Bonjour, je suis Alexis Nicolas. Dans ce podcast, je vous propose de partir avec moi en quête
de sobriété, pour en finir avec la démesure de notre époque et pour vivre dès maintenant
dans le futur. Mais en tant qu'ingénieur, salarié, homme, blanc, cis et hétéro, la
sobriété, c'est pas gagné. Et oui, l'attrait pour la démesure affecte avant tout les personnes
privilégiées. Episodes après épisodes, théoriques ou pratiques, je mène l'enquête
avec mes invité·es. Bonne écoute !
Bonjour à tous et à toutes. Aujourd'hui, je reçois Fanny que j'ai déjà reçu dans un précédent
épisode pour parler de tes travaux. Mais là, ce coup-ci, c'est un épisode plus sur toi,
ta vie, ton œuvre et là où tu en es. Est-ce que tu peux te présenter Fanny par exemple,
notamment nous dire où t'habites, ce que tu fais dans la vie ?
Bonjour à toutes et à tous. Je m'appelle Fanny et j'habite au sud de Toulouse dans le
Comminges, du coup en milieu rural. C'est près de l'Ariège mais c'est encore la Haute-Garonne.
Et je passe beaucoup, beaucoup de temps à terminer une thèse de sociologie qui porte
sur les débrouilles rurales, donc sur les modes de vie économes en milieu rural.
Oui, donc toi-même en milieu rural et tu as enquêté sur des personnes en milieu rural
et sur leur pratique de débrouille et ce travail, en quoi ça t'a affecté, en quoi
ça te transforme ?
Grande question. On va dire qu'avant de commencer cette enquête, je savais que ces modes de vie
existaient. J'avais moi-même des pratiques de débrouille mais qui créent pas vraiment un
mode de vie. Et en fait, de découvrir ces modes de vie là, de les enquêter,
je me suis rendue compte de leur force, de leur puissance et de leur résilience de
certaines manières aussi. Ils sont enviables en fait pour l'avenir, sans les romantiser,
sans, etc. Parce que quand j'ai commencé mon enquête, j'ai été très vite happée aussi
par ces modes de vie. Et notamment, j'étais aussi au contact de personnes qui étaient éloignées de
moi quand même, mais on peut trouver sur pas mal de choses. Ça faisait aussi écobe moi aussi à
certaines socialisations que j'avais pu avoir. Et du coup, j'ai eu vraiment cette tentation de dire
mais pourquoi ? J'arrête pas ma thèse et pourquoi je m'installe pas là ? Oui, il y a vraiment
eu ce truc là qui est lié aussi à l'attrait de la nouveauté. J'ai dû du coup me détacher de ça
aussi pour pouvoir bien analyser, pour pouvoir écrire aussi ce enquête-là parce que j'enlève
un peu les paillettes dans les yeux, notamment parce que ces modes de vie restent précaires.
C'est ça que je veux dire, c'est qu'il pourrait vraiment y avoir un danger à les romantiser,
à dire c'est extraordinaire, ces gens se débrouillent extrêmement bien. Moi, ce que je
montre, c'est comment est-ce que ça tient ces modes de vie ? Donc en fait, comment est-ce qu'on
fait face aussi aux difficultés ? C'est aussi parce que moi, j'ai traversé tout ça, que j'ai construit
aussi un objet de recherche autour de ça. Et notamment parce qu'il y a un fort attrait, enfin,
ce qu'a eu un peu post-Covid, de dire des gens du coup, avec de l'argent quand même qui ont dit
nous on va aller à la campagne etc. Mais c'est pas pareil de pouvoir accéder à une maison clé en main etc.
Dans le cas des gens de ma thèse, il a fallu faire beaucoup de travaux. Enfin, je veux montrer toutes
les ressources que ça demande et des ressources non monétaires, ces modes de vie-là. Et donc là,
je me suis rendu compte de ça aussi. J'ai tout un cheminement de, il ne faut pas les romantiser,
mais notamment parce qu'il y a besoin de ces ressources-là. Et c'est à partir de là que j'ai créé
aussi ma problématique. Ça t'a aidé à te rendre compte des ressources que tu avais aussi là où
tu habites avec tes voisins. T'as plus pris conscience de ce réseau d'entraide que toi-même
tu avais, puisque tu as étudié ça, mis ça un petit peu en lumière chez les personnes auprès de
qui tu as enquêté, mais toi à ton niveau ? Alors quand j'ai commencé mon enquête, j'ai quitté un
appartement parisien que j'avais parce que j'avais fait mon master à Paris. Donc j'ai pas eu de
maison quoi, dans le sens où comme j'allais chez les gens etc. Puis après il y a une Covid. J'ai un peu
barouder à droite à gauche chez les personnes etc. Moi je ne considère pas que je me débrouille à la
campagne par exemple. Mais c'est notamment parce que j'ai pas le temps pour le faire. Et ça c'est
la chose qui me gêne le plus. Et sans temps, en fait on ne peut pas faire sans argent, ou avec peu
d'argent en tout cas, que toutes ces pratiques-là demandent du temps. En plus d'une appartenance
en fait locale effectivement connaître ses voisins, avoir des amis sur place, de voir de la famille,
tout ça. Et le mode de vie qui est le mien aujourd'hui, notamment avec l'écriture de la thèse,
mais qui est aussi celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, c'est-à-dire mon monde
professionnel en fait, n'est pas du tout compatible. En tout cas pour mettre toutes les chances pour
obtenir un des maigres postes qui existent. C'est pas compatible avec le fait de pas produire au
maximum et d'avoir une productivité, une rentabilité de son temps etc. Donc tu peux pas couper ton
bois, tu peux pas trop le temps de faire ta cuisine etc. Je fais ma cuisine. Oui effectivement c'est
une pratique de débrouille mais qui reste assez minime quand même. Et comme je défini les débrouilles
rurales comme des modes de vie, je ne considère pas du coup que j'en fais partie puisque c'est
juste des petites pratiques éparse comme ça. Et pour autant tu dirais que tu y aspires,
que t'aimerais tendre un, un jour, quand ce sera possible ou autrement ? Ah oui,
complètement et bon depuis très très longtemps et c'est ça aussi qui est un peu compliqué avec
la position que j'ai où j'ai beaucoup d'aspirations que pour l'instant je ne peux pas réaliser.
Donc j'ai beaucoup de tiraillement on va dire interne. Mais oui oui, ça fait des années qu'on
parle avec des amis. Donc je ne sais pas avec qui ça sera mais acheter un lieu et puis avec
cette optique-là de le rénover et de mettre en place ces pratiques-là et d'avoir du temps pour
faire autre chose qu'un travail devant l'ordinateur ou que pour avoir juste du temps pour les pratiques
de subsistance. Ça nécessiterait d'acquérir beaucoup plus de savoir-faire parce que j'en ai
quelques-uns, je sais un petit peu faire un potager, je sais faire deux trois bricolages,
enfin que j'ai pu apprendre dans mon enfance ou après au fil de chantier que j'ai pu faire à
droite à gauche. Mais l'idée après la thèse c'est notamment de refaire des chantiers participatifs,
etc. Faire beaucoup pour apprendre à faire des choses et puis aussi pour prendre confiance parce
que c'est beaucoup aussi une histoire d'avoir confiance, d'oser et de tenter et de se tromper,
de recommencer. Donc c'est un peu, commencer à me mettre un peu dans cette optique-là on va dire.
Ouais et de le faire en collectif et donc si jamais tu te trompes c'est pas très grave,
il y a tout le temps quelqu'un qui est là pour attraper, pour aider, pour te montrer, etc. Si
tu aspire à ça, à ça étant ces modes de vie que tu as enquêté à travers ton travail actuel,
t'y aspire par conscience écologique, t'y aspire par envie de vivre ça, enfin voilà quels
sont les ressorts ? Qu'est-ce qui t'appellent dans ces modes de vie ?
Moi j'y mets de manière assez centrale une motivation politique. En ce cas je veux mettre
en avant une conscience de, comment dire, que les problèmes ne sont pas individuels mais généraux
et qu'il y a certaines conflictualités sociales, etc. Et que des fois quand on parle d'écologie,
je trouve que dans le langage courant, etc., ça manque. Pour moi ce sont des modes de vie
extrêmement viables qui consomment peu de ressources, qui se font sur de l'entraide. On va dire que
c'est des modes de vie qui sont pour moi anti-capitaliste par exemple, anti-impérialiste,
enfin on pourrait mettre plein d'anti, etc. Après moi dans ma thèse, il y a la moitié des gens
qui ne les politisent pas. C'est moi ce que j'en pense, c'est à force de les voir aussi en
action, en acte et de voir la force en fait de ces modes de vie là que je me suis dit, que c'est
comme ça que j'ai envie de vivre. Je prends aussi conscience de beaucoup de choses. C'est des modes
de vie qui reposent beaucoup sur des ressources étatiques, donc sur l'état social en fait,
notamment sur des aides sociales, sur le RSA, sur le chômage, sur les routes, sur les écoles,
sur les hôpitaux. En fait ces modes de vie ne peuvent pas exister si l'état social disparaît.
Et peut-être que justement que cet état social tienne suffisamment parce que c'est vrai que dans
un contexte dans lequel notamment en ruralité les services publics disparaissent, se sont fermés les
uns après les autres, ça va fragiliser les modestes économes que tu appelles et toutes
les personnes en précarité en milieu rural. Et même dans certaines lectures que je peux faire ou
dans des récits que j'entends, il y a des fois cette idée de personnes qui vont s'installer à la
campagne notamment par principe politique etc. mais qui vont pas forcément faire des liens avec les
gens du coin. Et donc moi dans la manière aussi dont je vois absolument ce mode de vie, enfin je le
vois pas sans appartenance locale et par appartenance locale, j'entends donc à la fois le fait de s'en
créer dans l'environnement naturel environnant à appartenir vraiment à un territoire au sens
propi du terme mais aussi bien sûr à ses habitants, à ses habitantes et tisser des liens avec ces
personnes-là et tout en prenant soin de pas recréer des rapports de pouvoir. Enfin en tout cas en
questionnant tout ça en arrivant avec ces grands sabons disant moi je sais, moi j'ai fait une thèse,
moi j'ai lu etc. et je vais vous expliquer alors que justement tout ce que je document c'est que ces
gens-là sont finalement en preuve d'une grande sagesse s'il fallait un petit terme là et qu'en
fait dont il faudrait s'inspirer et que sans ces personnes-là ça ne marcherait pas non plus,
ça les fragiliserait et ça ferait aussi que de mon côté ça ne pourrait pas marcher quoi.
Donc d'arriver dans une posture d'avoir envie de prendre soin, d'avoir envie d'habiter le lieu,
d'avoir envie de prendre soin aussi des voisins, des personnes qui sont là et d'apprendre de ces
personnes-là tout en affirmant aussi j'imagine et en assumant aussi certains espaces de
conflictualité qui peuvent émerger entre voisinages ou autres et qui a pu être un défaut de pas
mal de néo-ruraux que j'ai pu croiser dans mon expérience à arriver sur un territoire et à
se comporter limite en néo-colonialiste et de dire bah tiens c'est comme ça qu'on fait, non il
faut pas couper l'herbe, non il faut faire ci non il faut faire et ça c'est très mal vécu en général
par les personnes qui habitent le territoire et qui ont certainement des modes de vie inspirants
et intéressants en attendant d'arriver à ce que t'arrives à activer à trouver l'espace que ce
soit l'espace en termes de temps que ce soit l'espace en termes de lien aussi de collectif ou
autre et de territoire aujourd'hui quels sont les contradictions des petits compromis que tu fais
dans ton mode de vie où tu sais que ça bon c'est pas terrible il faudrait arrêter par conscience
écologique par peu importe comment tu l'appelles ou même par coût trop élevé ou peu importe mais
voilà c'est quoi tes pratiques ou tes petites culpabilités dont tu aimerais bien te détacher
ben encore là ça va être lié à un manque de temps c'est pour ça que ça se remelle un peu c'est
parce que par exemple aller au supermarché parce que ça structure beaucoup nos approvisionnements
alimentaires et je sais pas dans quelle mesure est ce qu'économiquement c'est possible de
aujourd'hui en tout cas de s'en passer oui faudrait voir quelle serait les structures mises en œuvre
à côté mais parce qu'aussi ça demande encore une fois un ancrage en fait donc je passe beaucoup
de temps à écrire enfin etc mais dès que je me déplace j'ai un mode de vie qui est très nomade
mais nomade dans le sens où je vais aller de ville en ville enfin quand je bouge c'est surtout voilà
exactement et donc du coup il manque ce truc d'ancrage dire bon bah alors je sais où trouver
telle produit etc et donc ça va être beaucoup sur le supermarché et le supermarché voilà
bon dans le sens de la grande distribution tout le plastique qui va avec tout toute l'exploitation
qui va derrière fin tout tout donc ça pourrait être ça et ça pourrait être aussi faire des
commandes en ligne alors je ne commande pas énormément mais par exemple je commande sur
vintage j'adore aller dans des végronniers à Emmaus fin ou dans des recycleries c'est vraiment
quelque chose que je fais depuis 20 enfin j'adore vraiment faire ça mais encore une fois ça demande
du temps ça demande de pas forcément trouver directement ce qu'on veut enfin c'est même
principe que la récup c'est juste c'est exactement ça qui se passe dans les dans les débrouilles
rurales et donc par faute de temps etc et par vouloir un peu une certaine efficacité dire je
veux trouver telle habil comme je l'ai vu là chez telle personne je vais du coup acheter sur
vintage et vintage aussi a pris tellement d'ampleur aujourd'hui que je sais par exemple qu'Emmaus
manque de dons et qu'il y a eu un lien qui a été potentiellement fait avec le fait que les
gens vendent plus en ligne voilà que aller donner à Emmaus donc ça pose aussi toutes ces questions
là derrière enfin c'est pour ça que c'est politique d'une certaine manière en fait et comment
en fait justement le alors même que c'est une pratique de seconde main et qui est présentée
comme verte et sobre etc en fait bon déjà c'est un truc qui est européen donc il y a beaucoup
des fois d'habils qui viennent d'espagne, portugal, etc donc il y a quand même un acheminement
enfin toute la logistique en fait des transports de tout ce qu'on commande en ligne quoi et en
plus de ça ça reste fait une économie marchande en fait qui passe par des plateformes capitalistes
donc les clics qui te démange ou pas vraiment qui te démange mais qui sont là pour remplacer
finalement ton manque de temps ou en tout cas pour combler ce manque de temps bah voilà il y a une
praticité de ça et puis les supermarchés les grandes surfaces avec tout ce que ça veut dire
aussi en tant d'emballage de déchets etc je comprend ça me parle j'ai à peu près réussi à me
détacher des supermarchés mais pas tout à fait des clics en ligne aussi mais pas sur les habits mais
sur d'autres choses peut-être une dernière question qui m'intéresse dans tes pratiques de
débrouille pour utiliser ton terme, que dans le podcast on appelle sobriété, ou en tout cas on fait
le parallèle entre les deux, quelles sont les joies les plaisirs les moments de grâce même qui peuvent
être fugaces qui peuvent être légers qui peuvent être momentanées mais est ce que tu peux nous
en raconter un ou deux comme ça ben justement j'adore tomber sur un habit que j'aurais du coup
jamais acheté parce que je l'aurais jamais cherché par ailleurs etc mais que par exemple je suis
chez maïs et je tombe sur un habit je me dis direct ah ben tiens puis aussi je couds aussi donc
souvent j'achète des fringues et je les retaille un petit peu, enfin je les raccourci je les... voilà donc
où je me dis comment ce que je vais en faire etc je trouve que en laissant la place justement
spontanée etc enfin c'est aussi d'une certaine manière une petite résistance au capitalisme
qui on a l'impression que tout est toujours accessible tout le temps de n'importe où à n'importe quelle
heure et justement tomber sur quelque chose auxquels je n'aurais pas forcément pensé et qui justement
j'ai l'impression de tomber sur mon truc qui m'arrive avec abondance quoi dans ces moments
là donc quand c'est dans le cadre Emmaus etc je vois ça comme un petit pied de nez au capitalisme
alors toute proposition gardée évidemment voilà donc ça par exemple c'est un exemple principalement
ça j'entends ce moment de cette spontanéité où c'est plus l'objet ou l'habit là en l'occurrence
qui vient à toi plutôt que toi qui le cherche et qui le veut avec un projet avec un objectif cette
dimension un petit peu spontanée où finalement le monde s'offre à toi c'est j'ai l'impression
que ça t'apporte de la surprise de la joie quelque chose comme ça quoi ouais c'est ça se laisser
surprendre quoi c'est un peu ça aussi je trouve dans dans des existences en tout cas la mienne qui
est aussi très en tout cas en ce moment notamment avec l'écriture voilà très rentabilisée très
organisée très productiviste cette idée de se laisser surprendre par de l'imprévu alors là
il se trouve que c'est un objet mais ça pourrait être quelqu'un qui me donne quelque chose quelqu'un
qui me propose un service enfin parce que ça fait partie de la débrouille c'est des moments où
justement je sors d'un individualisme finalement avec de l'argent on peut accéder à plein de choses
d'un coup etc et en fait là se dire bon mais en fait c'est une certaine richesse aussi ce à quoi on
peut avoir accès de manière gratuite voilà tout ce qui va se faire de manière péricapitaliste en
fait j'y donne assez de de puissance quoi tout en sachant que c'est pas ça qui renversera le
capitalisme mais en tout cas moi ça me fait du bien super et on va rester sur ça merci
beaucoup Fanny pour cette échange et à la prochaine salut
j'espère que cet épisode vous a plu grâce à ses partages d'écoute et de réflexion de
discussions authentiques de doute de contradiction et de joie simple du quotidien j'espère vous
donner envie de mener votre propre enquête pour construire collectivement une alternative aux
exploitations en tout genre
je remercie Emeric Priolon pour notre amitié de plus de 40 ans qui réalise l'habillage et le
montage sonore de ce podcast Ingrid de Saint-Aubain pour son aide sur l'habillage visuel Barbara
Nicoloso directrice de virage énergie pour sa commande sur la sobriété qui m'a mis le pied à
l'étrier Alexandre Monnin et toute la communauté de la redirection écologique pour leur soutien et
leur enthousiasme et bien sûr mes invités sont qui ces épisodes n'existeraient pas