Bonjour, je suis Alexis Nicolas. Dans ce podcast, je vous propose de partir avec moi en quête
de sobriété, pour en finir avec la démesure de notre époque et pour vivre dès maintenant
dans le futur. Mais en tant qu'ingénieur, salarié, homme, blanc, cis et hétéro, la
sobriété, c'est pas gagné. Et oui, l'attrait pour la démesure affecte avant tout les personnes
privilégiées. Episodes après épisodes, théoriques ou pratiques, je mène l'enquête
avec mes invités. Bonne écoute !
Bonjour à tous et à toutes. Aujourd'hui, je reçois Nathan Ben Kemoun, qui est docteur
en sciences de gestion et enseignant chercheur à l'ESC Clermont et rattaché au laboratoire
CLERMA. Merci Nathan de venir enrichir nos enquêtes de sobriété. Bienvenue à toi.
Merci beaucoup de me recevoir. En parcourant ta thèse pour préparer notre
échange, ta thèse qui s'intitule "La dépossession matérielle comme espace de convalescence
enquête sur la restauration des corps, des rythmes et des sensibilités en anthropocène."
J'ai été ému à la seule lecture de tes remerciements. Tu as une très belle écriture
touchante, humaine, vivante, précise. D'ailleurs, tu te balades dans cette partie-là en proposant
carrément une définition en deux phrases de la philosophie. Il y en a qui s'y sont
atelés qui ont eu beaucoup de problèmes. Donc pour toi, la philosophie, c'est l'art
de composer et d'offrir des concepts aiguisés, utiles et appropriables aux différents publics
troublés par une situation problématique indéterminée et existentielle dans le même temps. C'est
ralentir les mots pour les doter de densité et de puissance d'action sur le cours du
temps. Je trouve que c'est vraiment une très belle définition. Et ce que je propose
dans cet épisode, c'est qu'on va philosopher ensemble, se promener dans les concepts,
discuter pour les donner à voir. Et pour l'exercice, on va inverser les rôles. Je vais te donner
le micro de l'enquête et tu vas enquêter sur ma situation qui a été, un jour, j'ai décidé de
passer de 80 mètres carrés habitables à 18 mètres carrés habitables. Et tout ça, ça a changé les choses.
Nathan, le micro est à toi. D'abord, bonjour à toi. Quand est-ce que tu as commencé à réfléchir
à ta relation aux objets et pour quelle raison tu as décidé d'entreprendre une réflexion en ce sens ?
En fait, ça a cheminé, ça a été plutôt quelque chose de progressif. Mais je dirais qu'un vrai
passage, ça a été en fait la question de l'habitat, de où habiter, de dans quoi habiter. Le fait
d'avoir acheté une maison, rénové une maison de 80 mètres carrés avec aussi beaucoup de
dépendance, les objets s'accumulent, s'entassent, y compris inutiles, prennent la poussière,
prennent les toits de l'araignée. Et constatant ça, constatant aussi qu'il y avait une charge
mentale, qu'il y avait un prêt immobilier, que les corps avaient souffert de la densité d'énergie,
de travail, de matière, à mettre dans cette rénovation de maison, il y avait l'envie de
ça léger. Et une rencontre importante, ça a été la rencontre avec notre fabricant de nos petites
maisons, qui se prénomme Thomas, qui est fabricant des cautes. Et cette rencontre a été vraiment
chouette, on partageait une même logique, une même philosophie d'habitat, on avait très envie de se
projeter dans cette façon d'habiter avec des habitats petits, légers, modulaires, adaptables,
fonctionnels, très bien pensés. Et ça a été vraiment cette rencontre qui nous a mis sur le
chemin et l'envie de passer de 80 mètres carrés à 18 mètres carrés. D'accord. Alors est-ce que tu
peux revenir sur la manière dont tu as opéré ce tri parmi tes objets et parler aussi de ce que ce
moment-là a pu te faire dans ta trajectoire de vie, dans la manière dont tu habites l'espace et dans
ton rapport plus large aux objets autour de toi ? Alors déjà on l'a beaucoup pris sous la forme
d'un jeu qu'on a étiré dans le temps long parce que la conception, la fabrication, etc. des petites
maisons ont pris beaucoup de temps. En gros, entre le projet, l'idée, l'envie et puis le fait que je
sois réalisé qu'on habite dedans et s'est écoulé deux ans et demi trois ans. Donc ça a été vraiment
dans le temps long. Et comment ça s'est articulé ? On l'a habité sous forme de jeu en se donnant des
défis mensuels de réduction. Un mois c'était la vaisselle, un autre mois c'était les habits,
un autre mois c'était les instruments de musique parce que j'avais une grosse collection,
un autre mois c'était les chaussures, etc. Donc vraiment sous forme de jeu. Donc je dirais qu'il
y avait beaucoup de curiosités. Du coup ça c'est le mois de la vaisselle. Donc très concrètement on a
pris toutes nos assiettes, on les a toutes rangées, on en a gardé trois et puis on a vu ce que ça
donnait, on a fait pareil avec les verres, pareil avec les casserolles, pareil etc. Tout ça qu'on
gardait pas, on les a mis de côté et puis on voyait pendant un mois si on avait besoin de retourner
piocher ou pas dans ces objets. Donc je dirais qu'il y avait vraiment un moment un peu ludique et en
même temps quelquefois des difficultés, notamment sur les instruments de musique ou sur les livres
où ça a été parfois plus difficile d'identifier les bons et de choisir, de sélectionner. Ça a
été un long processus. D'accord. Et justement comment tu as fait pour déterminer quels objets,
maîtres de côté, quels objets conservaient, comment tous ces choix ont été opérés ?
Il y avait des grandes idées, des grands choix de type, par exemple sur la vaisselle,
il y avait l'idée de garder des objets plutôt uniques, spécifiques, soit dans la fabrication,
soit dans leur rencontre, fabriquer main qui avait une histoire, pas de garder des objets
industriels, quelconque. Après si je parle des livres, je m'étais dit tout ça il faut que ça
rentre dans un carton à la fin. En gros j'avais fait à peu près trois tas différents dans les
livres, il y avait ceux que j'étais sûr de garder, il y avait ceux que je garde pas. Et puis
après il y avait la pile intermédiaire où j'avais besoin de temps et de négociations et de discussions
avec moi-même pour savoir lesquels je garde, lesquels je garde pas. Et ça a été beaucoup de
réflexion sur qu'est-ce qui m'a construit. Pour réussir à savoir si je gardais ou pas un livre,
c'était quelque chose de l'ordre de qui je suis maintenant et qui j'ai envie d'être demain. Il y
avait aussi cette question là de me projeter dans le futur et parfois qui je suis maintenant et
contenu à mes yeux dans un livre, mais pour autant c'est pas ce que j'avais envie de projeter demain
et dans le futur. Et donc ces livres là il m'a fallu plus de temps en fait pour négocier, pour
réussir à m'en débarrasser. À la fois il me constituait mais quelque part j'avais plus envie
qu'ils me définissent ou qu'ils m'orientent dans le futur. Et justement le fait de vivre avec moins
d'objets et d'avoir rassemblé certains objets qui comptent davantage pour toi commence à
pu t'aider dans ta trajectoire de vie à ce moment là de ton parcours. Qu'est-ce que ça a pu avoir
pour effet notamment en termes d'émotion et aussi en termes de parcours et d'orientation dans
l'existence ? Alors le processus c'était assez joyeux donc en termes il y a eu du jeu, il y a eu du
ludique, il y a eu des émotions de ce type là. Après il y a eu de la négociation par exemple ce que
je disais un petit peu là sur la question des livres. Ce passage là était parfois un peu plus
difficile parce que c'était pas simple de faire ce point là de qui je suis, qui je veux être ou
vers quoi j'ai envie d'aller. Et finalement ce processus là en tant que tel, sans m'y attendre
parce que c'était pas vraiment un objectif, c'était pas vraiment une volonté, mais sans m'y
attendre juste par ce souhait d'arriver à un volume de livres qui tient dans un carton.
Et cette négociation je dirais que ça m'a permis en fait d'y voir plus clair, de clarifier là où
j'en suis et où je vais quoi, quelque chose de cet ordre là. Après il y a aussi eu des émotions
plus difficiles si je parle des instruments de musique par exemple ça a été, je sais pas si je
peux parler d'un deuil mais il y a eu quelque chose de l'ordre d'accepter, de leur offrir une nouvelle
vie, ça ne me convenait pas par exemple de les vendre et j'ai eu besoin de réfléchir à comment et
dans quel contexte et donc en l'occurrence là pour les instruments de musique, d'identifier une école
de musique avec des jeunes qui n'étaient pas très loin de là où on habitait et puis de donner les
instruments que je ne voulais pas garder. C'était à la fois difficile parce qu'il y avait ce don,
j'avais l'impression presque de me couper un bras ou quelque chose de cet ordre là, alors sans la douleur
physique mais vraiment quelque chose de difficile. Et en même temps par cette recherche de sens et de
réussir à faire de ce geste qui est du sens c'était plus acceptable, plus facile, il y avait du sens
dans ce geste là. D'accord, merci beaucoup pour tes réponses. Avec plaisir. Et en termes de
clarification justement sur la manière dont ça t'a amené à y voir aussi plus clair dans ton
propre chemin et ton propre futur aussi, comment ça t'a aidé à te réorienter. Est-ce que tu peux donner
un exemple très concret sur la manière dont ça a fait évoluer ou en tout cas ça a permis de
clarifier tes attachements notamment en termes peut-être d'activité ou de rapport quotidien à
ton monde. Est-ce que ça a eu un effet aussi sur tes activités, sur tes pratiques et pas simplement
sur ton environnement matériel ? Oui c'est possible parce que par exemple à travers les instruments
de musique pour donner un exemple concret je crois que de faire ce point là m'a permis d'arrêter de
me raconter quelque chose d'autre sur ce que je suis et plutôt que finalement de continuer à vivre
dans un espace dans lequel je regrette sans arrêt de pas les utiliser suffisamment ces instruments
de musique et moi d'accepter que c'est peut-être moins ma vie, c'est moins mes compétences,
c'est moins mon appétit, c'est moins mon attrait même si j'ai ce hobby, j'ai cette passion là mais ça
m'a permis de réorienter finalement l'usage de mon temps et peut-être même que ce podcast là
trouve sa place dans le temps libéré d'une envie d'Alexi de vouloir jouer de la musique pour le
réorienter vers ce que je faisais déjà un peu naturellement donc était de lire, de regarder
des conférences, de faire des choses et de partir de ses réflexions là pour en faire des choses en
concret et peut-être que ce podcast finalement là avec ta question je me dis est un bébé lointain très
concret de cette mise au point qui date d'il y a déjà quatre ou cinq ans. Merci beaucoup pour
toutes tes réponses qui résonnent énormément avec mes travaux en effet et merci de m'avoir
invité à en discuter ensemble aujourd'hui. Merci beaucoup pour tes questions Natan et à travers
tes questions j'espère que chacun à chacune des auditeurs auditrices qui écoutent ce podcast
peuvent se projeter, imaginer des histoires qui ressemblent des analogies. Dans ta thèse d'un
moment tu invites le lecteur, l'électrice à imaginer le nombre d'objets qui manipulent
machinalement sans y prendre garde en une seule journée du lever au coucher et là j'ai envie
d'inviter les auditeurs auditrices à se poser ces questions là c'est quoi ces objets que vous
touchez manipuler de la literie, des vêtements, des objets de toilettes, la trentaine d'objets
du petit déjeuner juste pour faire le petit déjeuner pour faire la cuisine. Je crois que tu
cites même les filtres de cafetière, les robinets, eaux, récipients, enfin toutes les infrastructures
en fait qui nous entourent et imaginez tous ces objets que vous touchez, que vous utilisez,
que vous contemplez jusqu'au soir et tu dis Natan dans ta thèse qu'on a probablement beaucoup de
peine à avoir conscience d'un tel fourmillement. Quelle question t'aurais envie de poser Nathan
aux auditeurs auditrices là qui auront en tête tous ces objets qui manipulent du matin au soir ?
Peut-être qu'une question importante et qui fait écho à ton témoignage serait de se demander
quels sont les objets à partir desquels je gagne en force, je gagne en confiance, je gagne quelque
chose dans ma vie, quels sont les objets qui objectivement ou de façon sensible me font du
bien et essayer de rapprocher aussi ces objets de soi ou d'entretenir une relation plus continue,
plus quotidienne et intime à tout ce qui alterne ou opacifie ce rapport bien heureux,
on va dire au monde des objets. Donc peut-être essayer de replonger à l'intérieur de ces
mondes matériels qui contiennent comme tu l'as dit des livres, donc aussi des aspects spirituels.
La matérialité est aussi une médiation vers des mondes plus spirituels et comment via
cette immersion dans son monde d'objets, on peut aussi céder soi-même à reconstruire les conditions
d'une vie bien heureuse parmi certains d'entre eux en identifiant précisément ceux qui nous
aident à exister, ceux qui entretiennent un rapport vital à nous-mêmes.
Nathan nous dit là quelque chose d'important je crois, les objets qui entretiennent un rapport
vital à nous-mêmes. Non pas moins d'objets mais des objets qui nous permettent de bien vivre,
c'est seulement à la réécoute pendant le montage que je note cette différence et sur
laquelle je trouve important d'insister. Pendant l'échange avec Nathan je suis resté
un peu trop prisonnier de ma situation privilégiée, je suis resté dans l'idée un peu naïve que
moins d'objets c'est mieux. Alors que pour pouvoir faire tenir des pratiques de débrouilles dont
nous parle Fanny Hugues dans le premier épisode, il peut être nécessaire de stocker et d'accumuler
certains objets, que ce soit des matériaux de récupération, une ancienne machine à laver
pour utiliser ces pièces par exemple. De la même manière quand j'évoque mes choix de garder
certains objets uniques, fabriquer main et de me séparer des objets industriels,
ça nécessite d'avoir le luxe de pouvoir le faire. Quand j'étais étudiant la débrouille
c'était d'aller récupérer des anciens matelas pour en faire un canapé, pareil pour les couverts
et les assiettes industriels, elles étaient bienvenues pour équiper la coloc. Donc il n'y a pas
d'opposition en soi entre fait main unique et industrielle mais bien des choix à faire depuis
nos situations de vie pour s'entourer des objets qui nous permettent de bien vivre,
pour éviter la galère autant que l'encombrement. Je termine cette interlude par un clin d'œil à
ma compagne, c'est elle qui m'a suggéré le don d'instrument de musique à l'école de musique.
Pour ma part je m'orientais par réflexe ou par habitude vers une vente sur le bon coin,
alors même que ça ne me plaisait pas trop. Bref, revenons à l'épisode, au delà des objets je
questionne Nathan sur la notion de geste car dans sa thèse il parle du geste juste et relâché,
du geste économe et fluide pour lequel l'objet est parfaitement incorporé au geste, à l'apprentissage,
à la mémoire et à la répétition du mouvement. Dans ma thèse de doctorat j'essaye de montrer
que beaucoup de personnes, parmi les personnes que j'ai pu rencontrer pendant cette enquête,
se sont comme détachés momentanément ou à plus long terme de leurs environnements
matériels immédiats et en se détachant elles ont accumulé pas mal d'objets, elles ont entassé pas
mal d'objets et de fait elles ont perdu un contact vivant avec leurs environnements matériels. Alors
ce que j'essaye de montrer modestement c'est qu'au moment où justement elles commencent à refaire
le tri dans leurs environnements matériels elles font aussi de l'espace en elle et autour d'elle pour
se réapproprier des gestes très simples comme cuisiner, prendre soin de certains endroits et
ce moment de tri ou en tout cas de recomposition de l'environnement matériel c'est aussi un
moment de réappropriation, de réactivation des gestes les plus simples de l'habiter et finalement
c'est vrai qu'on insiste beaucoup sur les objets parce que aujourd'hui la condition climatique fait
qu'on pense beaucoup à tous ces artefacts à l'amoncellement d'artefact mais d'une certaine
manière ce qui me semble aujourd'hui vital collectivement de se réapproprier c'est non pas des
environnements matériel toujours plus parfait complexe peuplé d'objets high-tech mais que c'est à
l'inverse la question de l'habiter qui nous permettrait peut-être d'évoluer vers des formes de
vie plus sobre et habiter ça veut dire investir pleinement des gestes très simples dans son
quotidien matériel et c'est vraiment une transformation que j'ai pu observer au cours de
cette enquête. Oui oui donc finalement en fait les questions qu'on s'est posées là ensemble que
tu m'as posées qu'on a posé aux auditeurs aux auditrices sur la relation aux objets sur la quantité
d'objets manipulés artefactes en fait via ces questions c'est moins les objets en tant que tels
qui sont ton focus ton centre d'intérêt d'enquête mais plutôt la relation qu'on a avec elle et les
gestes que ces objets permettent ou ne permettent pas d'advenir et justement d'essayer d'éviter
ceux qui seraient addictifs alienants et pour privilégier les espaces et les gestes émancipateurs.
Tout à fait et j'aimerais donner peut-être un exemple pour aller dans ton sens quand une
personne m'a raconté qu'elle avait tellement perdu contact avec son environnement matériel que
d'une certaine manière en se levant le matin elle avait qu'une envie c'était de quitter son
appartement elle avait qu'une envie c'était de prendre le large et donc de ne pas se réapproprier,
de ne pas réinvestir cet environnement et à l'inverse au moment où elle décide de se
coltiner justement toute cette matérialité accumulée tous ces objets la vaisselle sale
qui traînait dans les vieilles tous les vêtements dispersés dans son appartement c'est aussi un
moment où elle refait de la place pour la vie dans cet environnement matériel et ce qui m'a
beaucoup touché dans ce témoignage c'est le moment où elle m'explique que en se levant le matin
désormais elle a envie de prendre soin d'elle davantage et elle a envie de prendre davantage
de temps pour observer contempler entretenir un rapport aussi plus heureux à elle-même parce
que cet environnement lui donne la possibilité de le faire et lui donne l'envie aussi le désir
d'entretenir un autre rapport à elle-même et donc on voit bien la réciprocité entre le rapport
à l'environnement matériel et le rapport que l'on peut entretenir à soi donc ce que j'essaye de
montrer dans cette thèse c'est vraiment comment le rapport à l'environnement matériel est aussi
un rapport à soi-même et à la qualité ou à la dignité que l'on peut accorder à son temps et
à l'usage que l'on en fait.
Nathan au fur et à mesure de nos conversations je vois de plus en plus clair sur je crois
ce que tu veux dire par suffisance intensive parfois tu utilises sobriété intensive d'ailleurs
tu écris un moment sans tir le fabuleux dans l'ordinaire j'aime beaucoup cette phrase
aussi puisque dans des précédents échanges on avait aussi parlé de cette question du héros
ou du geste héroïque et à contrario cette suffisance intensive en tout cas cet espace dont
tu parles là ne nécessites pas de héros ou d'héroïnes. Je pense que en se réappropriant
certains gestes quotidiens les personnes aussi s'élargissent et s'ouvrent au monde différemment et
donc il s'agit pas de dire on va se réapproprier la sphère domestique en opposition à la sphère
publique le dedans contre le dehors mais à l'inverse c'est en se réappropriant le dedans de l'espace
domestique que les personnes retrouvent une forme de liberté une forme de confiance une forme aussi
de clarification dans leur rapport au monde en dehors de l'espace domestique et cette suffisance
intensive le concept que tu me demandes de commenter c'est un concept qui est hérité de l'anthropologue
édoardo vivéros de castro édoardo vivéros de castro parle de suffisance intensive pour montrer
que la sobriété a beaucoup été définie dans des termes individuels psychologiques qui rendent
ce problème singulier et personnel alors qu'on pourrait faire de la sobriété un parcours ou
un sentier d'enquête collective autour de nos attachements respectifs et donc ce concept de
suffisance intensive permet aussi de sortir la sobriété de la sphère uniquement domestique pour
interroger des attachements à des activités qui sont plus ou moins écocides qui sont plus ou moins
dépendantes en énergie et en infrastructure et parler de suffisance intensive c'est vraiment de
se dire nous pouvons collectivement nous réapproprier des activités à travers lesquelles
nous épanouir nous accomplir et ces activités n'ont pas nécessairement à être coûteuses
pour l'environnement coûteuses en infrastructure ou coûteuses en énergie on peut tout à fait
enquêter ces propres attachements à l'aune de ce double rapport entre niveau d'accomplissement
ou de satisfaction de joie et le caractère plus ou moins climaticide de ces activités par rapport
à la ligne de mes enquêtes de sobriété que j'essaie de mener dans ce podcast qui est intéressant
aussi dans ce que tu dis là je trouve c'est que il y a une réconciliation possible entre des gestes
individuels ou des actions ou des décisions individuelles notamment de dépossession matérielle
mais à l'aune d'une réflexion soit de libération de soi-même soit d'une sphère que je vais qualifier
d'individuels mais à le partager collectivement à enquêter collectivement pour changer ces
attachements pour changer ces modes de vie l'individuel et le collectif se réconcilie dans ce dialogue
dans cet échange dans cette conversation ne serait-ce que là en le partageant avec les
auditeurs auditrices mes réflexions grâce à tes questions ça peut leur amener des réflexions
des questionnements et donc de mener leur propre enquête ce qui est toute l'idée de ce podcast et
merci parce que je trouve que ça me permet d'avoir une autre façon de raconter et de
relier cette question de l'individu au collectif par les enquêtes croisées par les histoires qu'on
se pose par les questions qu'on se pose par les attachements qui émergent et qui se donnent à voir
tu m'avais raconté aussi quand t'avais vu cette petite note de bas de page je me souviens dans
le livre du philosophe que tu citais tout à l'heure sur la suffisance intensive tu racontais aussi
toi tes propres gestes dans ce moment là il me semble que tu es dans une bibliothèque en train
d'ouvrir ce livre d'aller fouiller de tomber sur cette petite note t'étais toi même dans un moment
d'écriture de thèse si je me souviens bien qui t'a remis tout ça en place est-ce que tu peux nous
raconter ces moments de gestes d'appropriation qui pour toi même t'ont permis d'y voir plus clair
au final oui alors il faut voir que de l'extérieur un chercheur ou une chercheuse sont des êtres
très peu impressionnants sont des êtres qui paraissent tout à fait commun ordinaire et qui
peuples et habitent les bibliothèques les médiathèques et parfois les colloques de recherche ce qui est
intéressant c'est que de l'intérieur la vie émotionnelle affective d'un chercheur ou d'une
chercheuse elle est extrêmement riche extrêmement peuplée et elle est continue c'est à dire qu'il
y a une porosité quand même très forte en tout cas dans mon cas entre sa propre existence et ce que
l'on essaye d'enquêter les personnes auprès desquelles on essaye aussi d'enquêter et les
questions que l'on met en commun autour de la sobriété par exemple le lien entre effectivement
ce concept de suffisance intensive et la lecture dans mon cas il est très très fort c'est un lien
qui est aujourd'hui plus évident pour moi à décrire dans la mesure où certaines lectures vont
avoir une incidence déterminante dans notre trajectoire de vie et nous aident aussi à faire
des grands bons dans l'existence et ces lectures sont assez rares en définitive on peut avoir un regard
rétrospectif sur l'ensemble de ces lectures et se dire dans les centaines d'ouvrages que j'ai
pu parcourir lesquels ont été à ce point important pour moi et lesquels ont laissé une marque
une empreinte très forte je crois beaucoup d'ailleurs que la plupart des livres qui
comptent qui importe ce sont des livres dans lesquels on sent la voix de l'auteur ou de l'autrice et
des voix dont on a besoin d'être proche au quotidien donc on se rapproche de ces voix
parce que on a besoin de les fréquenter et c'est aussi la raison pour laquelle parfois on
éprouve le besoin de relire certains livres parce qu'on se sent à la fois proche de ces
voix et on a envie de se tenir à côté d'elle et de faire communauté aussi avec ces voix ces
quelques voix auteurs autrices qui peuplent notre environnement de dialoguer avec elles dans un
espace alors ça peut être une bibliothèque mais ça peut être son salon calme on imagine
aussi un rythme plutôt lent où on s'avoure les pages en tout cas ces moments là précieux
où on tombe sur quelque chose écrit important pour soi c'est probablement des moments qu'on
s'avoure aussi dont on goûte la lenteur puisque dans ta thèse tu parles aussi de ses gestes de
ses rythmes cette question de rythme et je me dis qu'il ya quelque chose en tout cas ça fait
écho pour moi dans mes choix de piles de livres c'était des moments que je laissais un petit peu
de côté puis de temps en temps j'y revenais et quand j'y revenais ben je prenais ce temps quoi
ce temps un petit peu en lenteur pour faire le point mais on a pris beaucoup d'exemples sur la
lecture je sais que tu ne veux pas trop prendre d'exemples de ce que pourrait être des gestes
de suffisance intensive peut-être d'ailleurs tu peux le commenter et en même temps s'il fallait
en donner avoir je sais que par exemple tu parlais de tout ce qui était artisanat ou en tout cas des
gestes faits avec passion on a aussi discuté d'un exemple du jeu de loup garou peut-être tu veux
en toucher quelques mots mais voilà toutes ces activités de gestes de suffisance intensive
oui la suffisance intensive jusqu'à présent l'a beaucoup décrit en lien avec l'environnement
matériel et domestique mais c'est aussi ouvrir des enquêtes collectives notamment appropriables
par les collectivités et les instances publiques de décision qui sont aujourd'hui confrontés à la
question de leur aménagement et de la capacité de ces aménagements à durer dans le temps
contenu de la hausse du coup de l'énergie notamment donc ces équipements ça peut être des
infrastructures sportives notamment des infrastructures culturelles également et de plus
en plus les collectivités sont confrontés à des arbitrages qui concerne ces infrastructures
publiques de fait les arbitrages en question vont impliquer des renoncements ou des réaffectations
c'est à dire que certaines infrastructures vont pouvoir être réinvesti autrement et
d'autres infrastructures vont devoir être fermés de la manière la plus juste possible et la plus
précautionneuse possible et là il me semble que le concept de suffisance intensive a un vrai
intérêt dans le sens où il nous permet de nous mettre à l'enquête collectivement pour se dire
si cette activité n'est plus pertinente parce qu'elle est rattachée à cette infrastructure qui
n'est plus durable ou en tout cas que l'on ne peut plus maintenir en existence alors il faudra
penser des activités et des investissements économiques pour d'autres formes de vie sans
déprécier l'importance de ces investissements pour les formes de vie elles-mêmes et il me semble
que la suffisance intensive réoriente complètement les arbitrages publics dans le sens où on peut
tout à fait investir économiquement de l'argent du temps de l'énergie et de la réflexion dans
soit des équipements plus modestes en infrastructurée et en énergie soit dans des activités qui ne
nécessitent pas nécessairement d'infrastructure et donc on pourrait imaginer que beaucoup d'activités
sportives se déroulent désormais en extérieur à certains moments de l'année enfin il y a plein
de reconfiguration qui sont possibles à partir du moment où on prend conscience du fait que ces
arbitrages deviennent de plus en plus fréquents parce que le coût de l'énergie augmente parce que
aussi le nouveau contexte climatique fait qu'on ne pourra pas maintenir toutes ces infrastructures
en existence et ainsi de suite alors là je ne m'attendais pas du tout à cette réponse de
Nathan alors que je lui demandais de me partager des exemples de pratique de suffisance intensive
j'avais en tête une liste de pratiques comme le jardinage la marchand forêt un jeu de société
ou encore le jeu du loup garou natan lui me répond enquête collective aménagement de l'espace
public forme de vie collective il me parle aussi d'activité avec peu d'infrastructure et c'est
à peu près à ça que je pensais avec mon terme de pratique de suffisance intensive ce jeu du
loup garou dont je parle dans ma question c'est en référence à une vidéo produite par brut dont
Nathan m'avait parlé vous la trouverez sur votre moteur de recherche en tapant edwin organise
des parties géantes de loup garou dans cette vidéo de 2021 on y voit Edwin Mbelle à
Bondoufles en banlieue parisienne réunir une quarantaine d'habitants et d'habitantes pour jouer au
jeu de société du loup garou je ne me souviens plus des règles je me souviens juste que je suis pas
très doué à ce jeu mais je vous invite à regarder cette vidéo de cinq minutes qui donne à voir de
chouette moments collectifs complices ludique entre amis une activité avec peu d'infrastructure comme
le mentionnatant mais il n'attrape pas ma perche il n'en fait pas un exemple il nous dit que la
suffisance intensive est davantage une démarche d'enquête sur nos attachements c'est à dire
ceux à quoi nous tenons et ce qui nous tient de la même manière fanny dans le premier épisode nous
parle davantage de mode de subsistance qui tienne grâce aux pratiques de débrouille il ne s'agit pas
pour Fanny de lister des bonnes pratiques sous forme de catalogue il s'agit pour elle de rendre
compte des pratiques de subsistance qui permettent aux modestes économes d'être écolo sans le revendiquer
là je crois que Nathan nous invite à voir la suffisance intensive davantage comme un chemin
comme une enquête collective pour se détacher de l'usage d'infrastructure peu durable car
trop gourmande en énergie et en matière la destination du chemin n'est pas donnée dès le
départ elle est à inventer dans des activités panouissantes moins gourmande à ce stade de
l'enquête je me rends compte que dans cet épisode Nathan et moi utilisons pas mal de jargons issus de
la redirection écologique ne vous inquiétez pas nous mènerons l'enquête sur le sujet avec
d'autres invités dans de prochains épisodes mais revenons à l'épisode avec Nathan qui reprend sur
le risque qu'il y a à surdéterminer c'est à dire à définir trop précisément la destination
notamment en listant un catalogue de bonnes ou de mauvaises pratiques on va dire que le risque
le péril majeur dans toutes les pensées de l'écologie politique contemporaine c'est vraiment
de surdéterminer ce que Bruno Latour avait appelé ou atterrir ou atterrir le retour sur terre qui
peut avoir tendance à être toujours un peu associé à un retour justement en arrière une forme
de prémodernité alors que précisément la suffisance intensive nous ouvre vers le futur et non pas
vers le futur mais vers aussi une pluralité d'implication une pluralité d'engagement et d'enquête
autour de ce que peut être une vie significative une vie digne d'être vécue et une vie faite
d'activité qui nous accomplissent nous épanouissent l'idée c'est vraiment d'éviter les cueils de
montrer certaines pratiques du doigt en disant par exemple le karting c'est une pratique qui n'est
pas soutenable alors que cultiver son potager c'est une pratique qui est soutenable à mon sens il y a
un vrai péril à vouloir déterminer de façon ontologique de vouloir déterminer en soi des
activités problématiques versus des activités qui seraient soutenable à l'inverse la suffisance
intensive fait le pari d'une enquête collective à propos de nos attachements qui ne soit ni
réactionnaire ni ancré dans un retour à un temps d'avant la modernité c'est au contraire d'ouvrir
très largement le spectre des possibilités de vie à reconstruire à retisser et de toutes
ces activités à travers lesquelles nous pourrions nous étendre nous rencontrer et construire ces
formes d'accomplissement et de passion dont nous avons besoin ouais donc ce que j'entends c'est
éviter de trop définir la cible de trop définir ou atterrir par ce geste puisque tu as
dis les mots ontologiques donc c'est de définir cette cible par ce qu'elle est ou c'est qu'elle
n'est pas et plutôt que de faire ce geste là de trop définir cette cible et ben de partir de là
où on est et donc été d'explorer ensemble par des questionnements par ce qu'on vient de faire
là par l'échange les questions que tu m'as posé les questions qu'on pourrait se poser dans notre
relation aux objets dans ce qui est émancipateur libérateur ou moins et dans ce tri là de faire
cet exercice là pour peut-être répondre un peu à la question si je me projette moi alexis juste
avant de mourir qu'est ce qui va me manquer dans cette vie que je n'aurais pas fait est ce que c'est
de l'argent est ce que c'est telle voiture est ce que c'est telle activité de partir quatre fois
à faire le tour du monde ou est ce que c'est du temps avec mes proches un peu de temps de réflexion
de lecture dans tout cas des temps un peu intense de vie quoi de quotidien de relations que ce soit
avec des objets que ce soit avec des personnes que ce soit avec des animaux et finalement en fait
c'est d'aller se poser ces questions de moments qu'on pourrait regretter au moment de sa mort c'est
de ces moments là dont on parle et non pas ceux ci où c'est bien en soi ou c'est pas bien en soi
tout à fait c'est exactement l'idée que l'on a essayé de défendre avec un philosophe qui
s'appelle Alexandre Monin dans un petit texte qui est lui-même fait de suffisances intensives et
de plein d'autres merveilles mais toujours dans un format très appropriable l'idée de produire à
mon sens aujourd'hui des concepts qui à la fois soit précis bien défini bien élaboré on voit
beaucoup de livres de philosophie qui sont très long très volumineux aujourd'hui à mon sens il faut
toujours aussi penser à la manière dont les concepts peuvent circuler et donc faire aussi des
formes appropriables pour ces concepts et pour les faire vivre par de là les frontières de
l'université ou par de là les frontières de l'académie pour enquêter précisément collectivement
c'est nécessaire et ben c'est tout l'objet de ce podcast épisode après épisode dans
différents contextes avec différents concepts donc un grand merci à toi Nathan pour
être prêté au jeu pour avoir pris le micro de l'enquêteur et nous avoir offert ces moments
de réflexion de cheminement ensemble merci beaucoup Nathan merci infiniment et merci pour ton
témoignage qui est précieux et qui pourra intégrer une version supplémentaire de ma thèse de
doctora dans les prochaines années si j'écris une nouvelle préface ou post face on pourra tout
à fait en parler ensemble et ben un grand merci Nathan salut j'espère que cet épisode vous a plu
grâce à ses partages d'écoute et de réflexion de discussions authentiques de doute de
contradiction et de joie simple du quotidien j'espère vous donner envie de mener votre propre
enquête pour construire collectivement une alternative aux exploitations en tout genre
je remercie Emeric Priolon pour notre amitié depuis 40 ans qui réalise l'habillage et le
montage sonore de ce podcast Ingrid de Saint Obin pour son aide sur l'habillage visuel Barbara
Nicoloso directrice de virage énergie pour sa commande sur la sobriété qui m'a mis le pied à
l'étrier Alexandre Monnin et toute la communauté de la redirection écologique pour leur soutien et
leur enthousiasme et bien sûr mes invités sont qui ces épisodes n'existeraient pas