'avais trouvée
pour leur acte. J'ai laissé qu'ils les nomment eux-mêmes. Donc, moi, je m'adressais
aux personnes en disant, j'inquiète sur les pratiques de récupération, écologie,
les gestes du quotidien. Je sais plus comment j'appelais, il doit être quelque part à
mes notes, mais j'ai jamais trop dit les mots sobriété devant mes inquiétés. Et dans
les entretiens, donc, on s'était déjà rencontrés. Je les avais déjà observés
quand je faisais l'entretien, parfois, et j'ai travaillé sur cette question des
termes, et j'ai reçu des réponses diverses, mais peu s'identifier, effectivement, avec
la question de la sobriété. Par exemple, il y avait Christelle, une inquiétée, qui
m'avait dit, la sobriété, pour moi, ça va pas parce que j'aime bien boire et fêter
la vie, donc je suis pas du tout dans une démarche de sobriété. Je préfère parler
des besoins essentiels, voilà. Donc, chacun avait trouvé ses mots, et effectivement,
le couple de la yurte, oui, il parlait plus de sobriété, parce qu'eux aussi, ils avaient
une approche très réfléchie à la question.
J'ai presque envie de dire ingénieur, non ? Parce qu'il y avait une dimension comptable.
Ouais, ils sont pas ingénieurs, mais effectivement, ils sont experts. Ils sont formés dans les
domaines des énergies renouvelables, du développement durable, etc. Ils travaillent
dessus, donc eux, ils utilisaient plus sobriété comme, effectivement, une aspiration à l'autolimitation,
etc. Donc, voilà pourquoi les termes, ils apparaissent presque pas dans le film. Et pour
la question du titre, le titre m'est venu, bien sûr, à la fin du documentaire, ou vers
la fin, en tout cas. Je vais pas commencer un film en me disant, je vais faire un film
qui va s'appeler « Les nouveaux modernes ». Et c'est parce que tout le monde me parlait
de la modernité, en fait. Quand j'ai commencé à enquêter dans les entretiens que j'avais
avec les personnes observées, la question de la modernité apparaissait sans que je l'appelle.
Tout le monde me disait, en gros, qu'ils se sentaient un défaçage ou qu'ils ressentaient
un malaise par rapport à la modernité. Et bon, certains définissaient la modernité
ou ce qui provoquait ces gènes ou non. Mais en tout cas, la question de la modernité,
elle était omniprésente.
D'accord.
Et du coup, je me suis dit, toutes ces personnes, c'est un commun qu'elles critiquent la modernité
ou la société moderne. Et dans les sens qu'on connaît très bien des dissociations
de l'humain du reste de la nature, mais aussi tout ce qui revient en plus à l'économie
capitaliste. Et en fait, ils avaient abouti à une critique assez profonde de la société
moderne capitaliste. Et voilà, les termes modernitaires revenaient souvent. Et depuis
les débuts, mon idée de cette enquête, c'était de montrer des pratiques qui, maintenant,
seraient un peu à l'avant-garde, qui préfigurent une culture de consommation qu'on va, tôt
ou tard, devoir incorporer pour faire face aux limites planétaires, tout simplement. Et donc,
il avait cette idée de ces personnes, elles sont un peu devant nous.
Ouais, préfigurent quelque chose.
Préfigurent quelque chose. On menait déjà une critique. Ils se sont détachés de la société
en laquelle on vit aujourd'hui, avec les valeurs qu'on a aujourd'hui, des consommations. Et ils sont
en train de construire la culture de demain, plus de solidité, plus en accord avec les limites,
etc. Et dernière chose, il y avait encore une critique dans les titres, parce que la
nouveauté, c'est une des valeurs essentielles de la modernité. Donc, je me moquais un peu
de la modernité en appelant les nouveaux modernes. C'est rédondant, en fait. La modernité,
elle est conçue comme être la nouveauté, déjà. C'est moderne, on dit d'un frigo, c'est
moderne. Ça veut dire qu'il est, c'est un produit d'innovation, qu'il est au-dessus
des autres précédents. Donc là, je critique la modernité en nommant des personnes qui,
pour la modernité, sont plus arriérées qu'autre chose, les situant dans l'innovation.
Merci de cette précision de l'ironie du titre. Et ça me donne d'autant plus envie,
peut-être, de venir sur cette question de critique de la modernité, dans laquelle
je peux parfois me reconnaître. Et en même temps, pour autant, je n'ai pas envie de tout
jeter. C'est-à-dire qu'il y a des choses dans la modernité dont j'ai quand même envie
d'hériter. Je pense notamment, je ne sais pas, aux droits de l'homme. Je pense notamment
à une tendance vers plus d'égalité, tu vois, à quelque chose qui cherche à inclure
de plus en plus les personnes et à lutter contre des inégalités. Je crois qu'il y a
aussi ça dans la modernité. Et ça, typiquement, c'est quelque chose dont je souhaite, alors
je vais utiliser les mots de la redirection écologique parce que c'est de là où j'ai été
formé, mais en tout cas, je souhaite hériter de certaines parties de la modernité, tout
en critiquant et en remettant en question et potentiellement en fermant, en démantelant
ou en arrêtant certaines trajectoires de la modernité. Et c'est pour ça que j'appréciais
beaucoup les nouveaux modernes. Je le voyais comme un dépassement, c'est-à-dire quelque
chose qui ne rejetait pas juste uniformément la modernité pour un retour arrière qui
serait en plus pas possible ni matériellement ni quoi que ce soit, et qui serait potentiellement
très réactionnaire, très conservateur, etc. Et donc plutôt de s'approprier cette nouvelle
modernité comme étant une mutation qui choisit ce dont on hérite de la modernité
pour la faire bifurquer. Je n'avais pas saisi la dimension ironique, mais je la trouve
hyper intéressante sur cette question de l'humour, du détournement, d'être capable
aussi de s'emparer de ce dont on hérite pour s'en moquer, pour mieux s'en détacher
et en même temps choisir de ce qu'on veut faire vivre et perdurer.
Merci beaucoup pour ces réponses qui enrichissent mes perspectives encore. J'imagine que les
rencontres que tu as faites dans ce documentaire ne t'ont pas laissé indifférente, t'ont
marqué. Je trouve d'ailleurs, en regardant le documentaire, qu'il y a certains personnages
auxquels on s'attache, et peut-être pas les mêmes en fonction de qui regarde et
quoi. Mais j'ai envie de te demander maintenant, qu'est-ce que ça a changé chez toi et quelles
pratiques, expériences, changements, ces enquêtes ont créées dans ta vie ?
C'est quelque chose qu'on m'a demandé plusieurs fois et je pense que je ne suis pas allée
très loin dans l'auto-analyse de ces questions-là. J'aime bien que ça reste un peu flou
pour moi. Mais alors, pour répondre avec un geste tout tout bête, il y a quelqu'un dans
mon film, Clément, qui raconte qu'il ne prend pas l'ascenseur pour économiser de l'énergie
et du coup, je ne peux plus prendre l'ascenseur. Alors des fois, je me dis bon, je vais me payer
à l'ascenseur quand je suis vraiment fatiguée, chargée ou j'ai mal au dos, machin, mais
pour le coup, c'est vraiment un cadeau, un truc exceptionnel que je considère, j'évalue,
je considère que je le mérite. Bon, ça, en parlant de 3-4 étages, Clément, dans le film,
il dit que même s'il fait 8 étages, il prend l'escalier. Je ne sais pas si avec 8 étages
je les ferai, mais ça arrive vraiment rarement de monter au 8e étage. Donc des gestes comme
ça, oui, je pense qu'il doit y en avoir plein, plein, plein, plein. Là, pour le coup,
j'en suis confronte parce que c'est vrai que la majorité des gens prennent automatiquement
l'ascenseur. Mais bien sûr, de toute façon, dans la consommation, j'étais déjà assez
écolo, on va dire. Donc tout ça, c'est assez évident. Après, je ne suis jamais
allé très loin dans la démarche des solidaires. Je n'ai pas changé des lieux de vie. Je
n'ai pas fait des choix, on va dire, un peu plus radicaux d'autoproduction. Typiquement,
c'est quelque chose que j'ai vu dans mon enquête.
D'autoproduction de nourriture, tu veux dire ?
Des toux énergétiques, des traitements de déchets, etc. C'est-à-dire que j'habite
un appartement en région parisienne, donc un milieu urbain. Et c'est très limité ce
qu'on peut faire ici. Aussi, j'ai créé le compostage collectif. Dans ma résidence,
je suis Madame Compost et j'ai fait l'initiative du compostage collectif. Mais sinon, c'est
très limité. Est-ce qu'on peut faire un appartement à part bien consommé, entre guillemets,
donc à la biocope ou à la map ou voilà ? J'ai fait un petit peu de récup alimentaire,
de récup d'objets et tout ça. Je le fais toujours, mais juste pour voir ce qu'il y
y avait dans les poubelles, pas pour un mode de consommation quotidien. Et sinon, ce qui
donne vraiment plus de possibilités de solidité, c'est d'inviter à la campagne. Bien sûr,
pas au niveau des transports, parce que là, c'est un levier de consommation énergétique
énorme parce qu'il y a dépendance à la voiture en milieu rural. Mais la campagne vient
avec l'accès à la terre et du coup, l'accès à la production d'énergie, au potager,
aux toilettes sèches éventuellement, au traitement des toilettes sèches, au cycle
métabolique qui se réinstalle. Et j'invite pas à la campagne.
Oui, t'as pas l'intention d'eux, en tout cas pas à ce stade-là et voilà.
Je parle en tant que citoyenne, mais bien sûr, la question de l'effondrement
et tout ça a fait son chemin aussi dans ma vie. Donc, j'ai été aussi engagée auprès
des mouvements des services civils. C'est-à-dire qu'il y a plein de sphères militantes
ou d'imaginaire propre à moi ou des prises de conscience qui ont évolué au cours des
années. Mais même si c'est bien sûr un lien avec mon enquête, parce que l'enquête
m'a donné accès à beaucoup de connaissances sur tout ça. Donc, voilà.
Ça me donne envie de revenir un petit peu sur la question de l'ascenseur, parce que
moi, il y a quelque chose qui pourrait potentiellement me gratter. Alors, non pas dans le fait que
Clément prenne l'escalier plutôt que l'ascenseur, ni dans le fait que toi, Violetta, aujourd'hui,
tu choisis de prendre l'escalier plutôt que l'ascenseur, mais surtout d'éviter de conclure
que moralement parlant, ce serait mieux de prendre l'escalier que l'ascenseur, parce que ça,
ce serait un propos quand même quelque peu validiste. Tu disais, quand tu es fatigué,
des fois, tu regardes cette question, est-ce que je mérite de ? Bon, toi, tu le juges
à l'aune du mérite. Moi, personnellement, je réfute la question de l'existence de talent
ou de mérite. Je pense qu'on compose avec ce qu'on est, avec ce qui se passe, etc. Et
j'ai envie d'insister sur cette question non moralisatrice des escaliers par rapport
à l'ascenseur. C'est valable pour Clément, c'est peut-être valable pour toi, pas tout le temps
d'ailleurs, pour toi. Et je pense que c'est pas valable en soi, pour soi, pour tous
et toutes. Je pense en particulier à toute personne qui ne pourrait pas prendre les escaliers,
marcher, etc. Je le mentionne parce qu'il y a vraiment un piège dans ces raisonnements-là,
le piège validiste. Nous sommes déjà dans une société très validiste. Il faudrait
faire attention que dans la promotion d'une certaine nouvelle modernité ou de pratiques
sobres, on ne renforce pas encore une fois ces discriminations-là. C'est pour ça que je
mets un petit bémol, mais je ne sais pas ce que tu en penses.
Alors, quand je disais que je le mérite, c'est pas du tout. Est-ce que vieux l'État
mérite ça par rapport aux autres citoyens au monde ? C'était, en fait, je reviens
à une forme de comptabilité. Et ça, c'est complètement à jour avec les recherches
qui sont faites aujourd'hui sur les modes de vie un peu alternatifs, écologiques, etc.
Donc, l'évaluation des peines et plaisirs, comme disait Aristote, ou des coûts environnementaux,
économiques et réconforts psychologiques ou physiques. Donc, c'est plus par rapport
à ça. Donc, est-ce que l'énergie que je consomme en mon temps par un sensaire compense
l'effet que je peux me les permettre, vu la fatigue que j'ai parce que je suis venu
à vélo ? Je n'en sais rien. J'ai dit n'importe quoi. Mais c'est plus ce système
de comptabilité que, d'ailleurs, j'ai vu chez tous mes inquiétés, où on compte pas
seulement les coûts monétaires des choses, des services, des objets, mais les coûts
environnementaux. Et donc, quand on prend l'ascensaire, c'est pas juste la facilité,
les confort d'une boîte qui nous transporte. Il y a derrière des coûts associés. Et ça,
c'est ce qui est complètement invisibilisé dans notre société, les coûts énergétiques
environnementaux. Et pour moi, les démarches de solidité que j'étudiais, c'était juste
remettre au centre de l'évaluation les coûts environnementaux, on va dire. Les coûts
économiques, ils continuent. On ne peut pas s'en passer d'un système monétarisé.
Donc, les gens évaluent aussi le prix des choses et les salaires qu'ils obtiennent
comme une rémunération, etc. Mais ils rajoutent aussi d'autres comptabilités, d'autres
systèmes d'évaluation des actes de la vie quotidienne et qui se mesurent par impact
environnemental, etc.
Et dans l'entreprise, on pourrait rejoindre ça avec les questions de triple comptabilité,
comptabilité environnementale, sociale et économique.
Peut-être il y a deux phrases qui sont dites par certaines personnes dans ton documentaire
et j'ai l'impression que s'il y avait à qualifier un petit peu les nouveaux modernes,
peut-être qu'ils parlent un petit peu de ça. Il y a un personnage, un monsieur dans
sa maison, alors je n'ai pas retenu les prénoms, mais un monsieur dans sa maison qui
est déconnecté de l'eau, électricité, qui vit dans le sud, on entend les cigales
derrière et qui dit à un moment, l'économique a rejoint l'écologique. Et je pense que c'est
exactement ce dont on était en train de parler sur cette question de comptabilité,
c'est que finalement, l'écologique est traitée à la même importance, à la même
valeur, à la même hauteur et mérite d'être comptée, mérite d'être mesurée, mérite
donc d'être arbitrée tout autant que l'économique et de mesurer sa dette. J'ai l'impression
que ça parle un petit peu de cette nouvelle modernité là, en essence, qui doit germer.
Et puis une autre phrase qui m'a touchée, qui m'a marquée, qui m'a amusée, c'est
la dame qui a une phrase d'ailleurs qui dit « elle chauffe son corps plutôt que l'air,
c'est moins coûteux de chauffer son corps donc elle prend des pulls, etc. » Elle fait aussi des œuvres
d'art en cornant des livres là. Ça a l'air d'être une personne assez fascinante,
assez intéressante. Et à un moment, elle dit « mon plaisir, c'est de ne pas acheter. »
« Mon plaisir, c'est de ne pas acheter. » Donc là, elle renverse complètement l'idée
de plaisir par la consommation, d'épanouissement par la consommation. Elle l'inverse carrément.
Alors, est-ce que c'est cette inversion-là, les nouvelles modernités ? Parce qu'il y a
quand même une certaine forme de radicalité dans « mon plaisir, c'est de ne pas acheter ».
Je ne sais pas ce que tu penses de ça.
Alors, quand Brigg, elle s'appelle comme ça, cette femme dit ça, c'est un fait parce
qu'acheter, ça veut dire participer à un système qu'on dénonce et qu'on critique.
Donc effectivement, son plaisir, c'est de rester en dehors de ça et de trouver un autre système
de production, consommation, mode de vie, etc. Donc pour le coup, ce qu'elle fait, c'est
qu'elle récupère. Donc là, tu as toute la complexité de la solidité qui, aujourd'hui,
ça se développe dans la ruine du capitalisme. C'est-à-dire qu'elle vit aussi sur la surconsommation,
la surproduction du capitalisme. Après, non, elle aurait pu faire aussi une économie
de l'échange et jamais acheter, mais juste produire, échanger avec des personnes qui
ont d'autres capacités qu'elle. Brigg, c'est quelqu'un qui a vécu un peu comme ça
toute sa vie. En tout cas, c'est ce qu'elle m'a dit, en marche un peu de la société
de consommation, en faisant tout elle-même. Et du coup, tardivement, comme ses enfants
étaient émancipés, elle s'est créée un boulot qui allait en cohérence avec ses principes.
Et du coup, elle est devenue artiste. Elle ne l'était pas avant, je ne sais pas, ses
50 ans. Donc elle a commencé à corner des pages des vieux livres dont elle ne voulait
plus se séparer. En fait, sa trajectoire ou ses principes, il montre bien quelles sont
les valeurs de la solidité. C'est quelqu'un qui accumule chez elle, qui a des anciens
bouquins qui lui semblent très beaux parce que c'est l'ancien, avec des belles couvertures,
des belles pages un peu jaunies. Et elle n'a pas envie de le jeter. Donc elle s'est
dit, bon, qu'est-ce que je peux faire avec ? Et elle commence à créer des œuvres
d'art à partir de ses livres. Et ça marche, bon. Ça marche dans les systèmes économiques
dominants, qui du coup la rémunèrent avec des prises d'œuvres d'art qui lui permettent
de vivre une vie assez aisée dans tout ça. Mais bon, ses convictions l'amènent à
créer une activité, pour le coup, rémunératrice. Mais effectivement, pour moi, quand elle
dit, mon plaisir, c'est de ne pas acheter, c'est de rester en dehors de ça. Et on peut
tous les comprendre. Moi, quand je fais de la récup ou de l'achat d'occasion, je prends
énormément plus de plaisir que si j'ai acheté du neuf qui me fait tout de suite être en
contradiction avec mes principes. Donc je vais avoir un bonheur, un choix supplémentaire
en fait. Et c'est comme ça que beaucoup de nouveaux modernes mesurent l'air acte. Si
j'évite les circuits marchands, si je ne fais pas comme ça ou si je fais comme ça,
j'ai un plus de l'utilité rapportée par l'objet, l'aliment ou les vêtements. J'ai
un surplus lié à la satisfaction parce que j'étais cohérent avec mes principes. Et
c'est pour ça qu'il y a cette dimension morale que moi, j'ai travaillé dans ma thèse
parce qu'il y a cette question de faire les biens, faire les mals. Et elle revient quand
même beaucoup, cette question-là. Donc d'être en cohérence avec ses principes, ça
rapporte du bonheur. Et on le sait très bien quand on fait des choses auxquelles on ne
croient pas ou qu'ils vont en contradiction, on est souvent pas satisfait.
Oui, oui, tout à fait. Bon, après, je pense que c'est peut-être une perspective philosophique
ou une position. Moi, c'est vrai que je vais moins sur la dimension morale parce que je
me dis, tu vois, si je le dis vraiment très crûment et en prenant de l'autre côté
des personnes que tu as enquêtées. Mais tu vois, Elon Musk, il a ses convictions qui
sont très clairement masculinistes, plutôt racistes, voire eugénistes et malthusiennes.
Donc eugénistes, sélection des personnes et on choisit quel type de personnes a le
droit ou pas de vivre. Malthusienne, un petit peu la même chose. On considère qu'on est
trop nombreux sur Terre, qu'il faut réduire la population. Voilà. Donc c'est pas quelqu'un,
en tout cas, que moi, je considère être du côté du bien, si je parle d'un point de
vue moral, en tout cas dans mes valeurs. Pour autant, Elon Musk, je pense qu'il est cohérent
avec lui-même quand il achète Twitter. Et peut-être qu'il ressent le surplus de joie
que tu évoques parce qu'il s'approprie, il vise le bien, il vise la survie de l'humanité
qui sera l'élu qui pourra vivre sur Mars. Et donc, lui, je pense qu'il assume une
certaine cohérence et qu'il ressent ce surplus. Et donc, pour moi, si je te le dis comme ça,
j'ai l'impression que c'est pas suffisant de pouvoir expliquer les brèches que ouvrent
les nouveaux modernes que tu traites dans ton documentaire. C'est que ça, ça n'explique
pas tout parce que sinon, on peut tout aussi bien expliquer finalement les postures d'Elon
Musk avec les mêmes ressorts.
Oui. Alors, ça dépend de la lecture qu'on fait du monde, comment on l'interprète, etc.
C'est ça.
Pour les personnes engagées dans la solidité, la question de s'adapter à un milieu avec
des ressources limitées, c'est un principe des comportements, on va dire. Et effectivement,
Elon Musk, il ne prend pas ça en compte. Il considère qu'il y aura d'autres planètes
qui pourront nous accueillir. Donc là, tu parles de bases cognitives complètement différentes.
En tout cas, ça engage des systèmes de croyances et de valeurs. Et donc, s'engager sur la
question morale, c'est aussi engager ta propre perspective morale. Au final, c'est toi qui
ressens cette vibration, enfin je le dis comme je le ressens, qui ressens cette cohérence
aussi avec eux. Et donc, je sens une sorte de communauté qui se crée, d'où la question
de qu'est-ce que ça a produit chez toi, qu'est-ce qui s'est passé chez toi. Et c'est
pour ça que moi, je m'engage moins sur cette question morale que sur cette question de vivre
en commun et de projets politiques désirables, souhaitables. Moi, je ne me reconnais pas dans
le projet politique d'Elon Musk, très clairement. Je le pense délétère, je le pense dangereux,
je le pense mortel. Mais à quoi on oppose ça ? De s'engager sur le terrain politique
et de co-construire ensemble des projets politiques de vie ensemble, communes, désirables, et qui
intègrent ces éléments de limitation, de sobriété et aussi d'émancipation dont on
parlait tout à l'heure, avec l'ascenseur par exemple.
– Effectivement, je suis en communion avec l'analyse. Je trouve cette analyse juste
du moment où on décide de se limiter à la planète Terre. Et là, pour le coup, on
ne peut pas leur critiquer de ne pas être lucide. Au moment où tu te dis que c'est la
Terre, la seule planète qu'on habite, on arrive très vite aux mêmes conclusions que
eux. Et j'avais analysé ça dans ma thèse. Je m'étais amusée à faire un lien avec
les chasseurs-cueilleurs, tel que le décrit Marshall Salin, c'est un anthropologue américain.
Et en fait, lui, il étudiait un peu la culture matérielle des chasseurs-cueilleurs, qui doivent
s'adapter à une vie nomade, en fait. Ils ne sont pas nombreux parce qu'ils doivent
se ressourcer pas loin de là où ils habitent. Et du coup, s'ils doivent aller très loin
pour nourrir plus des personnes, ça devient tout de suite trop pénible. Et puis, s'ils
doivent transporter des choses parce qu'ils sont nomades, alors autant ne pas avoir beaucoup
d'outils à transporter. Et du coup, moi, j'avais fait un peu un parallèle avec la
culture de la solidité matérielle, en disant que les critères ne sont évidemment pas
les mêmes parce que les personnes que j'ai étudiées sont plutôt sédentaires, pas toutes,
mais la grande majorité. Du coup, les critères de portabilité, par exemple, des objets,
on s'en fout. Mais en fait, tous les deux, ils essayent de s'adapter durablement au milieu.
Donc, il y a une culture matérielle qui est résultat de cette contrainte-là de s'adapter
au milieu. Alors que s'adapter au milieu, ce n'est pas du tout une contrainte acceptée
par la société moderne. La société moderne part de la contrainte opposée, que le milieu
s'adapte aux besoins humains.
Tout à fait. En tout cas, il y a probablement quelque chose à tirer de cette articulation-là.
Et puis, il y a encore à cheminer. Et c'est pour ça que j'anime ce podcast « Enquête
de sobriété ». Elle n'est pas résolue à l'avance. On chemine ensemble, on tire
ensemble les traits. Et un grand merci, Violetta, d'être venue discuter de ce très chouette
documentaire. Je vous invite vraiment, auditeurs, auditrices, à aller le regarder, à aller
vous inspirer, à aller vous laisser un peu habiter par la poésie des personnes qui
traversent ce documentaire, et donc la poésie de ton regard, Violetta, que tu nous partages.
Merci beaucoup, Violetta.
D'a rien, ça a été un plaisir.
J'espère que cet épisode vous a plu. Grâce à ces partages d'écoute et de réflexion,
de discussions authentiques, de doutes, de contradictions, et de joie simple du quotidien,
j'espère vous donner envie de mener votre propre enquête, pour construire collectivement
une alternative aux exploitations en tout genre.
Tu remercies Emeric Priolon pour l'habillage et le montage sonore, Ingrid de Saint-Aubin
pour l'habillage visuel, Barbara Nicoloso, directrice de Virage Énergie pour sa commande
sur la sobriété, Alexandre Monin et toutes les personnes du Master Stratégie et Design
pour l'Anthropocène pour leur soutien et leur enthousiasme, et bien sûr mes invités,
sans qui ces épisodes n'existeraient pas.
Sous-titrage ST' 501